Le trouble neurologique fonctionnel (TNF) est une maladie dont les symptômes sont liés à un dysfonctionnement de réseaux cérébraux. Ces troubles surviennent chez des patients ayant une vulnérabilité individuelle et sont souvent déclenchés par des facteurs traumatiques physiques et/ou psychiques.
Le diagnostic de TNF repose actuellement sur les critères diagnostiques du DSM- 5 -TR (encadré).1
Deuxième motif de consultation en neurologie
Le TNF représente 10 à 15 % des consultations en neurologie, soit le deuxième motif, après les céphalées. Il existe peu d’études épidémiologiques, mais la prévalence est estimée entre 0,5 et 1/1 000.2
Le délai diagnostique est considérable : en moyenne quatre ans pour les troubles moteurs et sept ans pour les crises fonctionnelles dissociatives, en partie en raison d’un manque de formation des neurologues.3 Le pronostic est médiocre, avec une évolution chronique pour 80 % des patients ; il est néanmoins démontré qu’un diagnostic précoce, une bonne explication diagnostique et une prise en charge multidisciplinaire adaptée l’améliorent significativement.4
Dysfonctionnements cérébraux dans un contexte spécifique
Les études d’imagerie fonctionnelle, qui comparent les patients souffrant de TNF à des sujets contrôles, montrent des dysfonctionnements cérébraux, notamment au niveau des régions émotionnelles, des régions permettant d’intégrer les informations sensorielles et motrices et de percevoir que nous sommes agents de nos actions, et des régions prémotrices permettant de planifier les actions.5
Ces dysfonctionnements résultent de l’accumulation de facteurs de risque, dont trois types se distinguent : prédisposants (facteurs de risque à proprement parler), précipitants (facteurs déclenchant les troubles) et perpétuant les symptômes (facteurs par lesquels les symptômes se maintiennent dans le temps). Ils sont souvent désignés comme « les 3 P » (figure). Le diagnostic de TNF ne repose pas sur la présence de ces facteurs, mais leur identification au cours du suivi est importante car leur prise en charge spécifique permet de diminuer la vulnérabilité du patient et de limiter ainsi le risque de rechute ou de chronicisation des troubles.
Trois grandes formes cliniques souvent associées
On distingue classiquement trois grandes formes cliniques (troubles moteurs, crises ou autres présentations), mais les patients présentent le plus souvent une association de symptômes.
Il y a également une comorbidité fréquente avec les autres troubles somatiques fonctionnels (douleurs nociplastiques, dont la fibromyalgie), syndrome de fatigue chronique, troubles fonctionnels digestifs, etc.
Enfin, 10 % des patients souffrant de TNF ont également une autre pathologie neurologique, dont la sémiologie est souvent proche de celle du TNF (par exemple, épilepsie et crises fonctionnelles dissociatives, sclérose en plaques et TNF moteur, etc.).
Troubles moteurs fonctionnels
Il peut s’agir de déficits moteurs, de mouvements anormaux et de troubles de la marche.
Le diagnostic de trouble moteur fonctionnel repose sur la présence de signes cliniques positifs (encadré). Leur spécificité est proche de 100 %, et la présence de deux signes positifs permet d’affirmer le diagnostic de TNF (ou de surcharge fonctionnelle s’il existe une comorbidité neurologique).
Le déficit moteur peut toucher de manière variable un ou plusieurs membres. La sévérité du déficit est variable, allant d’un déficit discret à une paralysie complète. Les déficits moteurs sont le plus souvent associés à un déficit sensitif (tableau).
Les mouvements anormaux observés sont principalement le tremblement et la dystonie.
L’élément clé pour le diagnostic de mouvement anormal fonctionnel est la présence d’une distractibilité : disparition du mouvement anormal lorsque l’attention du patient est détournée, soit par le biais d’une tâche motrice (par exemple, mouvement brusque d’un autre membre), soit par le biais d’une tâche cognitive (par exemple, calcul mental).
La dystonie est une posture anormale liée à la cocontraction inappropriée de muscles agonistes et antagonistes. La dystonie fonctionnelle se présente le plus souvent par une posture en poing fermé au membre supérieur et en varus équin au membre inférieur, avec une fixité de la posture anormale et des douleurs associées.
Crises fonctionnelles dissociatives
Les signes évocateurs de crises fonctionnelles dissociatives (CFD) dans un contexte de malaise ou de crise sont les suivants : une durée supérieure à deux minutes, une fluctuation dans la sévérité des symptômes au cours de la crise, la fermeture des yeux ou la résistance à leur ouverture, la présence de mouvements du bassin, ou encore la présence de pleurs pendant la crise. La perte d’urine, la morsure de langue, les chutes traumatiques ne permettent pas, en revanche, d’établir une distinction entre crise épileptique et CFD.
Autres présentations
Il s’agit de troubles de la parole ou du langage, de troubles sensoriels (sensitif, cécité, autre) ou de troubles cognitifs et vertiges (vertige perceptif positionnel permanent).
Double intérêt des examens complémentaires
Les examens complémentaires à réaliser dépendent de la présentation sémiologique. Ils ont un intérêt double lors des premières consultations : ils permettent de vérifier l’absence de comorbidité neurologique, retrouvée chez 10 à 20 % des patients souffrant de TNF, mais ils peuvent aussi apporter des arguments pour le diagnostic positif de TNF (par exemple, électroencéphalogramme [EEG] normal pendant une crise fonctionnelle dissociative). Il ne faut cependant pas les répéter inutilement.
Dans le cadre des crises fonctionnelles, un vidéo EEG permet de documenter l’absence d’activité épileptique pendant la crise.
Dans le cadre des troubles moteurs, une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale est le plus souvent prescrite. Une IRM médullaire est également réalisée, notamment dans les présentations para- ou tétraparétiques, ou en cas de doute diagnostique devant un déficit sensitif ou moteur.
Annonce diagnostique par le neurologue
L’annonce diagnostique est une étape cruciale de la prise en charge. Elle est faite le plus souvent par le neurologue. Elle comprend la reconnaissance explicite de l’authenticité du trouble et des symptômes, ainsi que l’explication des signes positifs ayant conduit au diagnostic. Celui-ci est énoncé en utilisant le terme « trouble neurologique fonctionnel » plutôt que les autres termes synonymes (trouble de conversion, trouble somatoforme, etc.).
Prise en charge multidisciplinaire
La prise en charge du patient est idéalement multidisciplinaire, avec à la fois une prise en charge orientée sur le symptôme et une prise en charge des différents facteurs de risque (figure).
Prise en charge orientée sur les symptômes
Kinésithérapie
La kinésithérapie est le traitement le plus validé pour les troubles moteurs fonctionnels.7 Cette kinésithérapie spécifique vise à aider le patient à reprendre le contrôle de ses mouvements, en passant par l’éducation thérapeutique mais également en détournant son attention du symptôme par diverses manœuvres : utilisation des tâches multiples, concentration sur une activité stimulante et impliquant des automatismes (par exemple, jeux de ballon) et en démontrant au patient que les mouvements normaux sont encore possibles. Elle peut être réalisée en service de rééducation, ce qui permet une prise en charge multidisciplinaire optimale.
Thérapies cognitivo-comportementales
La psychothérapie de type thérapie cognitivo-comportementale est le traitement le plus validé pour les CFD,8 avec plusieurs objectifs complémentaires : aider le patient à percevoir les éléments déclenchant les crises, apprendre à identifier les prémices d’une crise, apprendre à sortir de la crise, pour finalement reprendre le contrôle le plus complet possible.
Autres approches
De nombreuses approches complémentaires peuvent être proposées, avec des résultats individuels souvent intéressants : orthophonie, ergothérapie, psychomotricité, hypnose, toxine botulinique, stimulation magnétique transcrânienne. Cependant, ces approches n’ont pas (ou peu) été évaluées.
Prise en charge des facteurs de risque (les 3P)
Cette prise en charge doit idéalement se faire en association avec un psychiatre ou un psychologue et a pour objectif d’identifier les facteurs de risque (prédisposants) et de maintien (perpétuants) propres au patient, afin de les traiter (par exemple, comorbidité psychiatrique ou neurologique) ou de les travailler (par exemple, mode de fonctionnement perfectionniste) et de diminuer la vulnérabilité du patient. Il est souvent préférable de la mettre en œuvre dans un deuxième temps, quand le travail sur le symptôme a déjà commencé.
Critères diagnostiques du DSM- 5 -TR
Pour porter le diagnostic de trouble neurologique fonctionnel, selon le DSM- 5 -TR,1 les critères A, B, C et D doivent être remplis :
A. une atteinte du mouvement volontaire et/ou d’une ou plusieurs fonctions sensorielles ;
B. un examen clinique montrant une incompatibilité entre les symptômes et les affections neurologiques ou médicales reconnues ;
C. des symptômes pas mieux expliqués par une pathologie médicale ou mentale ;
D. des symptômes ou déficits entraînant une souffrance significative, un retentissement socioprofessionnel ou un autre retentissement justifiant une évaluation médicale.
Le critère A définit le cadre clinique, avec la nécessité d’atteinte motrice (crise fonctionnelle dissociative, déficit moteur, mouvements anormaux, troubles de l’élocution) ou sensorielle (déficit sensitif, cécité ou autre atteinte sensorielle).
Le critère B insiste sur l’importance de rechercher des signes cliniques positifs.
2. Carson A, Lehn A. Epidemiology. Handb Clin Neurol 2016;139:47-60.
3. De Liege A, Carle G, Hingray C, et al. Functional neurological disorders in the medical education: An urgent need to fill the gaps. Rev Neur 2022;178(8):788-95.
4. Carle-Toulemonde G, Hingray C, Alaoui OM, et al. Synthèse des principes et schémas de prise en charge des troubles neurologiques fonctionnels. Encephale 2023;49(4 Suppl):S49-S55.
5. Perez DL, Nicholson TR, Asadi-Pooya AA, et al. Neuroimaging in functional neurological disorder: State of the field and research agenda. Neuroimage Clin 2021;30:102623.
6. Aybek S, Perez DL. Diagnosis and management of functional neurological disorder. BMJ 2022;376:o64.
7. Nielsen G, Stone J, Edwards MJ. Physiotherapy for functional (psychogenic) motor symptoms: A systematic review. J Psychosom Res 2013;75:93-102.
8. Goldstein LH, Robinson EJ, Mellers JDC, et al. Cognitive behavioural therapy for adults with dissociative seizures (CODES): A pragmatic, multicentre, randomised controlled trial. Lancet Psychiatry 2020;7:491-505.