50 nuances de bleu : les secrets de la longévité ?
Les zones bleues (« Blue Zones » en anglais) sont des zones géographiques dans lesquelles la population affiche une longévité remarquable. Ce phénomène a été décrit pour la première fois en 2004 chez une population de Sardaigne.1 Le surnom « zone bleue » dérive de la méthode de recensement des centenaires qui étaient représentés sur la carte de l’île par un point bleu. La méthodologie de recherche de cette étude consistait en quatre étapes :
- Analyser les certificats de naissance des sujets âgés de plus de 100 ans
- Vérifier qu’ils étaient toujours en vie et qu’il n’existait pas d’erreur d’état civil
- Calculer le pourcentage de centenaires nés en Sardaigne entre 1880 et 1900 (« Extreme Longevity Index ») et le comparer au pourcentage dans la zone d’intérêt
- Établir une définition géographique de la zone bleue
L’étude émet l’hypothèse que l’isolement de la région, dans le centre montagneux de l’île, aurait pu limiter le brassage génétique au sein de la population et favoriser certains gènes potentiellement protecteurs contre certaines maladies. Cette théorie semble toutefois difficile à étayer scientifiquement, la consanguinité étant reconnue comme un facteur majeur dans l’expression de comorbidités et la diminution de l’espérance de vie.
Depuis l’étude princeps de 2004, plusieurs autres ont documenté des endroits du globe qui constitueraient de nouvelles zones bleues, notamment l’île d’Ikaria en Grèce.2 L’inclusion de ces localités sur la liste des zones bleues agite la communauté scientifique depuis plusieurs années. À ce jour, Olgiastra (Italie), Okinawa (Japon) et Nicoya (Costa Rica) semblent les plus consensuelles au sein d’une partie des chercheurs (Candal-Pedreira et al., 2025) [figure]. Ikaria, Cilento (Italie), Rugao (Chine), la communauté adventiste du 7e jour de Loma Linda (Californie, États-Unis) et la Martinique sont sujettes à débat.
La longévité exceptionnelle de ces différentes populations semble être multifactorielle et notamment liée à la génétique, l’épigénétique, des facteurs physiologiques et biochimiques (dont le stress oxydatif), le mode de vie et l’alimentation. Pour tenter d’approcher une définition la plus complète et consensuelle possible de la longévité, la sénescence doit être étudiée de manière pluridisciplinaire, à la croisée des sciences, de la médecine et des sciences humaines et sociales.
Entre mythe et réalité
La découverte des zones bleues a suscité un engouement du grand public pour ces supercentenaires, dont le marketing s’est saisi pour commercialiser les « secrets de la longévité ». Les zones bleues sont ainsi devenues un business lucratif, bien loin de la rigueur scientifique, notamment via Dan Buettner, journaliste à National Geographic, qui, dès 2005, a eu l’idée de déposer la marque « Blue Zones ». Il a ensuite publié plusieurs best-sellers et animé une série Netflix diffusée en 2023 qui ont contribué à l’essor d’une tendance qui cherche à arrêter, voire « inverser », le vieillissement.
Cette propagande marketing ne fait pas l’unanimité chez certains scientifiques qui considèrent qu’il n’existe pas de « recette miracle » pour vivre une vie longue et en bonne santé. Une récente revue de la littérature scientifique sur les zones bleues3 souligne le manque global d’études à large échelle qui prendraient en compte le statut socioéconomique des populations, la profession et le recours aux services médicaux. Par ailleurs, les travaux de Saul Newman, chercheur au University College London et à Oxford (Royaume-Uni), révèlent des problèmes de fond dans les publications sur les zones bleues, notamment liées à des erreurs d’état civil et des fraudes aux pensions de retraite qui ont conduit à considérer certaines personnes comme plus âgées qu’elles ne l’étaient, ou à comptabiliser des personnes décédées.4 Il démontre que les « zones bleues » affichent systématiquement un niveau socioéconomique faible où on pourrait s’attendre à observer, au contraire, une espérance de vie plus basse que dans des zones plus aisées ; la pauvreté et, par conséquent, la pression à commettre des fraudes dans ces zones sont étroitement corrélées à la prévalence de centenaires. Une enquête menée par le gouvernement du Japon en 2010 appuie son hypothèse en révélant que 82 % des centenaires comptabilisés jusque-là étaient en réalité morts ou disparus. Les travaux de Newman ont été récompensés en 2024 par le Prix Ig-Nobel dédié aux recherches insolites qui font réfléchir.
Longévité et bien vieillir, une préoccupation de santé publique
À la lumière des dernières études, il apparaît nécessaire de mener des recherches complémentaires rigoureuses pour affiner notre compréhension des paramètres qui influencent la longévité à l’échelle mondiale. De telles recherches pourraient étayer des stratégies sur le bien-vieillir, préoccupation majeure de santé publique en France. En effet, la France est le pays européen qui compte le plus de centenaires en proportion et en nombre absolu,5 et les statistiques prévoient qu’un tiers de la population pourrait avoir plus de 60 ans en 2050.6 Cependant, le nombre d’années vécues en bonne santé y est inférieur à celui de plusieurs pays6 et les politiques de santé publique mettent désormais l’accent sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes vieillissantes plutôt que sur l’allongement de la durée de vie.
Les zones grises sur la longévité ne sont donc pas encore totalement levées ; quel chemin reste-t-il à parcourir pour améliorer la durée de vie en bonne santé ?
2. Poulain M, Herm A, Errigo A, et al. Specific features of the oldest old from the Longevity Blue Zones in Ikaria and Sardinia. Mech Ag Dev 2021;198:111543.
3. Candal-Pedreira C, Rey-Brandariz J, Martín-Gisbert L, et al. Blue Zones, an Analysis of Existing Evidence through a Scoping Review. Aging Dis 4 juin 2025.
4. Newman SJ. Supercentenarian and remarkable age records exhibit patterns indicative of clerical errors and pension fraud. bioRxiv 14 mars 2024.
5. Blanpain N. 30 000 centenaires en France en 2023, près de 30 fois plus qu’en 1970. Insee 5 avril 2023.
6. Santé publique France. Bien vieillir. 27 janvier 2025.