La maladie d’Alzheimer s’installe de façon insidieuse, avec une longue phase silencieuse qui constitue une fenêtre d’opportunité pour agir, tant sur le dépistage que sur la prévention. De nouvelles approches émergent pour mieux identifier les personnes à risque et réduire l’incidence de la maladie. Tour d’horizon.

La maladie d’Alzheimer (MA) est une maladie à la biologie complexe. L’hypothèse physiopathologique la plus probable implique l’accumulation dans le cerveau d’agrégats de protéines β-amyloïde et tau, associée à la neuro-inflammation, même si les mécanismes impliqués ne sont pas complètement élucidés. Quoi qu’il en soit, la maladie s’installe sur une vingtaine d’années ou plus, avec, en amont des troubles cognitifs sévères, une longue phase de troubles cognitifs légers qui n’interfèrent pas ou peu avec l’autonomie, elle-même précédée d’une période totalement asymptomatique.

À l’heure actuelle, le diagnostic formel de MA repose sur l’association d’un trouble cognitif évocateur et de la signature biologique de la maladie d’Alzheimer. Celle-ci est recherchée par le dosage des biomarqueurs Aβ, tau et phospho-tau dans le liquide cérébrospinal, et dans certaines indicationspar l’imagerie des plaques amyloïdes (et prochainement des protéines tau) en TEP-scan.

Mais les avancées récentes sur les biomarqueurs sanguins précoces, combinées aux outils d’intelligence artificielle (IA), devraient bientôt permettre d’identifier avec une grande précision les personnes à haut risque de développer la maladie d’Alzheimer, et ce, des années avant l’apparition des premiers signes de déficit cognitif léger.

Prédire l’apparition de la maladie : des outils de plus en plus précis

Des antécédents familiaux de la maladie d’Alzheimer et la présence de variantes génétiques comme APOE4 (allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E) sont connus pour être des facteurs de risque de développer la maladie, d’où la mise au point d’un score de risque polygénique fondé sur ces variants génétiques. Mais cet outil ne permet pas de déterminer si et quand les symptômes vont apparaître (s’ils se manifestent à 60 ans ou à 95 ans, l’enjeu n’est évidemment pas le même).

Dans ce contexte, les biomarqueurs protéiques sanguins spécifiques sont plus prometteurs. Un test qui mesure la quantité d’une protéine mal repliée appelée p-tau217 (protéine tau phosphorylée en thréonine- 217) différencie avec précision la maladie d’Alzheimer des autres formes de démence. Bien que plusieurs autres biomarqueurs sanguins aient été rapportés, la p-tau217 se distingue par la fiabilité et la spécificité de ses prédictions. Elle s’est révélée aussi fiable, voire supérieure, à la p-tau217 mesurée dans le liquide céphalorachidien (ponction lombaire), et aussi précise qu’une imagerie de la protéine tau. Sa concentration plasmatique augmente progressivement dès les stades initiaux de la maladie, ce qui en fait un candidat idéal pour le dépistage très précoce. D’autres marqueurs protéiques ont également été corrélés au risque de maladie d’Alzheimer (plusieurs protéines tau phosphorylées comme p-tau181, la protéine acide fibrillaire gliale (GFAP), la chaîne légère de neurofilament (NfL), des protéines plasmatiques inflammatoires) : leur dosage pourrait être combiné à celui de la p-tau217 pour améliorer la précision diagnostique. Le monitoring de ces marqueurs serait également utile pour suivre l’efficacité des mesures de prévention, à l’instar de la réduction du cholestérol LDL pour les maladies cardiovasculaires.

En parallèle, d’autres stratégies fondées sur l’IA émergent. Une étude parue dans Nature a évalué par exemple la possibilité de prédire la maladie d’Alzheimer à partir d’images rétiniennes obtenues par tomographie en cohérence optique – angiographie (OCTA). Lorsqu’elles sont analysées par une IA utilisant l’apprentissage profond, ces dernières peuvent prédire le risque d’Alzheimer dans les cinq années suivantes chez des personnes asymptomatiques.

Prévenir : ce qui marche

Au-delà des anticorps monoclonaux anti-amyloïde bêta, dont l’efficacité demeure à ce jour décevante, de nombreuses études se sont attachées à identifier des stratégies de prévention. En première ligne figurent celles visant à modifier les facteurs liés au mode de vie. Des interventions combinant des mesures alimentaires, de l’activité physique, de l’entraînement cognitif et le contrôle de facteurs de risque cardiovasculaires (CV) ont montré une efficacité dans l’amélioration de paramètres cognitifs chez des patients ayant un risque accru de déclin cognitif, dans un vaste essai randomisé finlandais.

L’activité physique en particulier a montré ses bénéfices, à la fois dans des études observationnelles et randomisées, sur l’amélioration de la fonction cognitive et la réduction du risque de démence. Plus récemment, desessais ont mis en évidence une association entre activité physique modérée à intense et ralentissement de l’élévation plasmatique de la p-tau217.

L’alimentation jouerait aussi un rôle important. Dans une étude parue dans Nature suivant plus de 100 000 participants sur 30 ans, seulement 9 % ont atteint l’âge de 70 ans sans maladies chroniques, y compris Alzheimer. Leur alimentation était riche en fruits, légumes et céréales, pauvre en viande rouge, et globalement de type méditerranéen.

D’autres recherches ont souligné l’importance d’une bonne hygiène de sommeil, notamment la quantité de sommeil profond, période durant laquelle se produit l’élimination des déchets métaboliques du cerveau.

La récente commission Lancet sur la démence a conclu qu’environ 70 % des cas sont dus à la maladie d’Alzheimer et que 45 % d’entre eux sont évitables. Les stratégies de prévention, outre les mesures citées plus haut, incluent :

  • le contrôle de facteurs de risque CV : prise en charge de l’hypertension, du diabète, de l’hypercholestérolémie et de l’obésité ;
  • le traitement des pertes auditives et visuelles, ainsi que de la dépression ;
  • la réduction de la consommation d’alcool et l’arrêt du tabac ;
  • la prévention des traumatismes crâniens.

La prise en charge des facteurs de risque CV dès l’âge moyen semble primordiale, une étude de cohorte suggérant qu’ils seraient responsables de 22 à 44 % des cas de démence incidentes à 80 ans.

D’autres axes de prévention se dégagent actuellement.

Une « expérience naturelle » remarquable – assimilable à une forme de randomisation en conditions réelles (Nature Medicine, 2024) – a montré que la vaccination contre le zona pourrait exercer un effet protecteur vis-à-vis de la démence. D’autres études observationnelles ont suggéré un bénéfice similaire avec la vaccination contre la grippe. Bien que ces résultats ne démontrent pas une origine virale de la maladie d’Alzheimer, ils soutiennent l’hypothèse selon laquelle la réponse immunitaire déclenchée par certains vaccins serait capable de lutter contre la neuro-inflammation.

En plein essor, l’utilisation des agonistes du GLP- 1 a été associée à la réduction du risque d’Alzheimer dans des études observationnelles. Ces molécules seraient plus efficaces que la metformine dans la prévention de la démence (surtout de type non vasculaire) chez des patients diabétiques. Ce bénéfice potentiel serait lié à leurs effets sur la neuro-inflammation. Plusieurs essais contrôlés randomisés sont en cours pour évaluer leur intérêt dans la prise en charge précoce de la maladie d’Alzheimer.

Depuis quelques années, le microbiote intestinal émerge comme un facteur clé d’augmentation de la susceptibilité à cette maladie neurodégénérative. Plusieurs études ont mis en évidence des altérations spécifiques dans la composition du microbiote chez les patients atteints. Récemment, des chercheurs ont montré que des rats transplantés avec le microbiote de patients Alzheimer avaient un déclin cognitif significatif par rapport à ceux recevant la flore intestinale de sujets sains.

Enfin, pour les personnes à haut risque de MA, des médicaments oraux à forte pénétration cérébrale sont à l’étude, tels qu’un agent ciblant la protéine NLRP3 impliquée dans l’inflammation.

Pour en savoir plus
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