Allant de la conception à l’âge de 2 ans, les « 1 000 premiers jours » sont reconnus comme une période déterminante pour la santé sur la vie entière, puisque c’est une période cruciale du développement de l’organisme (systèmes métabolique, immunitaire, neurologique…), particulièrement sensible aux signaux environnementaux au travers de mécanismes épigénétiques.
L’origine fœtale/développementale des maladies métaboliques à l’âge adulte – en l’occurrence à travers les habitudes nutritionnelles in utero et dans les mois suivant la naissance – est déjà étayée par de nombreuses études animales. Cependant, les données humaines sur de vastes cohortes et avec un suivi à très long terme sont difficiles à obtenir (sans parler de l’impossibilité de conduire des essais randomisés).
C’est ce qu’une nouvelle étude menée sur des données historiques de la cohorte nationale UK Biobank a permis de faire pour la première fois. Les chercheurs se sont appuyés sur l’« expérience naturelle » qu’a constitué le rationnement du sucre au Royaume-Uni pendant la guerre et jusqu’en 1953, pour comparer la survenue de maladies métaboliques (diabète de type 2, HTA) à l’âge adulte entre les personnes conçues et nées pendant et après cette restriction de l’exposition au sucre.
Le rationnement du sucre équivalait aux quantités recommandées aujourd’hui
La cohorte comprenait 60 183 personnes nées entre octobre 1951 et mars 1956 et âgées de 51 à 66 ans au moment de l’inclusion.
Les participants conçus dans les 1 000 jours précédant la fin du rationnement en septembre 1953 constituaient le groupe « rationnement » (N = 38 155, nés entre octobre 1951 et juin 1954) ; en fonction de leur mois de naissance, ils avaient eu une exposition diminuée au sucre plus ou moins prolongée (période in utero seulement, ou bien in utero + 6, 12, 18 ou 24 mois après la naissance). Ceux conçus par la suite constituaient le groupe « sans rationnement » (N = 22 028, nés entre juillet 1954 et mars 1956). Les deux groupes étaient similaires sur des caractéristiques comme le sexe, l’ethnie, les antécédents familiaux de diabète, ou le risque génétique d’obésité.
Pendant le rationnement, la quantité de sucre autorisée par personne était comparable à celle préconisée aujourd’hui par les autorités sanitaires : moins de 40 g de sucre « libre » par jour pour les adultes et moins de 15 g pour les enfants (ceux de moins de 2 ans n’en recevaient pas). Selon les données des archives historiques, la consommation de sucre a doublé immédiatement après l’arrêt du rationnement, perdurant à des niveaux proches de 80 g/jour (chez les adultes) sur les années suivantes. En revanche, celle d’autres aliments rationnés (viande, beurre…) a moins augmenté ou est restée stable, ce qui a permis aux chercheurs de minimiser ces potentiels facteurs confondants.
Un risque d’obésité et de diabète réduit d’un tiers chez les enfants « rationnés »
Dans cette cohorte, 3 936 personnes ont eu un diagnostic de diabète de type 2 (DT2) et 19 644 un diagnostic d’HTA. Le risque de développer une HTA ou un DT2 après l’âge de 50 ans augmentait plus rapidement dans le groupe « sans rationnement » par rapport au groupe « rationnement ». Les trajectoires divergeaient encore plus après 60 ans, et la différence était encore plus marquée par rapport aux personnes ayant subi un rationnement prolongé (et pas seulement in utero).
Ainsi, par rapport aux personnes sans rationnement :
- les personnes ayant subi le rationnement in utero avaient 15 % moins de risque d’avoir un DT2 ; celles exposées au rationnement pendant au moins 19 mois après la naissance, près de 35 % moins de risque ;
- des résultats similaires étaient observés pour l’HTA, même si les réductions du risque étaient moins importantes : 6 % pour le rationnement in utero et environ 20 % pour un rationnement supérieur à 19 mois.
Par ailleurs, le risque d’obésité diminuait d’environ 30 % pour les personnes exposées au rationnement de la conception à au moins 1 an, par rapport à celles jamais exposées.
Afin de contrôler les résultats pour d’autres facteurs pouvant influencer la santé, les chercheurs ont comparé la survenue dans chaque groupe de maladies moins (ou non) influencées par la nutrition (affections oculaires, dépression post-traumatique…). Ils n’ont pas trouvé de différences significatives de ces risques entre les deux groupes.
Les chercheurs en ont conclu que respecter dès la grossesse les recommandations nutritionnelles sur l’apport en sucres (< 10 % de l’apport énergétique total, soit < 50 g de sucres libres pour un apport de 2 000 kcal/j) protège l’enfant tout au long de la vie contre le risque de syndrome métabolique. Cette réduction du risque est encore plus significative si le « rationnement » perdure au-delà de 6 mois de vie de l’enfant, moment de la diversification alimentaire. Or, selon l’Anses, une grande partie de la population française dépasse ces repères.
Ils expliquent que cette réduction du risque peut être due à la fois aux effets physiologiques in utero , étayant l’hypothèse des origines fœtales de la maladie, et au fait qu’une exposition accrue au sucre durant les premiers mois de vie engendre une préférence pour le sucre à plus long terme, avec les effets délétères que peut avoir une consommation accrue tout au long de la vie.
Ces résultats apportent des conclusions importantes à un moment où des taxes sur les aliments sucrés sont débattues dans plusieurs pays du monde, ajoute Claire Boone, co-auteure de l’étude.