Le DRESS est une toxidermie rare (incidence 10 cas/million dans la population générale, 1 cas / 10 000 nouveaux patients traités par antiépileptiques) et relève d’une urgence potentiellement vitale. La liste des médicaments impliqués est très longue, mais moins de 10 produits ou classes médicamenteuses sont à l’origine de près de la moitié des cas survenant en Europe.
Ces médicaments dits « à haut risque », dont il faut respecter les règles de bon usage, sont : les antiépileptiques (carbamazépine, oxcarbazépine, eslicarbazépine, phénobarbital, phénytoïne et lamotrigine), l’allopurinol, les sulfamides antibactériens (cotrimoxazole, sulfasalazine, dapsone), les bêtalactamines (pénicillines notamment), la vancomycine, la minocycline et l’abacavir (v. liste complète dans le tableau).
Le risque de DRESS à certains médicaments, par exemple la carbamazépine et l’allopurinol, est augmenté chez les sujets asiatiques, du fait d’HLA favorisants.
Les atteintes viscérales (ex : foie, reins, poumons, cœur, tube digestif, système nerveux) font la gravité du tableau. Le taux d’hospitalisation en soins intensifs est de 15 % et la mortalité en phase aiguë entre 7 et 10 %. Des séquelles auto-immunes tardives sont possibles.
Quand suspecter un DRESS ?
Il faut évoquer un DRESS devant toute éruption cutanée fébrile dans un contexte d’introduction récente d’un médicament (notamment à haut risque), ou même de modification posologique. Le délai habituel de survenue du DRESS est de 2 à 8 semaines après l’initiation du médicament, mais des délais plus courts (moins de 2 semaines) sont décrits, notamment avec les antibiotiques et les produits de contraste iodés (ceux-ci pouvant induire des DRESS dans les 1 à 4 jours).
Le diagnostic est évoqué souvent plusieurs jours après les premiers symptômes. En effet, le DRESS peut commencer de façon insidieuse. Les premiers signes peuvent être non spécifiques : fièvre isolée (généralement > 38,5 °C), syndrome pseudogrippal, odynophagie, myalgies, arthralgies… Les symptômes s’aggravent rapidement en quelques jours avec apparition d’une éruption cutanée fébrile. Les lésions cutanées les plus typiques sont :
- un exanthème maculopapuleux étendu, couvrant souvent plus de 50 % de la surface corporelle, infiltré, ou une érythrodermie (plus de 90 % de la surface corporelle) ;
- avec un œdème infiltré du visage (touchant classiquement la région médiofaciale, périorbitaire et les oreilles) ;
- et parfois quelques pustules, un purpura, des vésicules ;
- il n’y a pas de signe de Nikolsky ni de décollement en linge mouillé.
Mais attention : l’éruption peut – bien que plus rarement – être discrète et moins évocatrice.
En dehors parfois d’une chéilite ou d’une conjonctivite, il n’y a pas d’atteinte muqueuse chez l’adulte. En revanche, chez l’enfant, une atteinte des muqueuses est décrite dans 50 % des cas, principalement buccale à type de chéilite.
Il faut rechercher des signes en faveur d’une atteinte d’organe : tachycardie, hypotension, dyspnée, douleurs abdominales, nausées, vomissements, ictère, signes neurologiques (confusion, désorientation, etc.). Les diagnostics différentiels sont indiqués dans l’encadré ci-dessous.
Quel bilan ?
Devant toute suspicion de DRESS, même en l’absence de tableau clinique typique, un bilan biologique doit être réalisé en urgence :
- hémogramme ;
- ionogramme sanguin et créatininémie ;
- bilan hépatique complet (ALAT, ASAT, γGT, PAL, bilirubine totale et conjuguée).
Ce bilan montre typiquement une hyperéosinophilie, cependant inconstante, et/ou une hyperlymphocytose (avec présence de lymphocytes hyperbasophiles polymorphes au frottis sanguin), une cytolyse et/ou une cholestase hépatique, parfois une insuffisance rénale aiguë, dont le profil fonctionnel ou organique doit être recherché.
Quelle conduite à tenir en MG ?
En cas de suspicion de DREES, le médecin généraliste doit :
- arrêter immédiatement le ou les médicament(s) suspecté(s) responsable(s) ;
- adresser le patient à un service d’urgence de proximité qui complètera le bilan, voire contacter le SAMU devant des signes de gravité hémodynamiques, respiratoires et/ou neurologiques ;
- et/ou contacter directement un dermatologue ou un dermato-allergologue hospitalier en lien avec un centre expert en toxidermies graves (à retrouver sur le site internet : https ://toxibul.fr/).
Le médecin généraliste peut initier, selon l’étendue de l’éruption et l’inconfort du patient, une corticothérapie locale très forte (clobétasol) et des émollients, mais doit éviter, sauf manifestation évidente de DRESS grave et sauf avis spécialisé, toute corticothérapie générale (risque d’abâtardir le tableau et de rebond du DRESS à l’arrêt).
Dans le centre expert, le diagnostic est confirmé et la sévérité du DRESS est établie. Le bilan est complété et une biopsie cutanée est réalisée. Une réplication des virus HHV6, EBV et CMV est recherchée par des PCR sanguines (même si leur rôle est débattu). Il n’est pas nécessaire de rechercher en urgence ces réplications virales en ville, car elles n’influencent pas la prise en charge initiale du DRESS et ne sont pas remboursées. Il n’y a aucun intérêt à réaliser des sérologies.
Le traitement du DRESS repose sur la corticothérapie, locale ou générale selon la sévérité, qui est arrêtée progressivement sur une période de 3 à 6 mois. Un arrêt trop rapide et abrupt expose à une rechute ou un rebond du DRESS avec parfois des atteintes viscérales graves (myocardite).
Après la phase aiguë, la surveillance reste étroite jusqu’à normalisation complète des paramètres cliniques et biologiques. Des séquelles auto-immunes, notamment thyroïdite et diabète, peuvent survenir des semaines ou des mois après une guérison apparemment complète du DRESS.
À distance de la phase aigüe, les tests allergologiques cutanés réalisés par un dermato-allergologue expert sont utiles pour confirmer, s’ils sont positifs, l’imputabilité médicamenteuse. Cependant, des tests négatifs n’excluent pas la responsabilité d’un médicament. Les molécules retenues responsables, et celles de la même classe chimique, sont formellement contre-indiquées à vie. Le patient doit informer le médecin généraliste de la carte d’allergie qui lui a été remise. Le médecin hospitalier se charge de la déclaration de pharmacovigilance.
Les médecins traitants doivent être sensibilisés à la possibilité de séquelles auto-immunes, à dépister dans l’année qui suit la phase aiguë. Enfin, il est important de conseiller au patient de consulter en urgence en cas de douleur thoracique et dyspnée même à distance de la phase aiguë du DRESS, pour ne pas méconnaître une myocardite.
Qu’en retenir ?
En résumé, le médecin généraliste :
- identifie les symptômes et signes évoquant un DRESS ;
- identifie et arrête le ou les médicaments suspects ;
- demande un bilan biologique de base en urgence ;
- oriente rapidement le patient vers un service d’urgence ou un service de dermatologie en lien avec un centre expert en toxidermies graves ;
- peut initier une corticothérapie locale très forte mais évite, sauf avis spécialisé, toute corticothérapie générale ;
- veille au respect de l’ordonnance de sortie du patient, et notamment à la décroissance très progressive de la corticothérapie, en lien avec le dermatologue référent et le centre expert ;
- prend connaissance de la carte d’allergie et veille donc à ne pas represcrire des molécules responsables du DRESS ou de même classe chimique ;
- constitue le dossier de prise en charge sociale selon la gravité des atteintes et les possibles séquelles : prise en charge à 100 % en affection hors liste (le formulaire de demande d’ALD doit préciser la nature des séquelles, leur gravité et le suivi multidisciplinaire coordonné avec le centre expert) ;
- prolonge si besoin l’arrêt de travail qui suit la phase aiguë ;
- participe au soutien psychologique au patient, en coordination avec un psychologue ou un psychiatre si besoin ;
- enfin, le médecin généraliste doit garder en mémoire le risque de DRESS de certains médicaments et en respecter le bon usage et les bonnes indications.
Diagnostics différentiels de DRESS
❖ Une autre toxidermie (exanthème maculopapuleux, pustulose exanthématique aiguë généralisée, nécrolyse épidermique débutante).
❖ Une virose (notamment chez l’enfant) : sérologies EBV (IgM anti-VCA, IgG anti-VCA, IgG anti-EBNA), CMV (IgM et IgG), parvovirus B19 (IgM et IgG), ou PCR EBV, CMV, parvovirus B19, HHV6, adénovirus et entérovirus.
❖ Une infection bactérienne type scarlatine, notamment chez l’enfant, ou une infection toxinique.
❖ Une autre cause d’érythrodermie (eczéma, psoriasis, lymphome T cutané).
❖ Un lymphome, notamment un lymphome angio-immunoblastique.
❖ Une maladie de Kikuchi.
❖ Une maladie de Kawasaki, notamment chez l’enfant devant l’association fièvre, éruption cutanée, altération de l’état général, atteinte muqueuse avec conjonctivite et chéilite et adénopathies.
Toxibul. Carte des centres prenant en charge les dermatoses bulleuses et les toxidermies en France. 19 décembre 2024.
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