À l’heure où les compléments alimentaires sont en plein essor dans l’Hexagone, la Société française de nutrition a publié une mise au point sur le sujet. Limites de sécurité, effets indésirables possibles, interactions, indications, ainsi que des repères pour les praticiens.

Compléments alimentaires : comment s’y retrouver ? 

Définis en France par décret, les compléments alimentaires constituent une catégorie très large ; en effet, elle regroupe « les denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui sont une source concentrée de nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses […] destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ». La Société française de nutrition a publié en juillet 2025 un article dans sa revue scientifique rappelant leur définition, les normes les entourant, mais aussi leurs risques.

Tout d'abord, les spécialistes rappellent qu'une large variété de compléments alimentaires existent : les micronutriments (vitamines et minéraux), mais aussi les plantes et préparations de plantes, les huiles essentielles, les prébiotiques, les probiotiques, les produits de la ruche, les algues et produits de la mer, les champignons, ainsi que les substances chimiquement définies – hors micronutriments et substances possédant des propriétés exclusivement pharmacologiques : acides gras, acides aminés, mélatonine (< 1,9 mg/jour, sinon il s’agit d’un médicament)… La gamme de leurs ingrédients est encore plus vaste, englobant une grande partie des denrées alimentaires.

Bien moins encadrés que les médicaments, avec leur absence d’autorisation de mise sur le marché ou de prescription obligatoire, les compléments alimentaires ne sont pourtant pas dénués de risques pour la santé, comme le rappellent les auteurs de l’article – même s’ils peuvent constituer une source de micronutriments pour des personnes en déficit (voir encadré). Afin de mieux encadrer la composition des micronutriments, l’Anses a rendu un avis en juillet 2024 pour mettre à jour l’arrêté du 9 mai 2006 relatif aux limites supérieures de sécurité (LSS) et aux doses journalières maximales (DJM) pour les apports en micronutriments via les compléments alimentaires (tableau 1 pour les vitamines, tableau 2 pour les minéraux). Ces limites prennent en compte l’apport en micronutriments provenant d’autres sources alimentaires – mais les auteurs avertissent toutefois que « le non-respect des doses recommandées ou l’association éventuelle à une alimentation déjà enrichie en ces substances font courir le risque d’effets délétères par dépassement des limites de sécurité ».

La LSS est définie par l’Anses comme « l’apport journalier chronique maximal d’une vitamine ou d’un minéral considéré comme peu susceptible de présenter un risque d’effets indésirables sur la santé de toute la population ». Selon l’agence, les DJM permettent de leur côté « de garantir aux forts consommateurs d’aliments vecteurs du nutriment de ne pas dépasser la LSS », et en l’absence de LSS « de fixer une limite raisonnable, permettant au sujet en déficit d’apport ou carencé d’atteindre le statut des forts consommateurs ». Des tableaux équivalents pour les enfants (1 à 10 ans) et les adolescents (11 à 17 ans) se retrouvent dans le document de l’Anses.

Quels risques ? 

Outre les risques liés à une consommation excessive (voir tableau 3 pour le cas des micronutriments), les compléments alimentaires sont associés à d’autres risques, comme les interactions entre molécules combinées dans les compléments. Les auteurs en donnent plusieurs exemples :

  • les interactions compétitives dans l’absorption des différentes vitamines liposolubles (processus d’absorption communs aux vitamines D, E et K + effet inhibiteur potentiel de la vitamine A sur l’absorption des autres vitamines liposolubles) ;
  • les fortes doses de cations divalents (fer, calcium, magnésium, zinc, cuivre) peuvent aussi être en compétition au niveau de leur absorption (par exemple, un apport élevé en zinc diminue l’absorption du cuivre et un apport élevé en calcium diminue l’absorption du magnésium) ;
  • certains antioxydants (naringénine, caroténoïdes, polyphénols) peuvent diminuer l’absorption des vitamines liposolubles (notamment D et E).
 

« Au-delà des attentes irrationnelles susceptibles de retarder la prise en charge d’une éventuelle pathologie, de substituer un médicament actif par une substance inefficace ou de moindre efficacité », les compléments alimentaires peuvent aussi interagir avec des traitements pharmacologiques, soulignent les scientifiques. En guise d’illustrations, ils citent plusieurs interactions bien établies :

  • la reine des prés potentialise l’effet des salicylés et des AINS ;
  • le thé vert augmente les effets indésirables des sympathomimétiques (dopamine, phényléphrine…) ;
  • la glycyrrhizine du réglisse interfère avec les antihypertenseurs ;
  • la curcumine peut potentiellement réduire l’efficacité ou l’innocuité des anticoagulants et des immunosuppresseurs ;
  • la pipérine inhibe potentiellement le métabolisme de médicaments et peut donc augmenter leur toxicité.
 

« Ces risques sont majorés par le fait que les personnes consommatrices de compléments alimentaires y ont souvent recours sans en parler avec leur médecin  », ajoutent les chercheurs. Ainsi, dans une étude menée dans la cohorte NutriNet santé, « 35 % des sujets atteints de cancer ayant recours à des compléments alimentaires le faisaient sans en avoir discuté avec leur médecin ». Une revue de la littérature évalue que 23 à 72 % des patients ne révèlent pas leur recours aux médecines complémentaires ou alternatives à leur médecin, pour plusieurs raisons – par ordre d’importance, ils pensent qu’ils n’ont pas à le faire, car les médecins ne connaissent pas ces approches ; le médecin ne leur a pas demandé ; par peur de la réaction du médecin.

Face à cette situation, l’Anses a émis les recommandations suivantes pour limiter les risques d’interactions avec les médicaments :

  • demander l’avis d’un professionnel de santé avant de consommer un complément alimentaire ;
  • éviter les prises prolongées, répétées ou multiples ;
  • respecter les conditions d’emploi ;
  • se méfier des produits présentés comme miraculeux ;
  • privilégier les circuits de distribution contrôlés.
 

Enfin, il existe des risques d’événements indésirables propres aux compléments alimentaires, qui ne sont pas forcément liés à une surdose. Ils peuvent se rapporter par exemple à la toxicité de certains ingrédients, comme des extraits de plantes disposant de données de toxicologie insuffisantes, ou à la présence de polluants environnementaux dans certains produits en raison de leur mode de fabrication. En tout, 2 décès et 18 événements très graves suite à la prise de compléments alimentaires ont été recensés entre 2016 et 2024 en France par l’Anses. Pour mieux recenser et signaler ces événements, l’Anses dispose depuis 2009 de la plateforme Nutrivigilance ouverte à tous (mais il est conseillé aux particuliers de prendre contact avec un professionnel de santé pour remplir cette déclaration). Elle a enregistré plus de 5 000 déclarations, avec près de 1 000 par an des dernières années. L’analyse des données de cette plateforme ont amené l’Anses à de nouvelles mises en garde concernant certains produits :

  • en raison d’effets cumulés ou synergiques, il est recommandé de ne pas associer la p-synéphrine (présente dans des compléments alimentaires « minceurs » à base de fruits de citrus) avec la caféine, ou avec toute substance aux effets cardiovasculaires similaires. Les populations à risque accru d’effets indésirables (personne sous traitement pour l’hypertension, cardiopathies, dépression), les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les adolescents ne doivent pas consommer de compléments alimentaires contenant cette substance ;
  • prendre conseil auprès d’un professionnel de santé avant de consommer un complément alimentaire contenant de la levure rouge de riz, et s’en abstenir en cas de prise de statines ou de fibrates ;
  • effets potentiellement indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires visant le développement musculaire ou la diminution de la masse grasse (parfois causés par l’incorporation illégale de substances dopantes ou de caféine) ;
  • pour les femmes enceintes, ne pas consommer de compléments alimentaires contenant de la vitamine D et de l’iode sans l’avis d’un professionnel de santé ;
  • la spiruline ne constitue pas une source fiable de vitamine B12 pour les populations végétaliennes et est déconseillée aux individus atteints de phénylcétonurie ou présentant un terrain allergique ;
  • la consommation de compléments alimentaires contenant du curcuma est déconseillée aux personnes atteintes de maladie des voies biliaires ;
  • la consommation de mélatonine doit être évitée ou soumise à l’avis d’un médecin en particulier chez les femmes enceintes et allaitantes, les enfants et les adolescents, les personnes souffrant de maladies inflammatoires, auto-immunes, d’épilepsie, d’asthme, de troubles de l’humeur, du comportement ou de la personnalité, ainsi que les personnes qui suivent un traitement médicamenteux.
 

« Le bénéfice éventuel de la consommation de compléments alimentaires doit être évalué sérieusement, en concluent les auteurs. Il est donc nécessaire que les professionnels de santé soient particulièrement informés des dispositifs de surveillance et qu’une formation adéquate leur soit fournie durant leurs études et leur vie professionnelle.  »

Reste-t-il des indications ? 

Dans un deuxième article, la société française de nutrition s’est attelée à répondre à la question de la couverture des besoins en micronutriments en France. Est-elle possible sans recours aux compléments alimentaires ? Une alimentation équilibrée permet théoriquement de couvrir ces besoins. Toutefois, les auteurs rapportent qu’une analyse des apports nutritionnels en Europe a montré, pour la population générale, une prévalence moyenne d’inadéquation des apports en micronutriments :

  • supérieure à 21 % de la population pour les vitamines B9 et D, le sélénium et l’iode chez les adultes (19 - 64 ans) et les personnes âgées (> 64 ans), et pour la vitamine C chez les adultes ;
  • entre 11 et 20 % pour le cuivre dans les populations adultes et âgées, et pour la vitamine B12 dans la population âgée ;
  • inférieure à 10 % de la population pour le zinc et le fer.
 

De plus, les auteurs soulignent des catégories de personnes particulièrement exposées à des déficits en micronutriments :

  • les personnes en situation de pauvreté (risque de déficit en vitamines A, E, C, B1, B6, B9, D, et en calcium, magnésium, potassium, zinc) ;
  • les personnes âgées (nombreuses carences souvent observées chez les personnes âgées fragiles, notamment vitamines B1, B2, D, calcium, magnésium et sélénium chez les personnes vivant à domicile) ;
  • les petits mangeurs ou les personnes en restriction calorique : les régimes à visée amaigrissante exposent à ne pas couvrir les besoins en certains micronutriments, notamment le fer et les vitamines C et D ;
  • les personnes végétariennes ou végétaliennes : les régimes végétariens et végétaliens peuvent être déficitaires en calcium, fer, zinc, sélénium, iode et vitamines D et B12.
 

« En termes de recommandations, il est important dans un premier temps, d’identifier les besoins non couverts et leurs causes afin de mettre en place des actions pour les couvrir par des aliments courants, accessibles, faciles à préparer, notent les auteurs. La prise d’un complément alimentaire sera justifiée dans un deuxième temps, si la personne ne peut pas couvrir un ou plusieurs de ses besoins nutritionnels par son alimentation. Comme la prise de compléments peut avoir des effets indésirables, le recours à un professionnel de santé est recommandé pour toute justification. »

Références
Bertin E, Chanséaume-Bussiere E, Rousseau-Ralliard D, et al. Mise au point sur les compléments alimentaires. Cahiers Nutr Diét 2025;60(4):215-24.
Reboul E, Morio B, Amiot-Carlin MJ, et al. Couverture des besoins en micronutriments : est-ce possible sans recours aux compléments alimentaires ?  Cahiers Nutr Diét 2025;60(4):236-42.
Pour en savoir plus :
Martin Agudelo L. Entretien avec le Pr Luc Cynober. Compléments alimentaires : plus de risques que de bienfaits ?  Rev Prat Med Gen 2022;36(1072);490-1.
Barthélémy C, Brissot P, Danis M, et al. (Bien)faits et méfaits des compléments alimentaires. Rev Prat 2022;72(6);605.
Martin Agudelo L. Vitamines, minéraux : quand supplémenter en 2025 ?  Rev Prat (en ligne) 13 mars 2025.

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