Chez les jeunes Français, le risque suicidaire et les gestes auto-agressifs augmentent depuis quelques années. Les données de Santé publique France montrent que, entre 2010 et 2021, la prévalence des pensées suicidaires chez les 18 - 24 ans est passée de 4,0 % à 9,4 % (femmes) et de 2,5 % à 5,0 % (hommes). Celles de la Drees font état d’une augmentation des hospitalisations pour « geste auto-infligé » (tentatives de suicide et automutilations non suicidaires comme les scarifications), en particulier chez les femmes de 15 à 24 ans et de façon vertigineuse depuis 2021. Ces tendances sont retrouvées dans d’autres pays (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Australie…).
Plusieurs dispositifs de prévention existent aujourd’hui en France (v. encadré), mais que peuvent faire les médecins traitants, qui sont souvent en première ligne dans le repérage du risque ? Un article récemment paru dans le BMJ donne des conseils pratiques pour évaluer et prendre en charge ce risque en médecine générale.
Des facteurs de risque spécifiques
Les auteurs recommandent aux praticiens d’interroger les patients sur les gestes auto-agressifs et/ou pensées suicidaires devant toute situation évocatrice de mal-être ; ils rappellent notamment que, contrairement aux idées reçues, cela n’augmente pas le risque de passage à l’acte.
Certains facteurs de risque appellent une vigilance particulière :
- pathologie ou mal-être psychiques en cours ;
- pathologies somatiques chroniques ;
- antécédents de gestes auto-agressifs ou pensées suicidaires ;
- consommation d’alcool ou substances illicites ;
- antécédents de maltraitance ;
- antécédents familiaux de suicide ; suicides dans l’entourage (amis…) ;
- événements tels que : séparation parentale, décès ou maladie mentale d’un proche ;
- environnement stressant : relations familiales conflictuelles ; à l’école ou université, pressions académiques, harcèlement, difficultés relationnelles ;
- présence de troubles du comportement alimentaire ;
- S’identifier comme une personne LGBTQIA+.
D’autres situations pouvant augmenter ce risque, comme l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux, doivent aussi être interrogées, tandis que la présence de facteurs comme un soutien solide de l’entourage, la religion et l’insertion académique ou professionnelle est protectrice.
Comment bien conduire l’interrogatoire ?
Si des pensées suicidaires ou des gestes auto-agressifs sont identifiés, une évaluation clinique complète des besoins du patient est recommandée, en se guidant des principes suivants :
- interroger avec empathie, respect et bienveillance ;
- recueillir des information complémentaires grâce à l’entourage (famille, amis, autres soignants…), tout en respectant le secret médical et la confidentialité ;
- l’évaluation du risque et sa prise en charge sont un processus long, qui demande souvent plusieurs consultations, au gré du changement de circonstances du patient ; des consultations itératives favorisent aussi l’alliance thérapeutique.
Introduire les questions progressivement, avec tact, en précisant qu’il s’agit de questions de routine, posées à tous, peut aider le jeune à se sentir plus à l’aise, par exemple : « As-tu déjà pensé à t’endormir et à ne pas te réveiller ? », « As-tu déjà pensé que la vie ne valait pas la peine d’être vécue ? », etc. D’autres questions délicates, sur les éventuels projets de suicide plus détaillés, permettent ensuite d’approfondir.
L’examen physique doit être attentif aux signes tels que cicatrices, plaies, lacérations ou brûlures. Si des gestes auto-mutilatoires sont identifiés par l’interrogatoire ou l’examen, il convient de les préciser (type, méthode, localisation, sévérité, raisons…) et de revoir le patient dans les 48 heures. En outre, l’auto-empoisonnement peut passer inaperçu, mais des symptômes cardiovasculaires ou gastro-intestinaux peuvent parfois être décelés ; si celui-ci est suspecté, orienter vers un service hospitalier.
Identifier d’emblée les facteurs modifiables, tels qu’une maladie mentale non traitée, le mésusage de substances ou l’exposition à des images d’auto-agressions (par exemple sur internet), permet déjà de mettre en place un premier projet de soins en concertation avec le jeune et le soutien de son entourage.
Ne pas se fier aux seules échelles d’évaluation du risque !
Des questionnaires ou échelles telles que le Patient Health Questionnaire- 9, la Beck Hopelessness Scale ou la Beck Suicidal Ideation Scale peuvent être utiles en complément, mais ne doivent pas être considérées comme un substitut à un examen clinique complet, en raison de leur mauvaise valeur prédictive.
Il n’est pas recommandé non plus de classifier les patients selon des catégories de risque suicidaire bas, moyen ou élevé, car il existe un risque considérable de « faux négatifs » (des études au Royaume-Uni ont montré qu’une grande partie des suicides survenaient chez des patients ayant été considérés comme à bas risque).
Quand orienter vers le spécialiste ?
Une consultation en urgence avec des spécialistes de la santé mentale est recommandée lorsque :
- la fréquence et le degré des gestes auto-agressifs ou des idées suicidaires sont croissants ou persistants ;
- le niveau de détresse du patient ou la préoccupation de son entourage sont élevés, augmentent ou persistent ;
- le patient demande un soutien spécifique de santé mentale ;
- un trouble mental sous-jacent est décelé.
Enfin, les auteurs recommandent de consigner minutieusement dans le dossier du patient le raisonnement clinique et, le cas échéant, la justification de la prise en charge afin d’assurer la continuité de celle-ci avec les autres soignants.
Quelques principes généraux de la prise en charge en MG
- Traiter la maladie mentale ou physique sous-jacente.
- Pour éviter les intoxications médicamenteuses volontaires : prescrire les médicaments avec prudence, en tenant compte de leur toxicité, notamment en présence d’antécédents d’auto-empoisonnement ; dans ce cas, il convient aussi de limiter plus largement l’accessibilité aux médicaments dans le domicile du patient.
- Prendre en compte des besoins sociaux ou éducatifs.
- Favoriser l’implication du jeune et de sa famille dans le plan thérapeutique.
- Personnaliser les soins (en fonction du contexte individuel, culturel, sociodémographique…).
Quels sont les dispositifs de prévention du suicide déployés aujourd’hui en France ?
VigilanS. Créé en 2015, ce dispositif est un système de maintien du contactet de veille post-hospitalière : les patients ayant fait une tentative de suicide sont contactés (par téléphone ou voie postale) par une équipe de professionnels de santé (les « vigilanseurs ») sur une période allant de quelques jours à 6 mois après la tentative. Il a prouvé son efficacité : selon une évaluation de Santé publique France de 2023, il permet de réduire de près de 40 % le risque de réitération suicidaire dans l’année qui suit la tentative. Ce dispositif est aujourd’hui opérationnel dans 99 départements sur 101. Sur les 6 premiers mois de l’année 2024, il avait permis d'accompagner plus de 20 000 personnes.
Le programme Papageno a pour objectif de lutter contre le risque de « contagion suicidaire ». Les personnes exposées directement ou indirectement à un événement suicidaire sont plus à risque d’avoir des idées suicidaires, ou même de passer à l’acte. Au niveau individuel, être exposé à un suicide multiplierait par 2 à 4 le risque de geste suicidaire. Parmi les actions de Papageno : l’identification des endroits à risque pour les mettre en sécurité ; la formation des journalistes et intervenants dans les médias, pour faire du traitement médiatique d’un suicide une occasion de prévention.
Les maisons des ados proposent un accueil et des prises en charge, notamment en cas de souffrance en lien avec la santé ou l’orientation sexuelle : Trouver une MDA | ANMDA.
Les formations de secouriste en santé mentale. Le secourisme en santé mentale permet de repérer et aider une personne en souffrance ou en crise, afin de l’orienter vers des ressources et une prise en charge. Pour devenir secouriste : https ://pssmfrance.fr/etre-secouriste/
Le 3114 , numéro national souffrance et prévention suicide, est gratuit et accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 sur l’ensemble du territoire (métropole et Outre-mer). Il permet d’apporter une réponse immédiate aux personnes en détresse psychique et à risque suicidaire, à leur entourage, aux endeuillés par suicide, aux professionnels en lien avec des personnes suicidaires qui souhaitent obtenir des avis et des conseils spécialisés.
Fil Santé Jeunes – 0 800 235 236 :
- Service d’écoute anonyme et gratuit pour les 12 - 25 sur les thèmes de la santé, de la sexualité, de l’amour, du mal être, etc.
- Permanence d’écoute téléphonique tous les jours de 9 h 00 à 23 h 00.
- Tchat individuel ouvert tous les jours de 9 h 00 à 22 h 00.
Nightline : ligne d’écoute par et pour les étudiants, qui propose en ligne un « kit de survie » comprenant par exemple un outil d’aide à l’écriture d’un message pour dire à un proche qu’on va mal : Kit de (sur)vie : les bons outils pour ma santé mentale | Nightline.
Liste des numéros par ville : ici.
Annuaire de toutes les lignes d’écoute : https ://www.psycom.org/sorienter/les-lignes-decoute/
Pour en savoir plus : Que faire et à qui s’adresser face à une crise suicidaire ? (ministère de la Santé).
Lire aussi : HAS. Prévention du suicide. Panorama des principales publications de la HAS sur la prévention du suicide.