Interview du Pr Pierre Tattevin (service des maladies infectieuses et réanimation médicale, CHU Pontchaillou, Rennes ; président de la Société de pathologie infectieuse de langue française), réalisée le 25 mai.
Quels enseignements peut-on tirer de l’épidémie ?
On a appris beaucoup de choses sur ce virus : comment il se transmet, la durée de contagiosité. On connaît les personnes les plus à risque : les sujets âgés avant tout, ensuite les immunodéprimés, les obèses… On a repéré aussi le moment où le risque d’aggravation est maximal : quel que soit le terrain, il se situe 7 à 10 jours après les premiers symptômes. C’est une particularité de cette infection. Parmi les patients qui décompensent, on a l’impression qu’il y a deux grands profils : certains s’aggravent à cause de la progression du virus (ils ont des PCR très positives à 7-10jours) ; d’autres, en raison de la réponse du système immunitaire, très puissante, alors qu’ils ont une charge virale presque nulle. Cet« orage cytokinique »est décrit dans d’autres contextes infectieux (par exemple, lors d’un choc septique sur une infection urinaire ou des voies biliaires), mais dans ces cas il survient dans les tout premiers jours. Chez les patients Covid, il est décalé… on ne sait pas pourquoi ! Il est possible que le virus ait tendance à retarder la réponse inflammatoire pour augmenter ses chances de bien s’installer dans l’organisme.
Anosmie, engelures, maladie thromboembolique, Kawasaki… ces manifestations n’ont pas été décrites initialement par les Chinois. Pourquoi ?
Les manifestations dermatologiques, le Kawasaki sont des atteintes rares, on peut comprendre qu’elles n’aient pas été repérées. De même, pour le risque de thrombose, qui existe dans d’autres infections graves. En revanche, la perte brutale de l’odorat est un symptôme vraiment caractéristique, fréquent, qu’on ne voit ni dans la grippe ni dans la pneumonie à pneumocoques. Il a été décrit initialement en France et au Royaume-Uni…
Il y a trois explications possibles à cette découverte tardive. La première : en fonction du fonds génétique des populations, les manifestations cliniques sont différentes. La deuxième hypothèse serait que le virus ait évolué, conduisant à l’apparition de nouveaux symptômes. La troisième fait appel plus aux représentations culturelles et sociétales : dans certains contextes, la perte de l’odorat n’est pas considérée comme un symptôme à signaler à son médecin, alors que chez nous, les patients ont l’habitude de tout confier aux soignants, ce qui permet de découvrir des symptômes moins préoccupants, mais très utiles au diagnostic !
La gestion des patients Covid hospitalisés a-t-elle évolué par rapport au pic de l’épidémie ?
Les critères d’hospitalisation n’ont pas changé. Concernant les traitements, il y a deux grandes pistes thérapeutiques : les antiviraux et les immunosuppresseurs, de type corticoïdes ou anti-IL-6. Mais malgré presque 200 000 cas en France, au niveau thérapeutique, on en sait à peine plus qu’il y a 3 mois. Malgré les efforts qui ont été déployés très tôt dans la recherche pour évaluer les différentes molécules, je ne peux pas vous citer un médicament dont on est sûr qu’il apporte un bénéfice. Même Discovery, un essai très solide, ne permet pas de conclure pour le moment. Mais de nombreuses études sont encore en cours…
Et au niveau des techniques de ventilation ?
Certains patients qui arrivent en réanimation doivent être intubés précocement, dès les premiers signes de détresse respiratoire ; pour d’autres, il suffit d’utiliser des techniques non invasives pendant quelques jours. On a eu tendance à moins intuber les patients dans la 2e partie de l’épidémie, en privilégiant l’oxygène à haut débit, avec des résultats plutôt bons. Toutefois, c’est un moyen de dissémination du virus très puissant, à cause de la formation d’aérosols. Mais si on est bien protégé, on peut faire « passer le cap » au patient avec ces dispositifs sans risque pour les soignants.
Avez-vous identifié des marqueurs pronostiques ?
On n’a pas trouvé des choses très originales, même dans la cohorte française Corimmuno-19, qui avait l’objectif d’identifier des marqueurs immunologiques d’évolution favorable ou défavorable de la maladie. La lymphopénie est probablement un marqueur de mauvais pronostic, comme un syndrome inflammatoire très marqué (CRP). Quant aux D-dimères, ils ont une bonne valeur prédictive négative : s’ils ne sont pas augmentés, le patient n’a pas d’embolie pulmonaire.
Que deviennent les patients après hospitalisation ?
On a un recul de quelques semaines seulement, en France, actuellement. La bonne nouvelle, c’est qu’on a vu dans plusieurs équipes que des patients dont l’état était préoccupant à la phase aiguë et qui ont passé plusieurs semaines en réanimation ont récupéré de façon spectaculaire. Dans notre service, ils ont bénéficié d’une rééducation précoce avant de quitter l’hôpital, et on a été agréablement surpris par la rapidité de la récupération. Même devant des cas graves, il ne faut pas baisser les bras, il faut s’accrocher !En revanche, il y a un phénomène qui nous interroge. Nous avons suivi en extérieur, grâce à l’application MyCHU, des patients plutôt jeunes, sans comorbidité, ayant eu initialement des formes modérées. Un certain nombre de ces malades (moins de 10 %) n’ont pas retrouvé, à 6 semaines, leur état de santé antérieur. Même s’ils se sont améliorés (ils n’ont plus de fièvre et moins de toux), ils restent fatigués et essoufflés. C’est trop tôt pour tirer des conclusions sur ces tableaux…
Propos recueillis par Cinzia Nobile, La Revue du Praticien