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Avez-vous appris à disparaître ?
Cette question peut sembler provocatrice. Elle est pourtant fondamentale. Dans un système de santé en tension permanente, où le manque de médecins se fait cruellement sentir, avons-nous encore le droit de nous absenter ? Osons-nous seulement envisager de « disparaître » ?
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : non pas de simples vacances, mais de notre capacité à nous extraire temporairement de cette relation de dépendance qui s’est insidieusement installée avec nos patients. Une dépendance à double sens, d’ailleurs : eux à notre disponibilité, nous à leur besoin de nous.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 50 % des jeunes médecins souhaiteraient exercer à temps partiel (contre seulement 15 % qui le font vraiment).1 Près de 86 % considèrent l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle comme primordial.2 Une évidence dans la plupart des professions, presque une hérésie dans la nôtre. Comme si le serment d’Hippocrate nous condamnait à une disponibilité perpétuelle.
Pourtant, la question mérite d’être posée : un médecin épuisé est-il un bon médecin ? Un praticien qui ne prend jamais de distance peut-il maintenir la qualité de son jugement clinique ? La réponse est évidente, mais sa mise en pratique l’est beaucoup moins.
Le paradoxe est là : alors que toutes les études montrent l’importance des temps de pause rien que pour la performance cognitive, nous continuons à cultiver ce mythe du médecin infatigable, toujours disponible, jamais absent, jamais en arrêt.
Des solutions existent pourtant. L’organisation entre deux confrères, quand elle est possible. La téléconsultation, utilisée avec discernement. Le travail en groupe, le travail avec assistant médical… Autant d’outils qui permettent d’envisager une pratique médicale plus équilibrée, sans sacrifier la qualité des soins.
Mais au-delà des aspects organisationnels, c’est peut-être notre rapport au temps et à la disponibilité qu’il faut repenser. Apprendre à disparaître, ce n’est pas abandonner nos patients. C’est, au contraire, nous donner les moyens d’être pleinement présents quand nous sommes… présents.
De plus en plus de médecins ne sont plus prêts à sacrifier leur vie personnelle sur l’autel de leur vocation. J’en fais partie. La médecine de demain devra intégrer ce besoin légitime d’équilibre, sous peine de voir encore plus de praticiens quitter la profession.
Alors, oui, il est temps d’apprendre à disparaître. D’assumer que notre absence temporaire n’est pas un abandon, mais une nécessité. De mettre en place des organisations qui permettent ces temps de pause sans culpabilité. De réinventer une nouvelle forme de disponibilité médicale.
Car, au fond, la vraie question n’est pas « avons-nous le droit de disparaître ? », mais plutôt « pouvons-nous nous permettre de ne pas le faire ? ».
Notre santé mentale, la qualité de nos soins et l’avenir même de notre profession en dépendent.
À vous, chers confrères, qui lisez ces lignes : quand avez-vous vraiment disparu pour la dernière fois ?
2. CNOM. Enquêtes sur les déterminants à l’installation. 11 avril 2019.