Le trouble de la personnalité borderline se caractérise par une instabilité émotionnelle, relationnelle et une impulsivité, souvent associées à des comportements suicidaires et des troubles psychiatriques comorbides (anxiété, dépression, addictions). Son origine se trouverait dans l’interaction entre vulnérabilité génétique et invalidation émotionnelle durant l’enfance, exacerbée par des traumas. Le traitement repose principalement sur les thérapies cognitivo-comportementales.

Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est fréquent, grave et handicapant.

Il touche 2 à 6  % de la population générale, 10  % des patients consultant en psychiatrie, 20  % des patients hospitalisés en psychiatrie (50  % si l’hospitalisation a lieu dans un service de suicidants).

Près de 85  % des personnes atteintes feront des tentatives de suicide multiples et 10  % décèderont par suicide.1

Le TPB est lié à une surmortalité prématurée toutes causes confondues.

Il est associé à des difficultés relationnelles et professionnelles et à un risque accru de discrimination et d’autostigmatisation.

Diagnostic fondé sur quatre dimensions cliniques

Les troubles de la personnalité se définissent par les critères présentés dans l’encadré 1. Le TPB est caractérisé par une instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects, avec une impulsivité marquée.

Les critères diagnostiques du TPB selon le DSM- 5 sont décrits dans l’encadré 2. Ils peuvent être regroupés en quatre dimensions cliniques  :

  • représentation de soi – ou self concept – altérée (critères 3 et 7)  ;
  • difficultés dans les relations interpersonnelles (critères 1 et 2) ;
  • dysrégulation émotionnelle (critères 6, 8 et 9) ;
  • impulsivité (critères 4 et 5).
 

L’évaluation peut être guidée par l’utilisation d’outils de mesure psychométriques validés. Parmi les instruments les plus couramment utilisés, le McLean Screening Instrument for Borderline Personality Disorder (MSI-BPD) est un autoquestionnaire en dix items conçu pour dépister les individus susceptibles de présenter un TPB. La Zanarini Rating Scale for Borderline Personality Disorder (ZAN-BPD) est une échelle d’évaluation semi-structurée qui mesure la sévérité des symptômes du TPB sur une période donnée, permettant une évaluation quantitative des changements symptomatiques au fil du temps. Le diagnostic de TPB est généralement établi à l’aide de la Structured Clinical Interview for DSM Disorders Axis II (SCID-II) fondée sur les neuf critères du DSM- 5. Toutefois, il n’existe pas actuellement de hiérarchie dans les critères DSM- 5 du TPB  ; une compréhension précise du fonctionnement relationnel caractéristique du TPB s’avère donc indispensable.

La dimension centrale, la plus spécifique, du TPB est le dysfonctionnement dans le rapport aux relations interpersonnelles. Gunderson2 décrit ainsi le TPB comme un trouble de l’hypersensibilité relationnelle. Ducasse et al.3proposent un modèle d’articulation des critères DSM- 5 du TPB, depuis la perspective de la représentation de soi altérée, permettant de concevoir l’origine de cette hypersensibilité relationnelle, ou spécificité relationnelle en tant que préoccupation obsédante.*

Compréhension des causes du TPB

La théorie bio-psycho-sociale explique que le TPB émerge dans l’adolescence, provenant d’interactions répétées entre une vulnérabilité génétique et un milieu invalidant (c’est-à-dire la non-validation émotionnelle de l’enfant par les caregivers), contribuant à la construction d’une représentation de soi invalide ou illégitime.

Les traumas de honte dans l’enfance exacerbent la propension à éviter ses émotions (c’est-à-dire évitement expérientiel) à l’âge adulte et favorisent une faible autocompassion. Or le TPB est caractérisé par des traumas d’invalidation émotionnelle au cours de l’enfance et une propension accrue à la honte à l’âge adulte.4 L’autocompassion faible est associée à la propension à la honte, à la réactivité au stress social, à la sévérité de la symptomatologie borderline et aux idées de suicide.

Ainsi, il est essentiel de considérer la représentation de soi altérée à la racine du TBD – MOI associé à NON valable – qui favorise la recherche compulsive à se sentir exister à travers le regard de l’autre, à se sentir vivant dans la connexion addictive à l’autre.5 

Diagnostiquer et éduquer sur le TPB en le présentant du point de vue de l’hypersensibilité relationnelle sont deux fondamentaux de la prise en charge du trouble.2 

Diagnostics différentiels et comorbidités psychiatriques et somatiques

Le TPB est fréquemment associé à des erreurs diagnostiques, particulièrement avec le trouble de l’humeur bipolaire. Cela provient  :

  • d’une confusion entre émotion et humeur  ;
  • d’un excès de focalisation stérile sur la dimension affective, qui est le critère le plus aspécifique du trouble borderline et une simple conséquence d’un rapport dysfonctionnel aux relations interpersonnelles.
 

Ainsi, pour évaluer le trouble borderline, plutôt que de le concevoir comme un trouble émotionnel, il est plus pertinent de le concevoir comme un trouble de l’hypersensibilité interpersonnelle.

Près de 85  % des personnes avec un TPB présentent une comorbidité psychiatrique.6 Les principales sont  : les troubles anxieux (84,5  %), les épisodes dépressifs caractérisés (50 à 80  %, avec augmentation du risque de pharmacorésistance), les addictions (60  %), le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (33  %), le trouble de stress post-traumatique (30  %), le trouble bipolaire (20  %), les troubles du comportement alimentaire (anorexie [3  %] et boulimie [21  %]).

Les principales comorbidités somatiques chez les personnes avec un TPB sont l’obésité, les maladies cardiovasculaires et le diabète, avec une prévalence annuelle respective de 34  %, 15  % et 9  %.7 

Les anomalies métaboliques et psychiatriques s’auto-alimentent, via des mécanismes inflammatoires. L’inflammation systémique est une réponse biologique adaptative à un stress, quelle qu’en soit la nature (psychologique, physique ou infectieuse). Dans le cas du TPB, l’inflammation pourrait être exacerbée par un stress psychosocial chronique lié à l’hypersensibilité relationnelle. Cette inflammation systémique de bas grade est un marqueur de chronicité de TPB et est associée aux traumas dans l’enfance, à la réactivité au stress social, à la honte, à la solitude, aux idées de suicide et à la survenue de tentative de suicide à six mois. Plus le stress relationnel est intense et prolongé, plus l’inflammation est durable. Cette inflammation chronique aggrave à son tour la dysrégulation émotionnelle.8 L’inflammation systémique de bas grade est également liée à la perception de la douleur, en sensibilisant le système nerveux central et amplifiant ainsi la réponse douloureuse à des stresseurs. Cette sensibilisation centrale est un mécanisme clé dans des conditions telles que la fibromyalgie et le syndrome de l’intestin irritable, deux maladies fréquemment retrouvées en médecine générale et présentant une association significative avec le TPB (celle-ci disparaissant chez les patients en rémission). Les personnes avec un TPB présentent un vécu plus fréquent de douleurs chroniques. Cette douleur chronique physique est reliée à la douleur chronique psychologique (ou tension émotionnelle élevée), déclenchée par des vécus chroniques de stress relationnels, et l’incapacité à réguler les sensations douloureuses émotionnelles engendrées. La gestion de la douleur chronique chez les personnes avec TPB pose des défis importants, notamment en raison du risque de développer des troubles liés à la consommation d’antalgiques opiacés. Dans le TPB, on retrouve un rapport distinct entre le vécu d’une douleur conçue comme subie (douleurs physiques chroniques, alimentées par la douleur morale non régulée) et celui d’une douleur choisie ou auto-infligée (constituant un moyen de centrer son attention sur une expérience sensorielle forte, ayant pour conséquence l’arrêt transitoire de l’agitation mentale à l’origine de la douleur psychologique, et dont la traduction neurobiologique est une libération d’opioïdes endogènes et la désactivation de l’amygdale).

Approches thérapeutiques

Le traitement repose principalement sur les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), comme la thérapie comportementale dialectique (TCD).** Des médicaments sont prescrits principalement en cas de comorbidité psychiatrique, au cas par cas.

Thérapie comportementale dialectique

La thérapie comportementale dialectique (TCD) – à l’instar d’autres programmes de TCC de troisième vague – a montré une normalisation des processus de régulation de la douleur physique,9 ainsi qu’une diminution de la dysrégulation émotionnelle et des comportements autodommageables suicidaires et parasuicidaires. En amenant le patient à prendre la perspective d’un observateur inaltérable de tous les phénomènes (sensoriels et mentaux tels que les pensées et les émotions), la TCD permet une augmentation des capacités d’interoception et une diminution des comportements d’évitement expérientiel (c’est-à-dire la sur-réaction aux sensations émotionnelles désagréables et aux sensations émotionnelles intenses quelle qu’en soit la valence). Le processus psychothérapeutique des TCC de troisième vague est la méditation. La méditation ne consiste pas à faire le vide ou à se détendre. Méditer consiste à associer expérientiellement la pensée «  MOI  » avec des caractéristiques bénéfiques inhérentes à notre pouvoir de perception même. Méditer est un changement de perspective. Méditer est un acte d’identification correcte de soi.

Médicaments avec parcimonie

Les consensus sur les traitements médicamenteux dans le TPB sont les suivants  :

  • les prescrire en cas de comorbidités psychiatriques (85  % des patients).10 L’existence d’un trouble bipolaire associé est une nécessité absolue de prescription d’un thymorégulateur  ;
  • éviter la polymédication  ;
  • éviter les benzodiazépines (du fait du risque addictogène et de réactions paradoxales dans 60  % des cas).
 

Les traitements médicamenteux n’ont pas montré d’efficacité sur la réduction de la symptomatologie borderline spécifiquement, mais ils peuvent avoir une utilité sur certaines dimensions du TPB  :11,12 

  • les anticonvulsivants pour la dysrégulation de l’émotion de colère  ;
  • les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et l’olanzapine pour la dysrégulation émotionnelle globale (incluant la dysrégulation de l’émotion de colère)  ;
  • les oméga- 3 pour la dysrégulation émotionnelle globale (incluant la dysrégulation de l’émotion de colère) et l’impulsivité.
 

Il n’existe pas de recommandation quant à l’utilisation d’anti-inflammatoires pour le traitement du TPB. Toutefois, la littérature suggère l’intérêt d’interventions nutritionnelles (alimentation anti-inflammatoire, supplémentation en oméga- 3) et de modifications du mode de vie (activité physique régulière, optimisation du sommeil) pour moduler ces voies inflammatoires et réduire la sévérité symptomatique.

Des pistes thérapeutiques à l’étude

Alors que le lithium (médicament anti-suicide dans les troubles de l’humeur) s’avère trop peu prescrit et étudié dans le TPB, la clozapine (médicament anti-suicide dans la schizophrénie) présente des données d’intérêt dans la réduction de la dimension d’impulsivité et des comportements autodommageables suicidaires et non suicidaires chez les patients avec TPB réfractaires aux traitements.

Les psychostimulants (ayant montré une réduction du risque de décès par suicide de 48  % dans une cohorte de 22 601 patients âgés de 16 à 65 ans diagnostiqués avec un TPB)13 et la kétamine (ayant suggéré une réduction de la symptomatologie TPB et des idées de suicide après deux à quatre perfusions de 0,5 mg/kg, mais à nuancer avec d’autres données suggérant une aggravation des idées de suicide, des scarifications et de la dissociation après une semaine d’apparente amélioration) sont des pistes de traitement médicamenteux nécessitant davantage d’investigation dans le TPB.

* La compréhension dimensionnelle du trouble borderline, depuis la représentation de soi altérée, est disponible dans une courte vidéo d’éducation réalisée avec le CHU de Montpellier sur YouTube : «  C’est un trouble émotionnel et pas un trouble de l’humeur  », alors c’est quoi un trouble borderline  ? https ://urls.fr/cqPT1q ** La thérapie comportementale dialectique est un traitement fondé sur les faits combinant des éléments de la TCC à la pratique de la méditation et aux principes de conscience de soi.
Encadre

1. Critères diagnostiques pratiques d’un trouble de la personnalité

A. Modalité durable de l’expérience vécue et des conduites qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu. Cette déviation est manifeste dans au moins deux des domaines suivants  :

  • la cognition (c’est-à-dire la perception et la vision de soi-même, d’autrui et des événements)  ;
  • l’affectivité (c’est-à-dire la diversité, l’intensité, la labilité et l’adéquation de la réponse émotionnelle)  ;
  • le fonctionnement interpersonnel  ;
  • le contrôle des impulsions.

B. Ces modalités durables sont rigides et envahissent des situations sociales et personnelles très diverses.

C. Ce mode durable entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants.

D. Ce mode est stable et prolongé, et ses premières manifestations sont décelables au plus tard à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

E. Ce tableau n’est pas mieux expliqué par les manifestations ou les conséquences d’un autre trouble mental.

F. Ce mode durable n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (par exemple, drogue donnant lieu à des abus ou médicament) ou d’une autre affection médicale (par exemple, un traumatisme crânien).

Encadre

2. Critères diagnostiques du trouble de la personnalité borderline selon le DSM- 5

Pour poser un diagnostic de trouble de la personnalité borderline, au moins cinq de ces critères doivent être remplis.

1. Peurs intenses de l’abandon (réel ou imaginé)  : efforts frénétiques pour éviter un abandon réel ou perçu par les autres.

2. Relations interpersonnelles instables et intenses  : caractérisées par une alternance entre des extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation.

3. Perturbation de l’identité  : instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi.

4. Impulsivité dans au moins deux domaines qui peuvent être dommageables (par exemple, dépenses excessives, sexualité risquée, toxicomanie, conduite dangereuse, crises alimentaires).

5. Comportements suicidaires répétés ou menaces suicidaires ou automutilations. 

6. Instabilité émotionnelle  : réactivité marquée de l’humeur (par exemple, épisodes intenses de dysphorie, irritabilité ou anxiété, qui durent habituellement quelques heures, rarement plus de quelques jours).

7. Sentiments chroniques de vide.

8. Colère intense ou difficulté à contrôler la colère  : accès de colère fréquents, sarcasmes ou amertume, ou bagarres physiques.

9. Idéation paranoïde transitoire ou symptômes dissociatifs sévères  : ces symptômes surviennent souvent dans des situations de stress ou en réponse à des sentiments d’abandon.

Références
1. Oldham JM. Borderline personality disorder and suicidality. Am J Psychiatry 2006;163:20-6.
2. Gunderson J, Masland S, Choi-Kain L. Good psychiatric management: A review. Curr Opin Psychol 2018;21:127-31.
3. Ducasse D, Van Gordon W, Brand-Arpon V, et al. Borderline personality disorder: From understanding ontological addiction to psychotherapeutic revolution. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2020;270:941-5.
4. Buchman-Wildbaum T, Unoka Z, Dudas R, et al. Shame in borderline personality disorder: Meta-analysis. J Pers Disord 2021;35:149-61.
5. Jørgensen CR, Bøye R. “I am ashamed that I exist. I feel like apologizing for existing”: The phenomenology of shame in patients with borderline personality disorder: A qualitative study. Personal Disord 2024;15:181-92.
6. Bohus M, Stoffers-Winterling J, Sharp C, et al. Borderline personality disorder. Lancet 2021;398:1528-40.
7. Castle DJ. The complexities of the borderline patient: How much more complex when considering physical health? Australas Psychiatry 2019;27:552-5.
8. Moriarity DP, Grehl MM, Walsh RFL, et al. A systematic review of associations between emotion regulation characteristics and inflammation. Neurosci Biobehav Rev 2023;150:105162.
9. Niedtfeld I, Schmitt R, Winter D, et al. Pain-mediated affect regulation is reduced after dialectical behavior therapy in borderline personality disorder: A longitudinal fMRI study. Soc Cogn Affect Neurosci 2017;12:739-47.
10. Keepers GA, Fochtmann LJ, Anzia JM, et al. The American Psychiatric Association practice guideline for the treatment of patients with borderline personality disorder. Am J Psychiatry 2024;181:1024-8.
11. Stoffers-Winterling JM, Storebø OJ, Pereira Ribeiro J, et al. Pharmacological interventions for people with borderline personality disorder. Cochrane Database Syst Rev 2022;11:CD012956.
12. Karaszewska DM, Ingenhoven T, Mocking RJT. Marine omega-3 fatty acid supplementation for borderline personality disorder: A meta-analysis. J Clin Psychiatry 2021;82:20r13613.
13. Lieslehto J, Tiihonen J, Lähteenvuo M, et al. Comparative effectiveness of pharmacotherapies for the risk of attempted or completed suicide among persons with borderline personality disorder. JAMA Netw Open 2023;6:e2317130.

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Résumé

Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est fréquent, touchant 2 à 6 % de la population générale, avec une prévalence élevée en psychiatrie. Il se caractérise par une instabilité émotionnelle, relationnelle et une impulsivité, souvent associées à des comportements suicidaires et des troubles comorbides (anxiété, dépression, addictions). Sa compréhension repose sur le concept d’hypersensibilité relationnelle, enraciné dans une représentation de soi altérée. L’approche bio-psycho-sociale explique l’origine du TPB par l’interaction entre vulnérabilité génétique et invalidation émotionnelle durant l’enfance, exacerbée par des traumas. Le traitement repose principalement sur les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), comme la thérapie comportementale dialectique (TCD), qui favorisent la régulation émotionnelle et la réduction des comportements autodommageables. Les traitements médicamenteux, bien que limités, peuvent soulager certaines dimensions du TPB, mais nécessitent une prescription prudente, en particulier pour les benzodiazépines.