Une précédente étude de cohorte danoise a montré qu’un diagnostic de pyélonéphrite posé à l’hôpital était associé à une incidence de cancer urogénital multipliée par 9 dans les 6 mois suivant l’infection. Mais jusqu’alors, il n’existait aucune étude de grande envergure examinant le risque de cancer urogénital nouvellement diagnostiqué après une cystite aiguë prise en charge en soins primaires.
Une cohorte de 3,5 millions de personnes
Afin d’évaluer ce risque, des chercheurs suédois ont réalisé une étude portant sur le Total population register (1968 - 2018), une cohorte nationale comportant les données sociodémographiques et médicales de plus de 70 % de la population suédoise (7,4 millions de personnes). Au sein de cette cohorte, les auteurs se sont restreints aux hommes et femmes ≥ 50 ans au 1er janvier 1997. Après exclusion des personnes ayant eu un diagnostic de cancer urogénital dans les 3 ans précédant la période d’étude, la population incluse comptait 3 557 582 personnes (53,1 % de femmes ; âge moyen à l’inclusion ± écart-type = 65,8 ± 11,6 ans). Au sein de cette cohorte, le suivi moyen individuel (± écart-type) a duré 15,6 ± 7,3 ans. De 1997 à 2018, 605 557 patients de cette cohorte ont reçu un diagnostic de cystite aiguë, posé dans 91,3 % des cas en soins primaires. Le critère de jugement principal de l’étude était le ratio d’incidence standardisé (RIS)1 et l’excès de taux de cancer par 10 000 personnes-années2 pour les cancers urogénitaux dans la cohorte cystite.
Risque accru de cancer de la vessie
Les résultats sont parus le 16 septembre 2025 dans BMJ Public Health. Dans la première année suivant le diagnostic de cystite aiguë, et tout particulièrement dans les 3 premiers mois, le RIS de cancer urogénital nouvellement diagnostiqué était significativement > 1 pour les deux sexes, notamment pour le cancer de la vessie :
- RIS = 33,69 (IC 95 % = [32,02 ; 35,43]) chez les hommes, avec un excès de taux de cancer urogénital de 483,72 par 10 000 personnes-années (IC 95 % = [483,43 ; 484,02]) ;
- RIS = 30,00 (IC 95 % = [28,02 ; 32,09]) chez les femmes, avec un excès de taux de cancer urogénital de 96,00 par 10 000 personnes-années (IC 95 % = [95,63 ; 96,37]).
Le RIS et l’excès de taux de cancer de la vessie restaient élevés dans l’année post-cystite, puis diminuaient au fil du temps – tout en restant significativement plus importants qu’en population générale, même plus de 5 ans après la cystite.
Le risque de cancer diagnostiqué dans les 3 mois post-cystite était aussi particulièrement élevé pour le cancer du rein (RIS = 11,28 pour les hommes, RIS = 7,72 pour les femmes), le cancer du col de l’utérus (RIS = 7,67), et le cancer de la prostate (RIS = 7,05). L’augmentation était moindre, mais restait significative, pour le cancer de l’endomètre (RIS = 4,30) et de l’ovaire (RIS = 5,83). Pour tous ces cancers, les auteurs ont aussi trouvé des RIS significativement > 1 dans l’année suivant le diagnostic de cystite.
Deux hypothèses
Comment expliquer ces résultats ? Une hypothèse serait que les changements des organes urogénitaux lors d’une transformation cancéreuse et précancéreuse pourraient augmenter le risque de cystite aiguë, en compromettant les voies urinaires et les défenses immunitaires. Autre possibilité : certains cancers urogénitaux, notamment ceux touchant les voies urinaires, pourraient causer des symptômes similaires à la cystite aiguë.
Si cet article a plusieurs points forts (taille et durée de suivi de la cohorte, utilisation de registres de santé de haute qualité et de données de soins primaires), il a aussi des limites. La principale : le diagnostic de cystite aiguë n’a pas pu faire l’objet d’une validation microbiologique, avec la possibilité d’erreurs de diagnostic.
Qu’en retenir ?
Ces résultats indiquent que la cystite aiguë peut précéder les cancers urogénitaux chez les hommes et les femmes de 50 ans et plus. Les risques de nouveau diagnostic de cancer urogénital sont particulièrement élevés dans les 3 mois post-cystite aiguë, et persistent un an, voire plusieurs années après la cystite pour certains cancers (notamment ceux de la vessie, des reins, de l’endomètre, et de l’ovaire). Pour les auteurs, un cancer urogénital occulte (et notamment un cancer de la vessie ou de la prostate) devrait donc être considéré chez les ≥ 50 ans ayant des symptômes de cystite aiguë.
Notes :
1. Il s’agit du ratio « nombre de cas de cancer observé / nombre de cas attendu dans la population totale ». Un RIS > 1 indique un excès d’incidence dans la cohorte étudiée (en l’occurrence, la cohorte des patients ayant eu une cystite aiguë).
2. Calculé en comparant le nombre de cas de cancer observé avec le nombre de cas attendu, en le divisant par le suivi total en personnes-années (soit le produit du nombre de personnes suivies par leur durée moyenne d’observation). Une personne-année correspond par exemple au suivi d’une personne pendant un an, ou de deux personnes pendant 6 mois.
Pour en savoir plus :
Martin Agudelo L. Angine et cystite : les pharmaciens pourront prescrire les antibiotiques sans ordonnance. Rev Prat (en ligne) 18 juin 2024.
Nobile C. Entretien avec le Pr François Desgrandchamps. Cystites récidivantes : les stratégies qui ont fait leurs preuves. Rev Prat (en ligne) 2 août 2022.
Martin Agudelo L. Un nouvel antibiotique pour traiter les cystites. Rev Prat (en ligne) 26 février 2024.
Martin Agudelo L. Infections urinaires masculines : traiter moins longtemps. Rev Prat (en ligne) 14 mai 2024.
Mallordy F. Saignement sous anticoagulants : évoquer un cancer. Rev Prat (en ligne) 12 septembre 2025.