Les troubles psychiatriques représentent 15 % des consultations en médecine générale. Deux troubles prédominent : la dépression et les troubles anxieux. Le trouble anxieux généralisé (TAG) correspond à un état d’alerte et d’inquiétude quasi permanent associé à des signes psychiques et physiques de tension anxieuse, sur une période d’au moins six mois. Le TAG a un retentissement fonctionnel important, mais il est parfois difficile pour le médecin de le différencier des soucis du quotidien.

TAG : de quoi parle-t-on ?

Le TAG partage la sémiologie commune de l’anxiété et comprend des signes plus spécifiques. Pour poser le diagnostic, il est nécessaire d’interroger le fonctionnement émotionnel, les pensées et les comportements du patient.2  

Dans le TAG, les émotions anxieuses se caractérisent par un sentiment pénible d’attente ou d’appréhension douloureuse d’un danger dont la survenue est incertaine. Cette anxiété est continue et entraîne une tension psychique et physique. 

Contrairement aux peurs normales qui apparaissent dans des situations réellement dangereuses, dans le TAG, le danger est supposé et reste vague. Ces inquiétudes sont excessives du fait de leur fréquence et de leur intensité par rapport à la réalité des risques. 

Cette anxiété s’accompagne de pensées ou cognitions anxieuses dont les conséquences sur la vie quotidienne sont importantes. Les patients avec TAG sont en état d’alerte et d’inquiétude quasi permanent et imaginent des scénarios catastrophes. Ils ont une hypervigilance diffuse vis-à-vis de l’environnement qui affecte leurs capacités d’attention et de concentration.

Ils peuvent également montrer des signes physiques très divers, reflétant surtout une hyperactivité neurovégétative (palpitations, sueurs, vertiges, tensions et douleurs musculaires, vertiges, nausées, etc.). Ces symptômes, qui peuvent être observés aussi dans les attaques de panique, sont présents de manière durable dans le TAG, parfois toute la journée, mais de manière moins intense. Ils sont associés à des troubles du sommeil – notamment des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes –, à une irritabilité, à une sensation de fébrilité et d’agitation intérieure, à une fatigabilité ainsi qu’à des réactions de sursaut dans la journée déclenchées par des stimulations soudaines (sonnerie de téléphone, contact physique, apparition imprévue dans le champ visuel, etc.).

Pour diagnostiquer un TAG, cette anxiété doit être présente durant au moins six mois, en continu, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM- 5) [tableau].3 

Prédominant chez la femme

Le TAG est un trouble psychiatrique très fréquent, touchant de 4,3 à 5,9 % de la population sur une prévalence vie entière.1 C’est un trouble à prédominance féminine, qui apparaît souvent à l’adolescence ou chez le jeune adulte mais également à tous les âges de la vie. Parmi l’ensemble des troubles anxieux, le TAG est le plus fréquent chez le sujet âgé. 

Éliminer les diagnostics différentiels

Anxiété normale

Il est parfois difficile de différencier l’anxiété généralisée d’une tendance non pathologique à l’inquiétude, que l’on retrouve chez beaucoup de sujets. 

L’inquiétude « normale » est occasionnelle, compréhensible aux vues d’une situation particulière, contrôlable, entraînant des manifestations somatiques discrètes. Par ailleurs, la personne est en recherche active de solution, contrairement au TAG qui entraîne une anxiété non ou peu contrôlable, excessive, paralysante, constante, avec des répercussions sur la vie sociale.

Autres troubles anxieux

Il est parfois difficile de distinguer le TAG d’autres troubles anxieux du fait de signes cliniques communs et d’une vulnérabilité commune au stress, d’autant plus que les troubles anxieux peuvent être comorbides.

Syndromes dépressifs

Plusieurs signes cliniques sont communs, mais l’anxiété n’apparaît qu’au moment de l’épisode dépressif, et le traitement de la dépression permet un amendement de l’anxiété.

Facteurs déclenchants et facteurs de risque

Le TAG se déclenche souvent à la suite de facteurs environnementaux ou personnels, comme les situations d’anxiété sociale, d’anxiété de performance notamment à l’école,4 en particulier chez les personnes ayant une personnalité ou un tempérament anxieux avec une sensibilité au stress.

Plusieurs facteurs de risque sont relevés : 

  • vulnérabilité génétique (tempérament anxieux, sensibilité au stress) ;
  • environnement (pression professionnelle ou contexte de vie difficile) ;
  • psychodynamique (faible estime de soi, faible capacité d’adaptation, perfectionnisme, figure d’attachement peu sécure).

Comorbidités

Le TAG s’accompagne fréquemment de troubles comorbides psychiatriques5 comme l’anxiété sociale, l’agoraphobie ou l’usage de substances addictives. Il peut aussi entraîner des complications psychiatriques comme le trouble panique ou la dépression sévère.

Trois piliers pour la prise en charge

Le traitement du TAG s’articule autour de trois grands axes : mesures générales, psychothérapie et traitement médicamenteux.6  

Mesures générales

Elles peuvent être suffisantes dans un certain nombre de cas. Après avoir expliqué la différence entre inquiétude normale et anxiété pathologique, il convient d’insister sur les mesures hygiénodiététiques simples à mettre en place : pratiquer une activité physique régulière, avoir un sommeil en qualité et quantité suffisantes, s’autoriser des plages de détente et aménager son emploi du temps si possible, supprimer tout toxique en excès – incluant le tabac, l’alcool et la caféine –, favoriser la mise en place de la relaxation et des exercices de respiration (yoga, méditation…).

Psychothérapie

Débuter une psychothérapie de soutien est souvent nécessaire, à l’initiative du médecin ou du psychologue. Être à l’écoute du patient et lui prodiguer des conseils simples sur des situations anxiogènes peut l’aider à revoir l’analyse qu’il se fait des différentes situations. Si besoin, une psychothérapie structurée de type cognitivo-comportemental (TCC) peut être proposée. Cette technique psychothérapeutique a montré des résultats clairement positifs.7 Le principe est d’identifier les pensées irrationnelles et les schémas cognitifs qui les sous-tendent. Ce travail cognitif s’accompagne d’un travail comportemental sur la gestion des émotions, par des techniques de relaxation corporelle notamment, afin de diminuer les manifestations somatiques de l’anxiété. Entre 10 et 20 séances sont nécessaires la plupart du temps.

Traitement médicamenteux

Il n’est pas systématique et dépend de la présence de comorbidités (notamment dépressives), de la sévérité du trouble et de l’efficacité des mesures précitées. Si un traitement médicamenteux doit être prescrit, cela ne peut être que sous la forme de sérotoninergiques. Certains antidépresseurs ont une autorisation de mise sur le marché pour le TAG : c’est en particulier le cas de l’escitalopram, la paroxétine et la venlafaxine. Ces traitements sont prescrits aux mêmes posologies que dans le cadre d’un épisode dépressif caractérisé, endébutant aux doses les plus faibles et en augmentant très progressivement. L’effet positif n’est constaté qu’après quelques semaines (entre 3 et 8) et la durée de prescription est au minimum de six mois. Une décroissance très lente peut être essayée. 

L’association à une psychothérapie a minima de soutien, et si possible à une TCC, favorise les chances de pouvoir diminuer et arrêter le traitement médicamenteux sans rechute. 

Les antidépresseurs sont d’autant plus justifiés en cas de dépression comorbide.

Les benzodiazépines sont à éviter autant que faire se peut, du fait des effets indésirables : sédation, troubles mnésiques et attentionnels, chutes et surtout dépendance si la prescription dure plus de trois à quatre semaines (inférieure à 12 semaines). Les risques de dépendance sont majorés si le patient a une comorbidité addictive.

D’autres anxiolytiques avec un moindre risque de dépendance peuvent être prescrits : la buspirone, mais avec un délai d’action d’une à trois  semaines, ou les anti-histaminiques comme l’hydroxyzine, notamment en cas de troubles du sommeil associés.

Le recours à un psychiatre et/ou un addictologue est utile en fonction de la sévérité du trouble et des comorbidités associées.

Quelle évolution ? 

Le TAG est un trouble chronique, avec de possibles périodes d’amélioration et d’aggravation. Il affecte fortement la qualité de vie5 et il est source d’un véritable handicap fonctionnel (arrêts de travail, difficultés scolaires). Toutefois, son pronostic est surtout lié à celui des troubles anxieux associés ainsi qu’aux autres complications psychiatriques (dépressives et suicidaires) et addictives. 

Encadre

Trouble anxieux généralisé : exposition d’un cas

Mme A., 41 ans, consulte en cabinet de médecine générale pour des troubles du sommeil avec insomnie d’endormissement et plusieurs réveils nocturnes. À l’interrogatoire, elle révèle se faire du souci pour sa santé (elle craint d’avoir une sclérose en plaques après avoir lu un article en ligne sur cette maladie) et a peur quotidiennement que ses enfants se fassent kidnapper sur le trajet pour se rendre au collège. Elle mentionne également une inquiétude sur ses compétences au travail, majorée par une difficulté à se concentrer sur les tâches qu’elle n’avait pas avant, et y pense le soir et le week-end. Par ailleurs, sa famille la trouve de plus en plus irritable depuis quelque temps. Elle a conscience du caractère excessif de ses inquiétudes mais ne parvient pas à apaiser ses craintes, qui sont quotidiennes depuis plus de sept mois. 

Commentaire du Pr Bénédicte Gohier, psychiatre

Mme A. répond aux critères du trouble anxieux généralisé, avec un sentiment de peur sans fondement réel, reconnu comme excessif et pénible par la patiente, des cognitions anxieuses avec des répercussions sur le fonctionnement quotidien tant sur la qualité de vie et de sommeil que sur les capacités attentionnelles au travail et sur son entourage. L’évolution est supérieure à six mois.

Il est nécessaire de prodiguer des conseils hygiénodiététiques en premier lieu, en particulier sur l’activité physique. Il peut être proposé à cette patiente des soins psychothérapeutiques avec une orientation en thérapie cognitive et comportementale. Selon l’évolution et l’impact fonctionnel, un traitement médicamenteux peut être envisagé dans un second temps, notamment des antidépresseurs sérotoninergiques.

Encadre

Que dire à vos patients ? 

Si vous ressentez une inquiétude permanente et excessive avec le sentiment d’un danger imminent potentiel avec un fort retentissement sur la qualité de vie, vous souffrez probablement d’un trouble anxieux généralisé.

Des mesures simples peuvent être mises en œuvre : favoriser un sommeil de qualité, diminuer les stimulants (tabac, caféine, alcool…), pratiquer une activité physique régulière.

Si nécessaire, une psychothérapie voire un traitement médicamenteux peuvent vous être proposés.

Il s’agit d’un trouble anxieux qui mérite d’être soigné afin d’éviter sa chronicisation.

Références
1. Kessler R, Berglund P, Demler O, et al. Lifetime ­prevalence and age-of-onset distributions of DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey replication. Arch Gen Psychiatry 2005;62:593-602. 
2. Pelissolo A. Troubles anxieux et névrotiques. EMC-Traité de médecine Akos 2012;0(0):1-11 ­[article 7-0150].
3. American Psychiatric Association. DSM-5 Development. E-05 Generalized Anxiety Disorder Proposed Revision. 2012.
4. Newman MG, Shin KE, Zuellig AR. Developmental risk factors in generalized anxiety disorder and panic disorder. J Affect Disord 2016;206:94-102. 
5. Showraki M, Showraki T, Brown K. Generalized Anxiety Disorder: Revisited. Psychiatr Q 2020;91:905-14. 
6. Fagan HA, Baldwin DS. Pharmacological Treatment of Generalised Anxiety Disorder: Current Practice and Future Directions. Expert Rev Neurother 2023;23:535-48.
7. Stefan S, Cristea IA, Szentagotai Tatar A, et al. Cognitive-behavioral therapy (CBT) for generalized anxiety disorder: Contrasting various CBT approaches in a randomized clinical trial. J Clin Psychol 2019;75(7):1188-202.

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essentiel

Très fréquent, le trouble anxieux généralisé ne doit pas être confondu avec une inquiétude normale. Il s’agit d’un trouble chronique pouvant entraîner un réel handicap fonctionnel.

Le diagnostic est clinique, souvent retardé du fait des symptômes physiques fréquents masquant la symptomatologie psychiatrique.

Le pronostic est lié aux fréquentes comorbidités associées, en premier lieu la dépression et les addictions.

La prise en charge comprend des mesures hygiénodiététiques simples, une écoute attentive, voire une psychothérapie structurée et/ou un traitement médicamenteux.

Une consultation auprès d’un psychiatre est requise en fonction de la sévérité du trouble.