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Sommeil : quand le médecin prescrit ce qu’il ne peut s’appliquer
J’espère que, comme moi, vous avez bien disparu cet été.
23 h 17. Le réveil sonne dans six heures. Dans le silence du cabinet déserté, les dossiers en attente s'accumulent. Les derniers mails aux confrères viennent d'être envoyés. Une consultation téléphonique tardive vient de s'achever. Demain, dès 8 h, la salle d'attente sera pleine. Ironie du sort : parmi les conseils que nous donnerons, reviendra certainement l'importance d'un sommeil réparateur.
Cette question du sommeil n'est pas une simple affaire de fatigue passagère, c'est un enjeu majeur qui touche particulièrement notre profession. Les études le montrent : près de deux tiers des médecins généralistes déclarent des troubles du sommeil. Beaucoup d'entre nous se réveillent trop tôt, l'esprit déjà occupé par la journée à venir, privés de ce sommeil réparateur que nous recommandons pourtant à nos patients.
Ce paradoxe m'interpelle souvent dans ma pratique libérale. Comment conseillez efficacement sur le sommeil quand notre propre rythme est bousculé par les urgences, la paperasse tardive, les inquiétudes pour certains patients ? Les études le montrent : en moyenne, un médecin dort 45 minutes de moins qu'un adulte de la population générale. Ce n'est pas anodin. Cette dette de sommeil accumulée n'affecte pas seulement notre vigilance – elle impacte subtilement notre capacité de décision, notre disponibilité relationnelle, notre résistance au stress quotidien du cabinet.
Combien d'entre nous ont déjà ressenti cette somnolence au volant en rentrant d'une journée marathon ? Ou connu ces périodes où l'anxiété de la journée du lendemain empêche justement de récupérer pour y faire face ? Ce cercle vicieux où la fatigue nourrit l'anxiété, qui elle-même perturbe le sommeil, nous est familier. Et parfois, dans notre quotidien chargé, nous recourons à des solutions de facilité qui ne font qu'aggraver le problème : un café de trop, un verre pour « décompresser », voire une aide médicamenteuse que nous nous auto-prescrivons.
Pourtant, des solutions existent. Au fil de mes années de pratique, j'ai observé que la prévention commence par de petits gestes : oser dire non à ce remplacement quand le corps supplie de nous reposer, établir des rituels de décompression après les gardes, aussi sacrés que nos protocoles médicaux.
Dans nos cabinets, nous pourrions commencer par de petites adaptations : une plage horaire sanctuarisée pour déjeuner tranquillement, une organisation des rendez-vous qui respecte nos moments de vigilance optimale, pourquoi pas une sieste rapide entre deux consultations quand c'est possible. Et surtout, nous autoriser collectivement à reconnaître que prendre soin de notre sommeil fait partie intégrante de notre efficacité professionnelle – pas l'inverse.
Plus profondément, il s'agit de questionner cette culture médicale héritée de nos études, où la résistance à la fatigue était presque valorisée. Beaucoup d'entre nous avons intégré l'idée que notre disponibilité permanente primait sur notre propre repos. Peut-être est-il temps de nous rappeler ce que nous savons pourtant scientifiquement : le sommeil n'est pas un luxe ou une faiblesse – c'est un besoin physiologique de base, essentiel pour notre santé comme pour celle de nos patients.
Notre formation nous a appris à déceler les signes de fatigue chez nos patients, à en comprendre l'impact sur leur santé. Appliquons-nous ces mêmes principes ? Récemment, lors d'un groupe d'échange entre pairs, un confrère partageait avoir finalement réorganisé ses horaires pour préserver ses nuits – avec pour résultat une efficacité accrue pendant ses consultations et une satisfaction retrouvée dans son exercice.
Ces petits ajustements individuels, ces discussions entre confrères, ces partages d'expériences peuvent progressivement transformer notre rapport au sommeil. Non par culpabilité, mais par simple pragmatisme : un médecin reposé est un médecin plus présent, plus efficace, plus satisfait de sa pratique. Chaque nuit de sommeil préservée devient alors un investissement dans la qualité des soins que nous prodiguons.
Alors, chers confrères, prenons le temps de réfléchir sereinement : quelles petites modifications pourrions-nous apporter à notre organisation pour préserver ce temps précieux de récupération ? Notre sommeil mérite peut-être la même attention que celle que nous accordons à nos patients.