En Italie, le Pr Di Bella, médecin physiologiste de l’université de Modène, à la retraite, propose depuis de nombreuses années un traitement du cancer à base de trois hormones comprenant aussi parfois des vitamines et d’autres plantes avec parfois de petites doses de chimiothérapie. 

 

Il n’a pu présenter de preuves expérimentales en faveur de son produit mais prétend avoir guéri des milliers de patients atteints de cancers divers. Beaucoup de malades ont pris ce traitement. Le débat a commencé en 1997 lorsqu’un juge de la ville de Maglie (commune du sud de l’Italie), saisi par la famille d’un garçon de 2 ans atteint d’une tumeur cérébrale, émet un jugement dans lequel il enjoint l’État italien à payer le traitement du Pr Di Bella.

Cette thérapeutique avait auparavant été refusée par le ministère de la Santé italien sous le prétexte qu’elle n’avait pas fait la preuve de son efficacité et que son prix était élevé (7 500 € par mois). La ministre de la Santé d’alors, Rosy Bindi, était soutenue par le premier ministre Romano Prodi. 

Les médias se saisissent de l’affaire : Di Bella, soutenu notamment par les médias de droite, opposés à Romano Prodi, de centre gauche, apparaît dans 50 interviews télévisées et fait l’objet de 300 articles dans les journaux. Entre décembre 1997 et janvier 1998, la proportion des retombées en prime time concernant Di Bella atteint 36 % et le nombre d’articles médicaux monte à 100 par journal !

Di Bella signalait qu’il pouvait guérir jusqu’à 100 % des malades cancéreux et soulager un grand nombre de patients en phase terminale. Malgré le scepticisme des médecins, la demande pour le traitement proposé par Di Bella est telle que les pharmacies sont vidées de ce produit et que les malades envahissent les hôpitaux italiens pour demander à participer aux recherches cliniques sur ce produit. 

La réserve exprimée par la communauté scientifique est considérée par beaucoup comme la preuve de l’imperméabilité de l’establishment à toute chose qui pourrait venir de l’extérieur. Des milliers de partisans de ce traitement se rendent à Rome à une manifestation visant à demander le remboursement du produit.

Un conflit apparaît alors entre les institutions de soins publiques dépendant du ministère de la Santé – qui refusent d’appliquer le traitement Di Bella – et l’autorité judiciaire. Devant la pression populaire, le ministre de la Santé ordonne des essais cliniques. Le grand Centre de recherches de Milan refuse pour des raisons éthiques de conduire un essai dans lequel des malades doivent recevoir uniquement le produit Di Bella. D’autres centres ne peuvent débuter la recherche clinique faute de produit. Le Centre de Naples va jusqu’à mettre en sécurité le produit dans le coffre d’une banque. 

Des essais cliniques sont décidés après l’accord de Di Bella mais contre l’avis de beaucoup de ses soutiens, lesquels jugent qu’il s’agit là d’une diversion pour retarder la mise à disposition du produit pour tous les malades. Les expertises cliniques multiples menées dans les 26 centres choisis concluent à l’inefficacité du produit. Une polémique selon laquelle le protocole administré n’est pas conforme à celui qui avait fait l’objet de l’accord surgit (un tel argument avait également été utilisé dans une précédente expertise menée au Danemark, avec un autre produit). La fièvre médiatique retombe après une expertise réalisée par un jury international dont faisait partie le Pr T. Tursz de l’Institut Gustave Roussy, lequel conclut à l’inefficacité du produit.

Durant cette effervescence populaire, les chercheurs de l’université de Parme avaient interrogé plus de 1 100 Italiens cancéreux : 42 % pensaient que ce traitement était efficace, 53 % restaient dubitatifs et seulement 1 % pensait que le produit était sans valeur ; 88 % avaient pris connaissance de ce traitement par la télévision et la presse, 6 % par des amis ou la famille et seuls 5 % par un médecin ; 24 % des malades interrogés n’en ont pas discuté avec leur cancérologue, 20 % auraient bien aimé le faire mais n’ont pas eu la possibilité. 

Pour le choix d’un traitement, le conseil d’un médecin de confiance a été jugé plus important que le progrès scientifique par 53 % de malades ; 63 % des malades étaient prêt à essayer un médicament non prouvé dans l’espoir d’une guérison... Dans cette affaire, il est probable que la majorité des italiens aient pensé, au début, que les informations fournies par les autorités de santé sur le caractère inefficace du produit n’avaient pas été suffisamment étayées. 

Les motivations des patients pour un médicament miracle ont déjà été évoquées dans des publications médicales : mauvaise relation médecin-malade, apport d’une chance de guérison supplémentaire, diminution des effets secondaires des traitements, amélioration la qualité de la vie, meilleur contrôle de la maladie, demande psychosociale...

Toute comparaison avec une situation actuelle serait discutable : dans l’affaire Di Bella, il s’agit de cancer et de l’Italie. Il n’est cependant pas interdit d’apprendre des expériences passées…

Professeur Simon Schraub, vice-président de la Ligue contre le cancer du Bas-Rhin, directeur honoraire du centre le lutte contre le cancer de Strasbourg.

Image : manifestation de rue réclamant le remboursement des produits Di Bella / DR.

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