Après une nouvelle alerte de l’ANSM sur l’augmentation des intoxications graves liées à un usage détourné du protoxyde d’azote à des fins récréatives, des sociétés savantes mettent en garde contre la confusion entre cet usage détourné et l’utilisation antalgique, par les professionnels de santé, du mélange oxygène/protoxyde d’azote (MEOPA).

Nous reproduisons ci-après un communiqué de presse signé par douze sociétés savantes (dont la liste est détaillé dans l’encadré ci-dessous).

La confusion entre l’usage détourné à visée récréative du protoxyde d’azote pur et l’usage du mélange oxygène/protoxyde d’azote (MEOPA) par les professionnel·le·s de santé est grave car elle risque de limiter l’utilisation d’un médicament antalgique très largement utilisé en France.

Nous, soignant·e·s qui utilisons quotidiennement le protoxyde d’azote associé à l’oxygène sous forme de MEOPA (mélange contenant 50 % d’oxygène et de protoxyde d’azote), et autres acteurs et actrices de santé sommes très inquiet·e·s de voir l’avalanche médiatique actuelle qui présente le protoxyde d’azote « gaz hilarant » comme un produit extrêmement dangereux et nocif. Le protoxyde d’azote pur serait « la nouvelle drogue qui rend fous les adolescents, cause des ravages sur la santé, peut entraîner une addiction, des accidents graves, des troubles neuromoteurs, des fourmillements, des AVC des décès »

Un projet de loi est en cours d’élaboration pour interdire l’achat du protoxyde d’azote par les particuliers. Il est incontestable qu’il existe en Europe une explosion du mésusage du protoxyde d’azote pur et que des mesures correctrices sont nécessaires, mais ces messages maladroits risquent de participer à la disqualification, la diabolisation du MEOPA, un médicament essentiel au quotidien.

Nous voulons rappeler les bénéfices majeurs du MEOPA dans la prise en charge de la douleur provoquée par les soins. Le protoxyde d’azote est classé parmi les médicaments essentiels par l’Organisation mondiale de la santé. Le MEOPA a révolutionné, en France, la prise en charge des soins douloureux. Le 15 décembre 1992 à l’Unesco lors de la seconde journée Pediadol consacrée à la douleur de l’enfant, furent projetées des vidéos montrant les effets bénéfiques du MEOPA sur les enfants atteints de leucémie de l’hôpital Trousseau (Paris). Pour la première fois, des ponctions lombaires, des prélèvements de moelle ont pu être effectués sur des enfants apaisés, en présence des parents, et surtout sans contention physique. Très rapidement, en moins de 5 ans, la majorité des services de pédiatrie adoptèrent cette méthode, en particulier les urgences pédiatriques. L’utilisation est maintenant quotidienne et intégrée aux soins et aux pathologies douloureuses (crise de drépanocytose…) ; les adultes et les personnes âgées peuvent également en bénéficier. Le protoxyde d'azote associé à l'oxygène reste toujours utilisé au bloc opératoire selon un usage raisonné en limitant au maximum les fuites de ce gaz à effet de serre et en évitant l'usage des prises murales délivrant ce produit.

Le MEOPA peut être administré en toute sécurité par les professionnel·le·s formé·e·s : médecins, chirurgien·ne·s-dentistes, infirmier·e·s, sages-femmes, kinésithérapeutes … Le MEOPA rend d'immenses services : la combinaison d'un effet anxiolytique souvent euphorisant et antalgique permet de dissocier la part désagréable de la perception douloureuse. Cette « sédation consciente » est particulièrement utile dans la réalisation de soins modérément douloureux et/ou anxiogènes. La brièveté d’action, l’élimination rapide (l’effet disparait en quelques minutes) et l’absence d’accumulation dans l’organisme participent ainsi à sa grande sécurité.

Le protoxyde d’azote est un gaz naturel émis majoritairement par la décomposition des sols, les engrais azotés, les océans, les déjections animales ; il est aussi produit industriellement pour la fabrication entre autres de gaz propulseur pour les siphons de crème Chantilly. C’est ce dernier usage qui fait l’objet d’un détournement massif comme gaz hilarant. Des inhalations de protoxyde d’azote pur, pluriquotidiennes sur plusieurs semaines, peuvent entrainer un déficit en Vitamine B12 provoquant des toxicités essentiellement neurologiques (paralysie…) très souvent réversibles après supplémentation, et des thromboses. L’inhalation de MEOPA dans un cadre médical n’est quasiment jamais concernée. Il est donc erroné de laisser croire que ces effets toxiques graves peuvent survenir chez tout utilisateur de protoxyde d’azote. Une excellente mise au point dans le Lancet Public Health du 7 février 2025 éclaire très bien la complexité de cette problématique.

Le risque de mésusage des médicaments antalgiques est bien connu : opioïdes, kétamine, pregabaline, nefopam, benzodiazépines…Ce risque de mésusage ne doit être ni nié ni surestimé.

La prohibition du protoxyde d’azote ne résoudra pas le problème ; comme pour toutes les substances addictives, elle risque d’en créer de nouveaux : détournement, vol de bouteilles de protoxyde d’azote médical ou industriel vers le marché illicite, approvisionnement dans des pays où le produit n'est pas contrôlé ou substitution par des substances plus nocives. Il est par contre essentiel de sensibiliser les professionnel·le·s, les usager·e·s, les parents, les éducateur·ice·s à repérer les mésusages et leurs conséquences ainsi que la souffrance souvent associée.

Le mélange oxygène protoxyde d’azote (MEOPA) possède une excellente « balance bénéfice risque » qui le positionne en première place thérapeutique pour les soins douloureux chez l’enfant, l’adolescent·e, l’adulte et la personne âgée.

Encadre

Signataires au 19/06/2025

1. Société française de pédiatrie www.sfpediatrie.com/

2. Groupe Pediadol la douleur de l’enfant www.pediadol.org

3. Société française d’étude et de traitement de la douleur SFETD www.sfetd-douleur.org

4. Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP)

5. Association SPARADRAP www.sparadrap.org

6. Association des anesthésistes pédiatriques francophones ADARPEF

7. Centre national de ressources douleur CNRD www.cnrd.fr

8. SOS Addictions www.sos-addictions.org

9. Conseil national professionnel de pédiatrie (CNPP)

10. Société française de soins palliatifs pédiatriques (2SPP)

11. Société de thérapeutique odonto-stomatologique (STOS)

12. Société française de chirururgie orale https ://societechirorale.com (SFCO)

Référence
Zaloum, SA, Mair D, Paris A, et al. Tackling the growing burden of nitrous oxide-induced public health harms. Lancet Public Health 2025;10(3):E257-63.

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