La consommation d’alcool augmente chez les femmes alors que leur vulnérabilité à ses dégâts est plus grande
Depuis quelques années, les femmes boivent davantage d’alcool, avec des modalités de consommation qui se rapprochent de celles auparavant observées majoritairement chez les hommes, notamment les alcoolisations massives et rapides dites « binge-drinking » ou API. Les dernières données de Santé publique France, pour la période 2017 - 2021, montrent que ce type de consommation a considérablement augmenté, notamment chez les femmes âgées de 55 à 64 ans et de 35 à 44 ans : le pourcentage déclarant avoir eu une API dans l’année était respectivement de 15 % et 28 %, contre 12 % et 23 % en 2017. Les femmes sont de plus en plus ciblées par des campagnes publicitaires des industriels alcooliers, ce qui ne fait qu’accentuer cette tendance…
Or, cette consommation génère chez les femmes des dégâts qui, à même quantité consommée, sont plus graves et plus précoces que chez les hommes :
- moindre tolérance (ivresse accélérée) ;
- toxicité somatique accrue, notamment hépatique et neurocognitive ;
- complications spécifiques : cancer du sein, non-considération de l’altération du consentement favorisant les agressions, dépression périnatale, alcoolorexie (privation alimentaire pour réduire les apports caloriques et accélérer les effets d’ivresse) ;
- effets psycho-sociaux aggravés : violences subies, perte d’estime de soi, etc. ;
- les comorbidités favorisant la consommation sont parfois aussi plus fréquentes : traumatismes (notamment sexuels), discriminations de genre et violences subies, troubles anxieux, de l’humeur, des conduites alimentaires.
Cette vulnérabilité accrue des femmes face à l’alcool résulte de facteurs physiologiques, dont un métabolisme enzymatique moindre, et sociétaux – les stéréotypes liés au genre aggravant le jugement moral et la stigmatisation.
Le tabou sur le sujet alcool et les freins des soignants à l’aborder sont amplifiés vis-à-vis des femmes, résultant en un défaut de repérage et d’accompagnement. Au contraire, favoriser l’accès à l’information et aux aides permet de lutter contre la honte, le renoncement aux soins et, in fine, les inégalités de genre en santé.
Interroger toutes les patientes, tout au long de leur vie, sur leur consommation
Pour ces raisons, la HAS publie aujourd’hui, pour la première fois, une série de ressources pratiques pour aider les professionnels de santé de premier recours à repérer systématiquement la consommation d’alcool chez toutes les patientes et les accompagner pour diminuer les risques liés à celle-ci. Elles complètent un premier volet dédié à la population générale, publié en 2023.
Le but est de :
- faire de l’alcool un sujet de santé comme les autres pour toutes les femmes, tout au long de leur vie (pas seulement en cas de grossesse, de complication apparente ou d’usage problématique) : la HAS exhorte en effet à considérer toute exposition à l’alcool comme un risque amplifié pour les femmes ;
- informer, repérer et agir en ayant conscience des spécificités des femmes face à l’alcool, qui expliquent leur plus grande vulnérabilité et l’importance d’une prise en charge spécifique (v. ci-après) ;
- pour la période périnatale : sensibiliser les hommes autant que les femmes à l’ensemble des risques liés à l’alcool affectant la fertilité, le pronostic de la grossesse, la santé de la femme enceinte, le développement embryofœtal, la santé de l’enfant, la parentalité (v. encadré).
Les acteurs de premier recours ont une place privilégiée pour accompagner les femmes en ce sens, en raison de leur bonne connaissance de leur réalité (affective, familiale, sociale) et de leurs besoins, et par un suivi dans la continuité.
Ils peuvent s’appuyer sur des structures ou dispositifs adaptés aux femmes : professionnels dédiés à la santé féminine (génitale, sexuelle, périnatale) et à l’aide psychologique et sociale ; microstructures médicales addictions ; consultations « femmes et alcool » (en secteur hospitalier ou CSAPA) ; groupes de parole et associations d’entraide dédiés aux femmes ; plateformes numériques assurant l’anonymat, comme « Alcool info service » de Santé publique France.
S’adapter aux spécificités féminines
Si les modalités d’accompagnement pour diminuer les risques liés à l’alcool en population générale sont tous applicables aux femmes (approche motivationnelle, psychothérapie, soutien social et des compétences psychosociales, réduction des risques et des dommages, pair-aidance, etc.), les spécificités précédemment mentionnées impliquent d’adapter l’accompagnement de chaque patiente en portant attention :
- à toutes les dimensions de sa santé : notamment génitale (santé sexuelle, contraception, procréation, ménopause, etc.), mais aussi psychique, affective, sociale, etc. ;
- ses besoins et priorités, dont l’éviction des violences, discriminations ou situations d’emprise ;
- sa temporalité (notamment familiale) et au respect de son intimité, en évitant tout jugement moral ;
- son environnement et contexte de vie comme cibles potentielles d’aide.
Sept fiches-outils thématiques viennent compléter les dix fiches précédemment dédiées à la population générale (raison pour laquelle elles sont numérotées de 11 à 17), afin d’adapter les modalités d’accompagnement à ces spécificités :
Fiche 11. Les usages d’alcool de l’entourage peuvent affecter la santé des femmes et la périnatalité.
Fiche 12. La garantie du respect du secret professionnel en matière d’usages d’alcool.
Fiche 13. Approche psychothérapeutique des femmes en situation d’exposition à l’alcool.
Fiche 15. Adaptation du réseau partenarial aux situations et besoins des femmes exposées à l’alcool.
Une synthèse « Diminuer le risque alcool des femmes : les points critiques en premier recours » est également téléchargeable sur ce lien.
Messages clés pour la périnatalité
La question « alcool et périnatalité » n’est pas réservée aux femmes ; elle concerne aussi les hommes. En effet, quel que soit le sexe, la consommation d’alcool altère la fertilité, le pronostic de la grossesse et le développement fœtal (les malformations congénitales, troubles neurodéveloppementaux et retard de croissance résultent non seulement de la consommation des femmes durant la grossesse, mais aussi de celles des hommes avant et durant la conception par toxicité épigénétique médiée par les spermatozoïdes). La consommation d’alcool peut aussi affecter la parentalité de chacun (effets comportementaux de négligence et violences à l’égard des femmes, incitation à consommer…).
Ainsi, diminuer les risques liés à l’alcool pesant sur la fertilité, la grossesse, le développement de l’enfant et la parentalité implique de :
- informer au plus tôt dans la vie génitale, et régulièrement, hommes et femmes de ces risques et des moyens de les diminuer ;
- proposer aux futurs parents toutes les options d’aide au changement de comportement vis-à-vis de l’alcool ;
- en cas d’exposition périnatale à l’alcool, proposer un avis et/ou une orientation au sein du réseau périnatalité pour un suivi adapté, un dépistage néonatal des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) et un suivi développemental de l’enfant.
En prévention des TSAF, la consigne autant pour les femmes que pour les hommes est : zéro alcool dès le projet d’enfant ou l’arrêt de la contraception (tout en rappelant que si cet objectif ne peut être atteint, tout arrêt ou toute baisse de consommation, à quelque moment que ce soit, est bénéfique dans une logique de réduction des risques).
HAS. Accompagner dès le premier recours pour diminuer le risque alcool des femmes. 6 février 2025.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Entretien avec le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve. Femmes et alcool : quelles spécificités ? Rev Prat Med Gen 2021;35(1055);118-20.