La transplantation d’organes est aujourd’hui l’un des plus grands succès de la médecine moderne. Elle permet de traiter de nombreuses insuffisances d’organes, qu’il s’agisse de l’insuffisance rénale terminale, de l’insuffisance cardiaque avancée, de la cirrhose ou de l’insuffisance respiratoire sévère. Dans toutes ces indications, la transplantation améliore de façon significative la survie et la qualité de vie des patients ; elle permet aussi de réduire, dans certains cas, le coût global pour la société, par rapport aux traitements de suppléance.
Cependant, la transplantation est confrontée à une limite majeure : la pénurie de greffons. En France, plus de 20 000 patients sont inscrits sur liste d’attente, alors que seuls quelques milliers d’organes sont disponibles chaque année. Ce déséquilibre croissant entre besoins et ressources se traduit par des décès réguliers de patients, faute de greffon disponible.1
Dans ce contexte, la xénotransplantation – par opposition à l’allotransplantation, qui utilise des organes d’un autre être humain – propose une alternative radicale : recourir à des organes d’une autre espèce, principalement le porc. Cette approche pourrait offrir un stock théoriquement illimité et disponible rapidement. Elle suscite donc un espoir pour pallier la pénurie, mais soulève également des défis considérables d’ordres immunologiques, infectieux, éthiques et réglementaires.
Xénotransplantation : du concept à la réalité
Les premières tentatives de xénogreffe remontent au XXe siècle, avec l’utilisation d’organes de primates, notamment de chimpanzés, transplantés chez l’homme.2,3 Ces essais se sont soldés par des échecs précoces, en raison d’un rejet hyper-aigu lié à la barrière d’espèce et à des réactions immunologiques incontrôlées. Ces expériences ont aussi mis en lumière les risques infectieux et les questions éthiques inhérentes à la pratique.
Au fil des décennies, le porc s’est imposé comme l’espèce donneuse la plus adaptée : sa physiologie et son anatomie sont proches de celles de l’être humain ; sa reproduction est rapide et son élevage maîtrisé.
Les recherches se sont progressivement concentrées sur le modèle de transplantation d’organes de porc sur des primates non humains, avec des résultats encourageants.
Deux découvertes majeures
L’une des avancées essentielles a été l’identification de l’épitope alpha-1,3 -galactose à la surface des cellules porcines : cet antigène est immédiatement reconnu par le système immunitaire humain et déclenche un rejet super-aigu.
La seconde est l’avènement du génie génétique, et en particulier de la technologie CRISPR-Cas9, qui permet de supprimer ou d’insérer des gènes de manière ciblée.
Grâce à ces découvertes, il est devenu possible de créer des porcs « humanisés », pour lesquels certains gènes porcins responsables d’une réaction immunitaire sont supprimés et des gènes humains codant pour des protéines régulatrices du complément, de la coagulation ou de l’immunosuppression insérés.
Ces avancées ont permis d’obtenir des résultats expérimentaux nettement meilleurs chez les primates, ouvrant la voie à une application clinique.4
Premières mondiales chez l’humain
Depuis 2020, plusieurs transplantations de porcs génétiquement modifiés ont été réalisées chez l’homme.
Des reins ont d’abord été transplantés chez des patients en état de mort encéphalique, démontrant la faisabilité technique et permettant une fonction urinaire transitoire.5
Dans un cadre compassionnel, des cœurs ont ensuite été transplantés chez des patients vivants atteints de cardiopathie terminale.6
Un foie a également été greffé à un patient en état de mort encéphalique, avec une fonction partielle, dans une logique de « bridge transplantation », c’est-à-dire une transplantation temporaire le temps que le foie natif se régénère.7
Plus récemment encore, des transplantations rénales ont été réalisées chez des patients vivants en impasse thérapeutique.8
Ces essais pionniers, menés principalement aux États-Unis, montrent que la xénotransplantation n’est plus un simple concept mais une réalité expérimentale en devenir.
Du côté de la recherche française
La France a joué un rôle historique dans ce domaine, avec notamment les travaux de l’équipe du Pr Gilles Blancho à Nantes.
Aujourd’hui, les recherches se sont intensifiées au sein de l’Institut de transplantation et de régénération des organes de Paris (PITOR, sous la direction du Pr Alexandre Loupy), en collaboration avec un consortium français et des partenaires internationaux tels que l’équipe du Pr Robert Montgomery de l’université de New York.9 - 11
L’approche française se distingue par une analyse multimodale du rejet, associant l’histologie classique, l’immunophénotypage détaillé et la transcriptomique. Cette méthodologie a permis d’identifier des mécanismes immunologiques inédits, dont des signes précoces de rejet humoral médié par les anticorps malgré l’absence de rejet hyper-aigu.9
Sur le plan réglementaire, l’Académie nationale de médecine a récemment appelé à faire de la xénotransplantation une priorité nationale, afin que la France ne prenne pas de retard.12 L’un des enjeux majeurs réside dans la disponibilité des porcs génétiquement modifiés, produits aujourd’hui principalement aux États-Unis et en Asie. Ils pourraient être importés, mais une production nationale est envisagée, avec notamment le projet porté par la société française Xenothera. Les premiers essais français devraient probablement concerner des patients en situation d’impasse thérapeutique ou ayant une immunisation trop importante pour bénéficier d’une allogreffe.
Quels organes sont concernés ?
Parmi les organes concernés, le rein occupe une place prioritaire, compte tenu du nombre de patients dialysés et de la mortalité importante sur liste d’attente.
Le cœur constitue un autre champ privilégié, les alternatives étant limitées en cas de cardiopathie terminale.
Le foie fait l’objet de recherches spécifiques, notamment dans l’optique de transplantations temporaires ou de secours en attendant la régénération du foie natif.
Les îlots de Langerhans suscitent également un grand intérêt pour le traitement du diabète de type 1.
Enfin, des recherches sont en cours concernant le poumon, mais les résultats sont encore très modestes.
Perspectives et alternatives
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration a récemment autorisé les premiers essais cliniques encadrés.
Parallèlement, d’autres pistes continuent d’être explorées, comme le développement d’organes artificiels ou la médecine régénérative, qui consiste en la création d’organes à partir de cellules souches ou d’organoïdes.
Cette dernière option ouvre des perspectives à long terme mais reste encore loin d’une application clinique à grande échelle.
Limites et enjeux
Malgré les progrès, plusieurs obstacles persistent.
Sur le plan immunologique, le risque de rejet demeure possible à court, moyen et long termes. De nouvelles modifications génétiques pourraient théoriquement rendre les organes porcins encore mieux tolérés par le système immunitaire humain, mais cela suppose d’identifier avec précision les cibles moléculaires impliquées dans les réponses immunitaires résiduelles.
Sur le plan infectiologique, il n’a jamais été rapporté à ce jour de transmission d’agent infectieux liée à une xénotransplantation, mais seuls les essais cliniques permettront de confirmer cette sécurité dans la durée. Des craintes initiales concernaient les rétrovirus endogènes porcins (PERV), dont la capacité à infecter des cellules humaines avait été démontrée in vitro.
Cependant, aucune transmission n’a été observée dans les modèles expérimentaux ou lors des premières expériences humaines.
Les enjeux éthiques concernent l’acceptabilité sociétale et la place de l’animal dans la chaîne thérapeutique.
Le coût reste également une limite importante : la création de porcs humanisés nécessite des installations hautement sécurisées et des manipulations génétiques coûteuses, susceptibles de générer des inégalités d’accès.
Enfin, des questions organisationnelles se posent concernant la sélection des receveurs. Les premiers candidats devraient être des patients en impasse thérapeutique, sans accès à un greffon humain ou ayant une immunisation trop importante.
Que dire à vos patients ?
La xénotransplantation n’est pas encore autorisée en France, ni en Europe.
Elle en est encore au stade expérimental, avec quelques essais cliniques menés à l’étranger.
Si elle devait être proposée, ce serait uniquement après information et consentement du patient.
Pour toute question, les patients doivent être orientés vers leur néphrologue et/ou leur urologue référents.
2. Bailey LL, Nehlsen-Cannarella SL, Concepcion W, et al. Baboon-to-human cardiac xenotransplantation in a neonate. JAMA 1985;254(23):3321‑9.
3. Starzl TE, Fung J, Tzakis A, et al. Baboon-to-human liver transplantation. Lancet 1993;341(8837):65‑71.
4. Montgomery RA, Mehta SA, Parent B, et al. Next steps for the xenotransplantation of pig organs into humans. Nat Med 2022;28(8):1533‑6.
5. Montgomery RA, Stern JM, Lonze BE, et al. Results of Two Cases of Pig-to-Human Kidney Xenotransplantation. N Engl J Med 2022;386(20):1889‑98.
6. Griffith BP, Goerlich CE, Singh AK, et al. Genetically Modified Porcine-to-Human Cardiac Xenotransplantation. N Engl J Med 2022;387(1):35‑44.
7. Tao KS, Yang ZX, Zhang X, et al. Gene-modified pig-to-human liver xenotransplantation. Nature 2025;641:1029-36.
8. Kawai T, Williams WW, Elias N, et al. Xenotransplantation of a Porcine Kidney for End-Stage Kidney Disease. N Engl J Med 392(19):1933-40.
9. Loupy A, Goutaudier V, Giarraputo A, et al. Immune response after pig-to-human kidney xenotransplantation: A multimodal phenotyping study. Lancet 2023;402(10408):1158-69.
10. Juric I, Raynaud M, Skoric L, et al. Mapping the Evolution of Solid Organ Xenotransplantation Research: A Systematic Review. Xenotransplantation 2025;32(3):e70058.
11. Schmauch E, Piening B, Mohebnasab M, et al. Integrative multi-omics profiling in human decedents receiving pig heart xenografts. Nat Med 2024;30(5):1448‑60.
12. Académie nationale de médecine. Xénogreffe d’organes : une ambition ancienne devenue prometteuse. Une institution dans son temps. https://bit.ly/4nvCiud