Complotisme et théories antivaccins
Le précédent mandat de Donald Trump s’était terminé quelques mois après le début de la pandémie de Covid 19. Le 14 novembre, il a nommé Robert Kennedy Junior – homme politique notoirement antivaccins qui avait retiré in extremis sa candidature dans cette campagne au profit de Donald Trump – à la tête du ministère de la Santé pour ce second mandat (sa nomination doit encore être confirmée par le Sénat). Ce militant avait suggéré « que le virus du Covid19 était ethniquement ciblé pour nuire aux personnes noires et aux personnes blanches, tout en épargnant les Ashkénazes et les Chinois ». Et bien avant la pandémie, il avait remis en cause l’efficacité et la sécurité des vaccins, prétendant qu’ils pouvaient être en cause dans l’augmentation des cas de troubles du spectre autistique. Plus mesuré depuis la campagne électorale, il a nié vouloir empêcher quiconque de se faire vacciner mais affirmé qu’il souhaitait « améliorer la science de la sécurité des vaccins », qui, selon lui, « présente d'énormes lacunes (…) : je veillerai à ce que les études scientifiques sur la sécurité et l'efficacité des vaccins soient disponibles et à ce que les gens puissent évaluer individuellement si ce produit est bon pour eux ». La fin des vaccinations exigibles aux États-Unis ?1
Suppression du fluor dans l’eau du robinet ?
Robert Kennedy Jr a également déclaré que l'administration Trump recommanderait la suppression d’ajout de fluor dans l'eau potable, utilisé pour la lutte contre les caries dentaires. Il affirme en effet qu'« il est presque certain » que la fluoration est responsable d’une perte de quotient intellectuel chez les enfants. Il se réfère à une décision récente d'un juge californien nommé par Barack Obama : celui-ci avait demandé à l’EPA (Environmental Protection Agency) de revoir la réglementation sur les niveaux de fluor ajouté dans l’eau du robinet, après qu’un rapport d’une agence fédérale de toxicologie a trouvé une association entre des niveaux élevés de fluor dans l’eau et une diminution du QI des enfants (> 1,5 mg/L, un taux plus de deux fois supérieur à celui des recommandations américaines [0,7 mg/L]). Les experts de L’American Dental Association et de l’American Academy of Pediatrics ont réaffirmé les bénéfices des recommandations actuelles d’ajout du fluor et ont fait valoir que si celui-ci peut être dangereux à certaines concentrations, la relation entre le dosage et le risque pour la santé à une exposition plus faible n'est pas claire.2 Ces considérations n’ont cependant pas modifié le positionnement de M. Kennedy.
Lutte contre les maladies chroniques et les addictions : un autre des combats affichés
Le but affirmé en la matière est la diminution des maladies chroniques dans les deux ans avec des impacts mesurables.
L’obésité est placée au premier plan de cette ambition, mais en pratique, rien n’est clair : quels moyens pour remplir cet objectif ? Quels objectifs quantifiables ? En revanche, oui, un discrédit est jeté sur la Food and Drug Administration, dont les fonctionnaires de la section Nutrition seraient « ineptes et ne [feraient] pas leur travail ».
La consommation problématique d’opioïdes (en particulier de fentanyl) est un autre des fléaux sanitaires que Donald Trump aspire à combattre. L’administration Biden avait privilégié l’accès des usagers du fentanyl aux traitements et aux stratégies dites de réduction des risques. Le discours de Donald Trump est bien plus répressif : il projette de faire la « guerre à la drogue » et de lutter contre les cartels. Ses proches ne reculent pas devant les amalgames, attribuant à l’immigration la responsabilité de cette addiction funeste.
L’accès universel aux soins remis en cause
L'espérance de vie aux États-Unis ne cesse de reculer. En 2022, elle y était estimée à 77,5 ans (contre 82,2 ans dans les pays de l’OCDE) en baisse de 1,3 an par rapport à 2019. La pandémie de Covid19 explique en partie cette baisse mais, dans les autres pays, le niveau prépandémique a quasiment été recouvré. Ce n’est pas le cas des États-Unis, probablement du fait de la prévalence des maladies chroniques (en particulier, du diabète3). Comment comprendre alors la promesse renouvelée de Donald Trump (qui a échoué lors de son précédent mandat) de supprimer l’Obamacare ? Ce dispositif a en effet permis que, en 2023, le taux national des non-assurés tombe à un niveau historiquement bas de 7,7 %. Cette promesse n’est-elle pas en contradiction avec son souhait affiché de lutter contre les maladies chroniques ?
L'Obamacare a été complété en 2022 par l'Inflation Reduction Act (IRA), qui permet à Medicare de négocier les prix des médicaments les plus chers. Ces mesures déplaisent aux Républicains qui estiment qu'elles entravent l'innovation thérapeutique. Quoi qu'il en soit, ils n'ont pas non plus proposé de mesures alternatives pour contenir l'inflation des coûts de la santé.
Santé mondiale : le recul
En matière de santé planétaire, Donald Trump souhaite clairement se désengager de l’aide mondiale : il est fort probable qu’il rejette le futur « traité pandémies » en cours de négociation par les pays membres de l'OMS, visant à améliorer la prévention, la préparation et la riposte face aux futures pandémies.
Mais le pouvoir du président américain est-il réel en matière de santé publique ?
Le président n'a pas le pouvoir d'interdire un vaccin ou la fluoration de l'eau. Aux États-Unis, la santé publique relève essentiellement de la compétence des États (mais ces derniers sont majoritairement dirigés par des élus Républicains et donc sous la coupe du nouveau président !). Par exemple, ce sont les États qui déterminent quels vaccins sont exigibles. Lawrence Gostin, expert en droit de la santé à l’université de Georgetown, affirme qu’il est très probable que, si la FDA (Food and Drug Administration) décidait de retirer l'autorisation d’un médicament ou d’un vaccin pour des raisons purement politiques, la Cour suprême annulerait cette décision, même si elle est composée d’une majorité de juges conservateurs.4 Et, en amont de toute affaire portée devant cette dernière, les scientifiques des CDC (Centers for Disease Control and Prevention ou Centres de contrôle et prévention des maladies), de la FDA ou des NIH (National Institutes of Health ou Instituts nationaux de la santé) refuseraient certainement d'être influencés politiquement alors que la santé publique est en jeu.
Néanmoins, il y a fort à parier que Donald Trump nommera ses fidèles à la direction de ces autorités. Le Centre pour la sécurité alimentaire et la nutrition appliquée (Center for Food Safety and Applied Nutrition) de la FDA risque d'être fondamentalement modifié, voire supprimé. Cette disparition grèverait l'analyse et la politique scientifiques en matière d'alimentation et de cosmétiques, laisserait les consommateurs démunis de conseils cruciaux sur la sécurité des produits, et réduirait les contrôles auprès des industriels. De même, concernant les vaccins, l’ACIP (Advisory Committee on Immunization Practices ou Comité consultatif sur les pratiques de vaccination), qui établit le calendrier vaccinal, pourrait voir sa constitution modifiée, ses membres étant en effet nommés par le secrétaire du HHS (Department of Health and Human Services) sur conseils du directeur du CDC. Et ces nominations pourront être largement influencées par le président et son entourage…
Si les fonctions, le financement et l’indépendance de ces agences étaient réduits, cela affecterait sévèrement la santé publique. Les personnes à la recherche d'informations n’auront plus de sources fiables et l’érosion de la confiance du public ne pourra alors que s’aggraver. Au profit du complotisme…
2. AAP News. AAP, ADA stand by fluoride recommendations following court ruling. 26 septembre 2024. https://tinyurl.com/2n78532d
3. CDC. Prevalence of Total, Diagnosed, and Undiagnosed Diabetes in Adults: United States, August 2021–August 2023. NCHS Data Brief No. 516, November 2024. https://tinyurl.com/msyeshbm
4. Wadman M. How much power do Trump and Kennedy have to reshape health agencies? Science Insider. 8 novembre 2024. https://tinyurl.com/5n7hkjcc
Dans cet article
- Complotisme et théories antivaccins
- Suppression du fluor dans l’eau du robinet ?
- Lutte contre les maladies chroniques et les addictions : un autre des combats affichés
- L’accès universel aux soins remis en cause
- Santé mondiale : le recul
- Mais le pouvoir du président américain est-il réel en matière de santé publique ?