C’est là le paradoxe de cette profession : experts en santé, les médecins sont souvent les derniers à prendre soin de la leur. Entre deux consultations, le Dr Maxim Challiot aborde ici des sujets parfois tabous : santé mentale des médecins, autoprescriptions, rapport à l’erreur, à l’échec… Il s’agit d’explorer les vulnérabilités propres à ce métier, mais surtout de découvrir les outils concrets et les ressources pour rester des soignants en bonne santé.

Entre 15 h 47 et 16 h…

Il est 15 h 47. Je fixe mon écran d’ordinateur, le curseur clignotant sur une ordonnance inachevée. Dans la salle d’attente, mes patients patientent. Comme tous les jours. Comme tous les médecins. Pourtant, quelque chose est différent aujourd’hui.

Je ressens ce besoin urgent de partager avec vous ce que seize années de double vie m’ont appris. Seize ans à être simultanément des deux côtés du bureau médical. À 16 ans, alors que je découvrais ma vocation de médecin, la maladie chronique m’a rattrapé, me condamnant à cette danse perpétuelle entre soignant et soigné.

Cette position unique m’a offert une perspective rare sur notre profession. J’ai vu nos forces, mais aussi nos failles. J’ai observé comment nous, médecins, prodiguons les meilleurs conseils à nos patients tout en les ignorant pour nous-mêmes. Comment nous prêchons l’importance du sommeil entre deux gardes de 24 heures. Comment nous recommandons une alimentation équilibrée en avalant un sandwich triangle à 16 h, premier « repas » de la journée. Les capacités surprenantes de nos vessies aussi.

Et c’est là le paradoxe de notre profession : experts en santé, nous sommes souvent les derniers à prendre soin de la nôtre. Les chiffres sont là, implacables : épuisement professionnel, troubles du sommeil, addictions, suicide – nous sommes une population à risque qui s’ignore ou qui préfère s’ignorer.

Au fil de ces billets mensuels, nous explorerons ensemble ces vulnérabilités propres à notre métier, mais surtout, nous découvrirons les outils concrets, les ressources disponibles et les stratégies de prévention qui peuvent nous aider à rester des soignants en bonne santé. Car prendre soin de nous n’est pas un luxe, c’est un devoir – envers nous-mêmes et envers nos patients.

Cette chronique n’est pas un manuel de plus sur « comment être un bon médecin ». C’est une invitation à la réflexion, un espace où je partagerai avec vous ces moments de doute, de rire et parfois de larmes qui font de nous des soignants profondément humains.

Chaque mois, entre deux consultations, je vous parlerai de nos défis quotidiens : la fatigue qui nous habite, le syndrome de l’imposteur qui nous guette, ces patients qui nous marquent, ces collègues qui nous inspirent. Nous explorerons ensemble ces sujets parfois tabous : notre propre santé mentale, nos limites, nos autoprescriptions, notre rapport à l’erreur, à l’échec.

Car si mes années de pratique et de maladie m’ont appris une chose, c’est que notre plus grande force réside peut-être dans notre vulnérabilité assumée. Dans notre capacité à reconnaître que derrière la blouse blanche se cache un être humain, avec ses forces et ses fragilités.

Je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Mais je sais que chacune de nos expériences, chacun de nos questionnements, peut résonner chez un confrère, une consœur, et peut-être faire germer cette idée essentielle : nous ne sommes pas seuls.

Alors si vous le voulez bien, retrouvons-nous ici chaque mois. Entre deux consultations. Entre deux vies. Entre ce que nous sommes et ce que nous aspirons à être.

Il est 16 h maintenant. Dans ma salle d’attente, les patients s’impatientent. Mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens moins seul. Car je sais que quelque part, vous aussi, vous vivez ces moments. Ces moments entre deux consultations, où tout devient possible.

Billet #1 – Avez-vous appris à disparaître ?

Billet #2 – Et vous, quelle est votre soupape ?

Pour en savoir plus
1. Les Echos Études. Jeunes médecins, portrait d’une génération pas comme les autres.  9 janvier 2024.
2. CNOM. Enquêtes sur les déterminants à l’installation.  11 avril 2019.

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