Interview du Pr Pierre Tattevin (service des maladies infectieuses et réanimation médicale, CHU Pontchaillou, Rennes ; président de la Société de pathologie infectieuse de langue française), réalisée le 23 mars.
Les médecins généralistes sont en première ligne dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19. Le port du masque suffit-il pour se protéger ?
D’une manière générale les coronavirus se transmettent par des gouttelettes, qui ne se diffusent pas au-delà de 1 mètre du patient. On n’a aucune raison de penser que c’est différent avec ce coronavirus. C’est pour ça que, en l’absence de masque, on retient la distance de « protection » de 1 mètre.
Le masque chirurgical suffit pour protéger médecins, infirmières, aides-soignants, dans la grande majorité des cas : quand il faut rentrer dans la chambre d’un patient, l’examiner. Dans certaines situations bien définies, il faut des masques plus efficaces en termes de filtration, les FFP2 : kinésithérapie, intubation, prélèvement respiratoire, oxygène à haut débit… En effet, lors de ces interventions, les gouttelettes du patient sont aérosolisées, c’est-à-dire pulvérisées : elles sont donc projetées plus loin et risquent de passer à travers les interstices entre le visage du soignant et son masque.
Une étude très récente montre que le virus peut rester plusieurs heures sur les surfaces, notamment en acier (demi-vie de 5,6 h) et en plastique (6,8 h). Qu’en pensez-vous ?
C’est une étude intéressante. Les auteurs montrent que le virus est viable sur une surface (une porte par exemple) car lorsqu’ils font un prélèvement et le mettent en milieu de culture, il peut se répliquer et produire des particules virales. Cela ne veut pas forcément dire qu’il est encore contagieux. Est-ce qu’il est capable de contaminer une autre personne ? On ne sait pas.
Y a-t-il des signes cliniques qui permettent de distinguer le Covid-19 d’une grippe ou d’une infection ORL ?
Les tableaux cliniques sont très hétérogènes. Certains ont de la fièvre à 37,5 °C, d’autres à 41 °C. Des patients sont épuisés alors que d’autres disent « ça ne peut pas être ça, j’ai fait mon jogging ce matin ! ». Mais il y a un signe intéressant, et on s’en est aperçu un peu par hasard : les personnes qui ont le Covid-19 ont tendance à avoir des troubles de l’odorat et du goût, qu’on ne retrouve pas du tout chez les patients grippés. C’est un symptôme intéressant car facile à repérer finalement.
Le test diagnostique repose sur une RT-PCR qui amplifie les séquences génétiques spécifiques du virus. Quelle est sa sensibilité ?
C’est un peu tôt pour le dire. Il y a des faux négatifs mais ils sont dus, au moins en partie, au fait que le test n’a pas été bien fait. En effet, il faut effectuer un prélèvement nasopharyngé profond.
Quels sont les critères de guérison ?
Au tout début, les premiers cas ont été testés à plusieurs reprises, et gardés à l’hôpital jusqu’à négativation du test. Mais on s’est aperçu qu’il faut attendre parfois longtemps avant que les PCR soient négatives. Étant donné le flux de patients, ce n’est plus faisable : on laisse à leur domicile les patients sans signe de gravité, si on est sûr qu’ils sauront respecter les règles permettant d’éviter les cas secondaires, et qu’ils nous recontacteront en cas d’aggravation. La plupart des hôpitaux ont prévu une structure d’aval pour accueillir les patients hospitalisés qui nécessiteront une convalescence.
Une publication récente suggère que le virus peut être excrété dans les selles pendant longtemps, notamment chez les enfants...
On ne sait pas si cela joue un rôle dans la transmission, notamment si on ne se lave pas bien les mains après être allés aux toilettes. Certains virus se trouvent dans les selles mais ne se transmettent pas par cette voie…
Le rôle des enfants n’est pas bien compris : peuvent-ils être un réservoir du virus ?
Le terme « réservoir » suppose qu’ils restent porteurs longtemps. On a l’impression que ce n’est pas le cas, qu’ils s’en débarrassent rapidement. Ils seraient plutôt des catalyseurs d’épidémie : ils sont peu symptomatiques, mais ils ont beaucoup de contacts, notamment à l’école mais aussi à la maison, ils sont tenus dans les bras… on peut donc penser qu’ils jouent un rôle important dans la transmission du virus.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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