La xénotransplantation rénale désigne la transplantation d’un rein provenant d’une espèce non humaine vers un receveur humain.
Cette approche est envisagée comme une réponse potentielle au déséquilibre croissant entre la demande et l’offre de greffons. En France, au 31 décembre 2019, 41 374 personnes vivaient avec un greffon rénal fonctionnel, tandis que 50 501 étaient encore en dialyse. Chaque année, la demande de greffes augmente, avec un taux de croissance de 6 % en 2019, entraînant une hausse globale de 49 % sur six ans. Le nombre de greffes réalisées reste largement inférieur aux besoins, malgré des solutions comme les greffes ABO-incompatibles, les dons croisés et les greffons issus de donneurs décédés après arrêt cardiaque programmé.1
Historique de la xénotransplantation
L’histoire de la xénotransplantation a débuté au début du XXe siècle avec des tentatives utilisant des reins d’animaux comme ceux de porcs, de chèvres ou de primates, mais les résultats ont été limités par des échecs précoces. Des recherches ont montré que des primates ont pu survivre plus de six mois après une xénogreffe rénale, marquant une étape clé dans la validation préclinique de cette approche.
Aujourd’hui, les avancées technologiques, notamment les techniques d’édition génétique comme CRISPR-Cas9, permettent de modifier génétiquement les porcs afin de réduire les risques immunologiques et d’améliorer la tolérance aux greffons.2 Les études récentes ont démontré l’importance de l’immunomodulation et de la déplétion des lymphocytes T pour allonger la survie des greffons, ouvrant ainsi la voie à des solutions innovantes pour répondre à la demande croissante de greffes. En effet, des recherches à partir de porcs génétiquement modifiés ont été réalisées pour évaluer la viabilité des greffons et l’absence de rejet hyperaigu.
Avancées internationales majeures récentes
Les expériences internationales en xénotransplantation rénale ont connu des avancées majeures ces dernières années grâce à la réalisation de plusieurs greffes compassionnelles sur des patients humains. En 2022, deux reins de porc génétiquement modifiés ont été greffés sur un patient en état de mort cérébrale, qui n’était pas retenu comme candidat pour un don d’organes. Cette transplantation a démontré une absence de rejet hyperaigu, avec une conservation de l’intégrité vasculaire des greffons, une viabilité jusqu’à soixante-douze heures après transplantation et l’absence de transmission de rétrovirus. Bien que les greffons aient produit de l’urine, aucune véritable reprise de fonction rénale n’a cependant été observée.3
En 2024, une première transplantation d’un rein de porc génétiquement modifié sur un humain a constitué une avancée médicale majeure. Malheureusement, le patient est décédé deux mois après l’opération. Les causes du décès ne sont toujours pas aujourd’hui clairement connues.
Une innovation supplémentaire a combiné une pompe cardiaque et une transplantation rénale à partir d’un porc génétiquement modifié, offrant un nouvel espoir à un patient atteint d’une maladie en phase terminale. Probablement à cause d’un bas débit, le greffon a été retiré six semaines après l’opération.
Enfin, une Américaine de 53 ans, dont l’unique rein ne fonctionnait plus, est devenue la troisième personne vivante au monde à recevoir la greffe d’un rein de porc génétiquement modifié. Opérée fin novembre 2024 à New York, cette patiente a malheureusement du être détransplantée du fait d’un rejet quatre mois après sa greffe.
Par ailleurs, en novembre 2025, le premier patient d’un essai clinique a été inclus et transplanté avec un rein de porc de la société United Therapeutics.
Défis persistants
Pour mettre en perspective les résultats actuels de la xénotransplantation rénale avec ses obstacles, il est important de considérer les progrès réalisés dans chaque domaine et les défis qui persistent.
Barrières immunologiques
Rejets hyperaigu et chronique
Les résultats récents montrent des progrès significatifs dans la gestion du rejet hyperaigu, principalement grâce à l’édition génétique des animaux donneurs (notamment les porcs), pour éliminer des antigènes spécifiques responsables du rejet. Par exemple, l’ajout ou l’élimination de certains gènes sur les porcs a permis de réduire le rejet immédiat. Toutefois, le rejet chronique reste un défi majeur. Les résultats des essais précliniques montrent que, même avec une réduction du rejet aigu, la survie des greffons au-delà de quelques mois reste limitée.4
Des chercheurs utilisent des thérapies géniques pour « déprogrammer » les lymphocytes T du receveur, afin de minimiser la réponse immunitaire. Les succès dans la suppression du rejet initial ouvrent la voie à une meilleure gestion du rejet chronique.
Déplétion des lymphocytes T et induction de tolérance
Les travaux sur la tolérance immunitaire ont bénéficié de progrès intéressants. Par exemple, l’utilisation de traitements immunosuppresseurs associés à des stratégies de déplétion des lymphocytes T (ou leur « rééducation » via l’édition génique) a montré des résultats prometteurs dans certains modèles animaux. Cependant, ces résultats sont souvent observés à court terme et n’ont pas encore été démontrés sur le long terme pour garantir la viabilité des greffons.
Problèmes de compatibilité biologique
Différences physiologiques
Les différences entre les organes animaux et humains, notamment les différences de taille, de structure vasculaire et de fonctions métaboliques, compliquent la transplantation. Cependant, des progrès ont été réalisés dans l’ingénierie tissulaire et les greffes vasculaires. De nouvelles approches, comme la modification de la taille des organes à l’aide de techniques de bio-impression, sont en cours d’évaluation.
Des études récentes montrent que la transplantation de reins de porcs génétiquement modifiés pourrait permettre le rétablissement d’une fonction rénale partielle chez des primates pendant quelques mois, avec des adaptations pour gérer les différences physiologiques.
Coagulation et thrombose vasculaire
Les troubles de la coagulation et le risque de thrombose restent un obstacle important. Cependant, l’utilisation de traitements anticoagulants spécifiques et la modification génétique des porcs pour empêcher la formation de caillots ont montré une certaine efficacité dans les modèles animaux. Le défi reste de mettre en place des solutions qui évitent la thrombose tout en maintenant une fonction vasculaire normale du greffon à long terme.
Risque de transmission de rétrovirus endogènes porcins (PERV)
Bien que les progrès réalisés pour éliminer ou inactiver les rétrovirus porcins dans les porcs génétiquement modifiés soient significatifs, ce risque demeure une préoccupation majeure. Les protocoles de surveillance des patients et les stratégies pour minimiser les risques d’infection ont été renforcés, mais l’élimination totale des risques liés aux rétrovirus porcins dans un environnement clinique reste un objectif à long terme. En effet, les PERV sont capables d’intégrer des fragments de matériel génétique dans les cellules hôtes, soulevant un risque théorique de transmission aux receveurs humains. Néanmoins, aucune réplication active de ces rétrovirus n’a été observée ni chez les primates, ni chez les patients ayant reçu une greffe expérimentale. L’utilisation de CRISPR-Cas9 pour éditer les génomes porcins afin d’éliminer ces rétrovirus est prometteuse, et plusieurs lignées de porcs génétiquement modifiés sont désormais dépourvues de PERV.
Durabilité et fonctionnalité du greffon
Survie limitée des greffons dans les études précliniques
Les résultats des études précliniques montrent que, bien que les greffes de reins de porcs génétiquement modifiés aient permis un fonctionnement rénal initial, la fonction rénale à long terme reste souvent partielle ou temporaire. Cependant, des greffes prolongées (plusieurs mois) ont été obtenues dans des modèles primates, marquant une avancée importante.
Les chercheurs travaillent sur des solutions combinées, comme l’édition génique, pour rendre les reins plus résilients et l’utilisation de traitements immunosuppresseurs spécifiques, afin de prolonger la survie des greffons. Mais la recherche doit encore progresser pour garantir une viabilité à long terme.
Complexité des modifications génétiques
L’utilisation de CRISPR-Cas9 a permis des avancées notables, entre autres pour éliminer les gènes responsables du rejet ou des risques pathogènes. Cependant, le processus d’édition génétique reste complexe et nécessite encore des ajustements pour garantir la stabilité génétique des animaux donneurs et la compatibilité avec les receveurs humains.5
Acceptation éthique et sociétale
L’acceptation de la xénotransplantation par la société et les autorités éthiques reste une question délicate. Les préoccupations concernant le bien-être des animaux donneurs et les risques pour les receveurs humains sont au cœur du débat. Cependant, l’avancée des technologies de modification génétique pour créer des animaux « sains » et compatibles avec les humains pourrait atténuer certaines objections.
Les débats éthiques sur la xénotransplantation continuent de se concentrer sur l’utilisation des animaux pour des expériences humaines, mais l’acceptation sociétale pourrait évoluer si les résultats cliniques montrent une sécurité accrue et des bénéfices tangibles pour les patients.
Au-delà des défis biologiques et immunologiques, la xénotransplantation soulève également des enjeux financiers importants. Le coût de développement des porcs génétiquement modifiés, associé aux traitements immunosuppresseurs nécessaires pour prévenir le rejet, représente un investissement considérable. Toutefois, si cette technologie permet à terme de pallier la pénurie d’organes humains, elle pourrait également réduire le coût des traitements chroniques comme la dialyse, tout en améliorant la qualité de vie des patients en attente de greffe.
Encore de nombreux obstacles à surmonter
Les résultats actuels montrent que, bien que de nombreux obstacles à la xénotransplantation rénale aient été réduits, beaucoup restent à surmonter avant qu’elle ne devienne une solution viable à grande échelle. La combinaison de la génétique, de l’immunologie, de la bio-ingénierie et de la médecine régénérative permet d’espérer des solutions aux principaux défis, mais la recherche continue est essentielle pour garantir la durabilité des greffes, la sécurité des patients et l’acceptation sociétale. Ces progrès ouvrent néanmoins des perspectives optimistes pour répondre à la pénurie mondiale de greffons humains dans un avenir proche.
2. Yang L, Güell M, Niu D, et al. Genome-wide inactivation of porcine endogenous retroviruses (PERVs). Science 2015;350:1101-4.
3. Porrett PM, Orandi BJ, Kumar V, et al. First clinical-grade porcine kidney xenotransplant using a human decedent model. Am J Transplant 2022;22:1037-53.
4. Ekser B, Cooper DKC. Overcoming the barriers to xenotransplantation: Prospects for the future. Expert Rev Clin Immunol 2010;6:219-30.
5. Sablik M, Sannier A, Raynaud M, et al. Microvascular inflammation of kidney allografts and clinical outcomes. N Engl J Med 2025;392(8):763-76.