C’est l’émission de sang par la bouche au cours d’un effort de toux. On doit d’abord évaluer sa gravité (estimation de l’abondance et du retentissement respiratoire et cardiovasculaire) et puis rechercher la cause. Outre le traitement de cette dernière, le plus urgent est de contrôler l’hémorragie et éviter l’asphyxie par inondation alvéolaire ou obstruction bronchique.
Est-ce une hémoptysie ?
Le diagnostic est principalement clinique : l’expectoration de sang rouge vif, spumeux, aéré, lors d’un effort de toux, provient de la vascularisation thoracique via le secteur aérien sous-glottique.
Les pathologies à éliminer sont :
– hématémèse : émission sanglante au cours d’un effort de vomissement parfois associée à des antécédents digestifs ou précédée de douleurs abdominales ; le sang est plus foncé en général, car non oxygéné. Hypotention artérielle et tachycardie peuvent être associées, sans signe respiratoire (alors qu’en cas d’hémoptysie vraie les symptômes respiratoires les précèdent) ;
– saignement d’origine ORL (épistaxis postérieur) : une sensation de sang dans la bouche précède généralement la toux.
Comment évaluer la gravité ?
Volume et débit ont une valeur prédictive discutée en raison d’un risque de surestimation (mélange avec les secrétions salivaires et bronchiques), ou de sous-estimation (difficulté à expectorer avec des secrétions dégluties). Le moyen le plus efficace est de montrer au patient des récipients de 3 tailles et de lui faire décrire la quantité émise : cuillère à café (< 5 mL), crachoir (au maximum 150 mL) et haricot (300-400 mL). Ainsi, on distingue 3 catégories : abondance faible (< 50 mL), moyenne (de 50 à 200 mL) et grande (soit > 200 mL en 1 fois ou cumulée sur 48-72 h, soit > 50 mL en 1 fois chez un insuffisant respiratoire chronique [IRC] ; associée à un risque vital).
Le retentissement respiratoire (signes de détresse respiratoire aiguë : polypnée > 25/min, désaturation < 85 % en air ambiant… évoquant une asphyxie induite par l’obstruction bronchique et/ou l’inondation alvéolaire) et plus tardivement hémodynamique (exceptionnel) est un facteur de gravité.
Selon la cause : un mécanisme artériel pulmonaire est un critère de sévérité car les hémoptysies concernées sont peu sensibles aux vasoconstricteurs (faux anévrisme de Rasmüssen si tuberculose, pneumonies nécrosantes, infections fongiques proximales…).
Certains terrains sont plus à risque : mucoviscidose, IRC, pneumonectomie, cardiopathie ischémique ; prise d’anticoagulants et/ou antiagrégants.
Données du scanner : une extension multilobaire, voire bilatérale du verre dépoli de l’hémorragie alvéolaire, ou une étiologie vasculaire pulmonaire sont inquiétantes.1
Des causes multiples
Dans plus de 90 % des cas, on retrouve une hypervascularisation artérielle systémique bronchique ou non. L’érosion artérielle pulmonaire est nettement plus rare, de même que celle veineuse pulmonaire.
D’après une étude française récente,2 les étiologies les plus fréquentes sont : cryptogéniques (49 %), infections respiratoires (23 %), cancer bronchopulmonaire (17,8 %), traitement anticoagulant (9,5 %), dilatation des bronches (DDB)/mucoviscidose (7 %), œdème pulmonaire/sténose mitrale (4,6 %), accident lié aux anticoagulants (4 % ;
Quel bilan complémentaire ?
Le bilan biologique comprend NFS, hémostase et, selon le terrain, recherche d’aspergillose, statut auto-immun, ECBC, recherche du bacille de Koch…
La radiographie thoracique ne permet de localiser le saignement que dans 50 à 80 % des cas.
L’angioscanner thoracique multi- détecteur, acquis en coupes fines, avec injection de produit de contraste, est l’examen de référence.3 Il permet de façon non invasive de localiser le saignement (infiltrat en verre dépoli correspondant à une hémorragie intra-alvéolaire), d’en rechercher le mécanisme (visualisation des artères systémiques – bronchiques et non bronchiques – et pulmonaires) et la cause (DDB, séquelles de tuberculose, tumeur), d’éliminer une embolie pulmonaire. Il guide un éventuel geste d’embolisation.
La fibroscopie bronchique n’est pas systématique. Elle est faite soit en urgence si saignement actif, afin de le contrôler (mais difficile à ce stade, elle requiert une bonne expertise) ; soit dans un 2e temps, après le scanner, si l’hémoptysie est récidivante ou de localisation incertaine (DDB bilatérale par exemple). Elle repère l’origine du saignement dans 50 à 90 % des cas, identifie sa cause, et autorise un geste local : instillation de sérum physiologique glacé, vasoconstricteur local type adrénaline ou terlipressine (Glypressine, 1 mg) ou thermocoagulation. Une toilette bronchique peut être réalisée en prenant soin de ne pas mobiliser l’éventuel caillot du territoire présumé de l’hémoptysie.
Des prélèvements anatomopathologiques (biopsies bronchiques, à faire hors saignement actif) et microbiologiques (lavage broncho-alvéolaires…) sont parfois nécessaires.
Options thérapeutiques
En 1re intention : traitement local par endoscopie bronchique souple ou rigide avec éventuellement thermocoagulation ou cryothérapie selon les centres.
L’artério-embolisation4 est indiquée en cas d’échec et d’hémoptysie de faible à moyenne abondance récidivante sur lésion localisée. L’artériographie permet de visualiser les artères bronchiques et de repérer les vaisseaux anormaux susceptibles d’être responsables du saignement. Pour l’embolisation, on utilise des microcathéters hypersélectifs afin d’éviter les complications (la plus redoutée étant l’atteinte médullaire ischémique par embolisation de l’artère spinale antérieure).
Le traitement médical systémique est envisagé si échec des autres thérapies ou d’emblée si l’hémoptysie est de grande abondance. L’Exacyl (acide tranexamique) n’a une AMM que dans les hémorragies dues à une fibrinolyse locale (durant une intervention) ou générale (traitement fibrinolytique). Toutefois, plusieurs travaux (faibles effectifs), ont montré son efficacité en aérosol ou en IV.
Les vasoconstricteurs systémiques, terlipressine (Glypressine) et vasopressine, peuvent être administrés en IV, mais ils engendrent de nombreuses complications car ils agissent au niveau coronaire, splanchnique ou cérébral (utilisation prudente, voire contre-indication si HTA ou cardiopathie ischémique).
Les approches chirurgicales sont le dernier recours. Une chirurgie d’hémostase est possible après échec de la procédure de radiologie interventionnelle, mais la mortalité postopératoire est très élevée. L’exérèse d’un segment, un lobe, voire un poumon peut être envisagée après bilan préopératoire, lors d’hémoptysies récidivantes.
Conduite à tenir
Tout d’abord, arrêter anticoagulants et antiagrégants (à discuter selon l’indication, lors d’émissions sanglantes de faible abondance).
Une hémoptysie < 50 mL n’est pas une urgence : programmer un angioscanner dans un délai inférieur à 7 jours et une consultation en pneumologie. Une antibiothérapie est administrée en cas de surinfection de DDB, mucoviscidose, pneumopathie infectieuse et/ou abcès pulmonaire. Hospitalisation uniquement si le sujet a une pathologie respiratoire sous-jacente et/ou une comorbidité. Une fibroscopie bronchique est pratiquée dans les formes récidivantes, sans étiologie retrouvée, à la recherche d’une lésion endobronchique. Les antitussifs sont à éviter +++.
Si elle est de moyenne abondance, l’angioscanner est urgent. Le patient est hospitalisé en pneumologie ou en unité de surveillance continue. Fibroscopie bronchique et/ou artério-embolisation sont à discuter.
Une hémoptysie de grande abondance5 conduit le patient en unité de soins intensifs pneumologique ou en réanimation. Le latéraliser du côté du saignement pour éviter « de noyer le poumon sain ». Contrôler en urgence le saignement, selon les moyens techniques et l’expertise médicale disponibles : par artério-embolisation en 1re intention ou vasoconstricteurs locaux en fibroscopie bronchique, ou les deux… Un vasoconstricteur par voie générale (Glypressine en IV) est requis en cas d’hémoptysie menaçante ou d’échec du traitement local.
Causes des hémoptysies : nombreuses
Bronchopulmonaires
• Cancer primitif ou secondaire
• Tumeurs carcinoïdes
• DDB, mucoviscidose
• Bronchite
• Traumatisme bronchique
• Corps étranger
• Fistule bronchovasculaire
Parenchyme pulmonaire
• Infections bactériennes, tuberculose, fongiques (aspergillus), parasitaires, leptospirose ; abcès
• Contusion
• Inhalation de cocaïne
• Vascularite et maladies auto-immunes : Wegener, lupus, Behçet, syndrome de Goodpasture
Vasculaires pulmonaires
• Embolie pulmonaire
• Malformation artérioveineuse
• Pseudo-anévrisme artériel pulmonaire
• Maladie veino-occlusive pulmonaire
• Maladie de Dieulafoy
Cardiaque
• Insuffisance cardiaque
• Rétrécissement mitral
Iatrogéniques
• Anticoagulants et antiagrégants plaquettaires
• Biopsies bronchiques
• Lésion trachéale post-intubation ou manœuvre endotrachéale
Autres
• Idiopathiques
• Troubles de la coagulation
• Endométriose thoracique
1. Fartoukh M, Khoshnood B, Parrot A, et al. Early prediction of in-hospital mortality of patients with hemoptysis: an approach to defining severe hemoptysis. Respiration 2012;83:106-14.
2. Abdulmalak C, Cottenet J, Beltramo G, et al. Haemoptysis in adults: a 5-year study using the French nationwide hospital administrative database. Eur Respir J 2015;46:503-11.
3. Chalumeau-Lemoine L, Khalil A, Prigent H, Carette MF, Fartoukh M, Parrot A. Impact of multi-detector CT-angiography on the emergency management of severe hemoptysis. Eur J Radiol 2013;82:e742-e747.
4. Woo S, Yoon CJ, Chung JW, et al. Bronchial artery embolization to control hemoptysis: comparison of N-butyl-2-cyanoacrylate and polyvinyl alcohol particles. Radiology 2013;269:594-602.
5. Parrot A, Tavolaro S, Voiriot G, et al. Management of severe hemoptysis. Expert Rev Repir Med 2018;12:817-29.