Le risque de thrombose veineuse est l’effet délétère le plus fréquent lors de l’utilisation d’une contraception hormonale œstroprogestative. Ce risque est-il plus important chez les femmes porteuses d’une thrombophilie ?
Le terme thrombophilie sous-tend deux aspects différents à prendre en compte : l’aspect biologique, avec l’existence d’une anomalie de l’hémostase activant la coagulation et augmentant le risque de maladie veineuse thromboembolique (MVTE), et l’aspect clinique, avec l’existence d’un apparenté au premier degré ayant eu un accident veineux thromboembolique à un âge jeune.
Ces deux aspects, conférant une augmentation du risque de MVTE, sont donc fondamentaux à prendre en compte pour la stratégie contraceptive afin d’optimiser la balance bénéfice-risque de la contraception hormonale.
Thrombophilies biologiques
Le tableau 1 liste les thrombophilies constitutionnelles à prendre en compte, avec leur date de découverte et leur prévalence.1
Deux catégories d’anomalies constitutionnelles sont actuellement classiquement recherchées :
- les anomalies associées à une perte de fonction, qui correspondent à des déficits en inhibiteurs de la coagulation (antithrombine, protéines C et S) ;
- les anomalies associées à un gain de fonction. Par exemple, la mutation R506Q du gène du facteur V Leiden (qui induit une résistance congénitale à la protéine C activée [RPCA]2) et la mutation G20210A du gène de la prothrombine (facteur II).
Les anomalies du fibrinogène (a-, hypo- et dysfibrinogénémies) peuvent être associées, dans certaines familles, à un risque de MVTE, mais il s’agit de situations tout à fait exceptionnelles.3
Il faut, bien sûr, tenir compte des anomalies acquises de la coagulation. La principale anomalie biologique acquise reconnue clairement comme un facteur de risque de MVTE est le syndrome des antiphospholipides (anticoagulant circulant de type lupique, associé ou non à une augmentation des anticorps anticardiolipine et/ou d’anticorps anti-β2GP1). Ce syndrome peut être isolé ou secondaire, dans le cadre d’un lupus érythémateux systémique ou d’une autre maladie auto-immune.
Les anomalies acquises ne sont, par définition, pas congénitales. Ainsi, la recherche d’un syndrome biologique des antiphospholipides ne doit pas être réalisé lors d’une enquête familiale chez les sujets asymptomatiques, elle doit être réservée aux patients avec antécédent personnel de thrombose veineuse ou artérielle.
La détection d’une hyperhomocystéinémie a longtemps été réalisée. Elle n’est plus recommandée dans le cadre d’un bilan de thrombophilie biologique.
Toutes les thrombophilies biologiques n’induisent pas le même niveau de risque thromboembolique. Le tableau 1 résume ces différents risques.
L’incidence la plus élevée est observée chez les porteurs de déficit en antithrombine (1,7 %), la plus faible chez les patients porteurs d’un facteur V Leiden hétérozygote (1,5 pour 1 000 patients-années). Les progrès en génétique ont permis de mieux typer le déficit en antithrombine. Il existe ainsi différents types de déficit avec des niveaux de risque différents. Il est donc conseillé, en cas de dépistage d’un déficit en inhibiteur de la coagulation ou de toute autre anomalie de la coagulation incertaine, d’adresser en consultation spécialisée la jeune femme afin de mieux déterminer le risque de MVTE. Cette indication est importante notamment pour les grossesses ultérieures et les préventions à adopter dans ce contexte.
Thrombophilies cliniques familiales
En cas d’antécédent familial de MVTE, il faut tenir compte à la fois du degré de parenté (premier degré, autres degrés) et du nombre de personnes ayant thrombosé dans la famille. Le risque de MVTE est multiplié par un facteur de 3 à 4 sans tenir compte des facteurs biologiques associés.5 L’âge au moment de la thrombose de l’apparenté est important à prendre en compte. Ainsi, le risque de thrombose est trois fois plus important si l’âge de survenue de la MVTE est inférieur à 45 - 50 ans, et ceci que le patient soit porteur ou non d’une mutation du facteur II ou du facteur V.6 Plus le nombre d’apparentés ayant thrombosé est élevé, plus le risque est important. Si le nombre d’apparentés ayant thrombosé est supérieur à 3, le risque est de 53,7 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 25,6 - 108,5).5
Plusieurs facteurs doivent être précisés en cas d’antécédent familial de MVTE avant toute prescription de contraception hormonale œstroprogestative :
- âge de survenue de l’épisode familial ;
- présence ou non d’un facteur déclenchant ;
- localisation de la thrombose veineuse (distale, proximale) ;
- type d’événement thromboembolique (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, thrombose veineuse cérébrale, thrombose veineuse superficielle…) ;
- nombre d’apparentés atteints.
Qui dépister et quel bilan prescrire ?
Un dépistage systématique de thrombophilie biologique n’est pas recommandé avant une prescription de contraception hormonale car il n’est probablement pas coût-efficace, même si les évaluations effectuées dans ce domaine sont limitées méthodologiquement.7 En revanche, il est proposé de prescrire systématiquement un bilan de thrombophilie constitutionnelle chez les patients de moins de 50 ans ayant eu une thrombose proximale et spontanée ou provoquée par un facteur déclenchant mineur (ou chez la femme dans un contexte hormonal).4 Après une thrombose veineuse superficielle, un bilan est proposé chez la femme jeune si l’événement est survenu spontanément sur veines non variqueuses ou dans un contexte hormonal.4 En cas de thrombose distale, les recommandations ne sont pas claires. Le raisonnement nous semble identique à celui de la thrombose veineuse superficielle. En effet, le résultat du bilan de thrombophilie (personnel et/ou familial) a un impact potentiel sur une grossesse ultérieure. Il est toujours important de réaliser un bilan initial chez le ou les apparenté(s) ayant thrombosé lorsque cela est possible.
En l’absence d’événement personnel et dans l’impossibilité de tester l’apparenté ayant thrombosé, le bilan comprend les examens suivants :
- taux de prothrombine (TP), temps de céphaline activée (TCA), fibrinogène ;
- taux d’antithrombine, protéine C, protéine S ;
- recherche des mutations des facteurs II et V Leiden (consentement obligatoire).
La mesure de la résistance à la protéine C activée (longtemps réalisée) n’est plus remboursée.
En cas d’événement personnel, s’ajoute à ce bilan la détection des causes acquises (syndrome des anticorps antiphospholipides [SAPL] biologiques…).
Contraception et risque de MVTE en cas de thrombophilies constitutionnelles
Contraception œstroprogestative ou progestative seule, le risque n’est pas le même.
Contraception œstroprogestative
Plusieurs méta-analyses ont été publiées, permettant d’estimer les risques de thrombose veineuse (tableau 2) chez les femmes utilisatrices de COP porteuses des principales thrombophilies biologiques.8,9 Le risque relatif de MVTE est le plus important chez les utilisatrices de COP ayant une mutation du facteur V Leiden. L’estimation de ce risque est la plus précise compte tenu de la plus grande fréquence de cette thrombophilie. Il faut ainsi regarder les bornes supérieures des intervalles de confiance des autres anomalies biologiques montrant que ce risque est probablement plus élevé mais mal estimé compte tenu de leur rareté.
De plus, il existe un effet synergique de l’association facteur V Leiden-COP sur le risque de MVTE, qui a été récemment estimé par deux études épidémiologiques.10,11 Cet effet synergique dépend du type de COP utilisé, il est d’autant plus important que la COP est à climat œstrogénique dominant.
Par ailleurs, les femmes ayant une thrombophilie congénitale et qui utilisent une COP développent non seulement plus souvent une thrombose veineuse mais aussi plus rapidement (au cours des premiers mois d’utilisation) comparativement aux femmes sans anomalie biologique.12
Contraception progestative seule
Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude épidémiologique ayant évalué le risque de la contraception progestative seule chez les femmes ayant une thrombophilie biologique. Mais compte tenu de l’absence de modification de la coagulation par les contraceptions progestatives seules par voie orale (lévonorgestrel, désogestrel, drospirénone), implant ou dispositif intra-utérin ( DIU), aucune augmentation de risque de MVTE n’est attendue. Ce n’est pas le cas des contraceptions injectables par acétate de médroxyprogestérone (MPA), qui sont contre-indiquées dans ce contexte.
Quelle contraception en cas de thrombophilie biologique ?
Toutes les COP, quels que soient la voie d’administration (orale, patch ou anneau vaginal) et le type d’œstrogène (estétrol, estradiol ou éthinylestradiol), sont contre-indiquées chez les femmes ayant une thrombophilie biologique.
La contraception injectable par acétate de médroxyprogestérone est également contre-indiquée.
Toutes les autres stratégies contraceptives sont autorisées : DIU au cuivre ou au lévonorgestrel, pilules progestatives, implant sous-cutané, contraception définitive en cas de projet parental accompli.
Quelle contraception en cas de thrombophilie clinique familiale ?
En théorie, dans un contexte de thrombophilie clinique familiale, pour les autorités de santé et les sociétés savantes (CNGOF), la contraception œstroprogestative et l’acétate de médroxyprogestérone sont contre-indiqués si l’apparenté a eu un événement thromboembolique avant l’âge de 50 ans et quels que soient les facteurs favorisants.13 Si les autres stratégies contraceptives sont mal tolérées, une discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée doit être proposée.
2. Dahlback B, Carlsson M, Svensson PJ. Familial thrombophilia due to a previously unrecognised mechanism characterized by poor anticoagulant response to activated protein C: Prediction of a cofactor to activated protein C. Proc Natl Acad Sci USA1993;90:1004-8.
3. Casini A, Abdul Kadir R, Abdelwahab M, et al. Management of pregnancy and delivery in congenital fibrinogen disorders: Communication from the ISTH SSC Subcommittee on Factor XIII and Fibrinogen. J Thromb Haemost 2024;22(5):1516-21.
4. Trillot N, Marlu R, Suchon P, et al. Prescription et réalisation d’un bilan biologique à la recherche d’une thrombophilie : propositions du GFHT 2022. Partie I : aspects cliniques et prescription dans la maladie thromboembolique veineuse classique. Rev Francoph Hemost Thromb 2022;4(3):133-52.
5. Zoller B, Li X, Sundquist J, et al. Age- and gender-specific familial risks for venous thromboembolism: A nationwide epidemiological study based on hospitalizations in Sweden. Circulation 2011;124:1012-20.
6. Couturaud F, Leroyer C, Julian JA, et al. Factors that predict risk of thrombosis in relatives of patients with unprovoked venous thromboembolism. Chest 2009;136:1537-45.
7. Vernon E, Hiedemann B, Bowie BH. Economic evaluations of thrombophilia screening prior to prescribing combined oral contraceptives: A systematic and critical review. Appl Health Econ Health Policy 2017;15(5):583-95.
8. Wu O, Robertson L, Langhorne P, et al. Oral contraceptives, hormone replacement therapy, thrombophilias and risk of venous thromboembolism: A systematic review. The Thrombosis: Risk and Economic Assessment of Thrombophilia Screening (TREATS) Study. Thromb Haemost 2005;94:17-25.
9. van Vlijmen EF, Wiewel-Verschueren S, Monster TB, et al. Combined oral contraceptives, thrombophilia and the risk of venous thromboembolism: A systematic review and meta-analysis. J Thromb Haemost 2016;14(7):1393-403.
10. Hugon-Rodin J, Horellou MH, Conard J, et al. Type of combined contraceptives, factor V Leiden mutation and risk of venous thromboembolism. Thromb Haemost 2018;118(5):922-8.
11. Khialani D, le Cessie S, Lijfering WM, et al. The joint effect of genetic risk factors and different types of combined oral contraceptives on venous thrombosis risk. Br J Haematol 2020;191(1):90-7.
12. Bloemenkamp KW, Rosendaal FR, Helmerhorst FM, et al. Higher risk of venous thrombosis during early use of oral contraceptives in women with inherited clotting defects. Arch Intern Med2000;160:49-52.
13. Plu-Bureau G, Sabbagh E, Hugon-Rodin J. Contraception hormonale et risque vasculaire. RPC Contraception CNGOF. Contraception Guidelines. Gynecol Obstet Fertil Senol 2018;46(12):823-33.