Le mot mort peut revêtir des sens et des interprétations différents selon les circonstances et les cultures. Mort réelle et constante, mort encéphalique sont définies cliniquement ; la mort sociale correspond à un isolement total de l’individu et certains peuples identifient d’autres types de mort.

En 2019, Benjamin Schreiber, un condamné à perpétuité américain, a tenté d’obtenir sa libération, arguant de sa propre mort  :1 hospitalisé pendant son incarcération, il avait été victime de complications cardiovasculaires, puis réanimé avant de réintégrer sa cellule une fois «  remis sur pieds  ». Mais c’était sans compter sur ses avocats qui, pointant le sens du mot «  réanimation  » («  ressuscitation  ») postulaient que leur client était mort, même transitoirement, et qu’il avait donc purgé sa peine jusqu’au bout et devait désormais être libéré. L’argument n’a finalement pas été recevable aux yeux du juge de l’Iowa, qui constata sa réelle vitalité, et sous le nom d’origine, au moment de l’instruction de la demande de remise en liberté.

Ce cas qui, certes, ressemble plus à un jeu rhétorique de juriste pointe néanmoins le fait de la difficile définition de la mort. Car de quelle mort parle-t-on  ? Derrière ce vocable si communément employé se cachent en effet de nombreux sens et interprétations. Et chaque culture et époque se fait une représentation de l’«  après  » (figure).

Mort réelle et constante

La première mort, la plus «  habituelle  », est la mort «  réelle et constante  ». C’est celle du certificat de décès, pour laquelle sont recherchés par le médecin plusieurs signes cliniques fondamentaux  : absence d’activité cardiaque et respiratoire, d’activité motrice, pas de réflexe du tronc cérébral.2 Mais il faut se méfier, car les états de mort apparente peuvent mimer un tel tableau clinique, notamment en cas d’hypothermie, d’hypoglycémie, d’hypothyroïdie, de prise de toxiques (barbituriques, bêtabloquants), d’empoisonnement (tétrodotoxine [TTX] ou «  drogue du zombi  »), d’accident vasculaire du tronc cérébral (locked-in syndrome), etc.3

De nombreux cas historiques d’enterrement précipité ont ainsi été décrits, ayant mené à des inhumations d’individus vivants qui se sont réveillés – un peu tard – dans leur cercueil. Encore maintenant, il ne se passe pas une semaine sans qu’un tel cas fasse la une des journaux, comme cet individu indien, très récemment, dont les mouvements des jambes ont alerté le personnel du crématorium quelques minutes seulement avant de placer le «  cadavre  » sur le bûcher funéraire…

Mort encéphalique

La deuxième mort est la mort encéphalique, c’est-à-dire la perte irréversible des fonctions cérébrales liée à la destruction physique à l’échelle cellulaire et tissulaire du cerveau. De façon parfois difficilement compréhensible, les signes de mort ne sont pas installés (pâleur, lividités déclives, rigidité cadavérique), puisque le cœur bat encore et qu’une respiration artificielle est maintenue par les machines de réanimation. Il s’agit donc d’un état transitoire, rendu possible par l’action du personnel médical, destiné principalement à prolonger la vitalité d’organes en vue d’un prélèvement puis d’une greffe. Mais qu’il est difficile de comprendre la mort de l’individu lorsque son cœur bat encore, que son tronc se soulève pour respirer et que son corps est encore chaud  ! Cet état physique est comparable à celui de patients intubés, sédatés, ventilés, pour lesquels un réveil est programmé, à l’issue d’un processus de soin. On comprend, dès lors, l’incapacité, pour certaines familles, d’acter la mort face à leur proche semblant suspendu entre vie et mort… alors qu’il est déjà irrémédiablement perdu.5

Mort sociale

Une autre mort est la mort sociale, correspondant à l’isolement complet d’un individu alors que ses fonctions vitales sont intégralement conservées  :6 si des exemples anthropologiques existent dans les contextes chronoculturels de l’Occident médiéval (funérailles des sujets lépreux, de leur vivant, pour signifier leur «  mort au monde des vifs  ») et du sous-continent indien (funérailles factices des sādhus pour acter leur renoncement au monde), ce concept n’est pas extérieur au XXIe siècle. Peuvent ainsi être considérés comme en mort sociale les détenus de longue durée, les pensionnaires de maison de retraite ou d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes en éloignement complet de leur famille, les sans domicile fixe, les migrants, etc. Dans le contexte haïtien, les zombis (au sens anthropologique du terme) sont également en mort sociale, en cela qu’ils ont été condamnés par une société secrète du vaudou (Bizango) à une peine pire que la mort : être empoisonnés, mis en état de mort apparente, inhumés (vivants), puis exhumés et drogués pendant des années pour travailler comme esclaves des temps moder­nes en état de camisole chimique.7

Autres processus

Enfin, l’anthropologie comparative permet de dégager d’autres types de mort, par exemple le tukdam, cet état de mort transitoire, suspen­due… et parfois réversible, atteint par certains adeptes du bouddhisme tan­trique dans l’Himalaya. Il est décrit ainsi par Sogyal Rinpoché (1947 - 2019) : « Un pratiquant réalisé continue de se conformer à la reconnaissance de la nature de l’esprit au moment de la mort et s’éveille dans la Luminosité fondamentale lorsque celle-ci se manifeste. Il peut même rester dans cet état pendant plusieurs jours. Certains pratiquants et maîtres demeurent assis dans cette posture de méditation (...) pendant plusieurs jours. (...) Outre leur équilibre parfait, d’autres signes montreront qu’ils se reposent dans l’état de Luminosité fondamentale  : il y a toujours une certaine couleur et une certaine lueur sur leur visage, le nez ne s’enfonce pas vers l’intérieur, la peau reste douce et flexible, le corps ne devient pas raide, on dit que les yeux gardent une lueur douce et compatissante et il y a toujours une chaleur dans le cœur. On prend grand soin de ne pas toucher le corps du maître et on maintient le silence jusqu’à ce qu’il se soit levé de cet état de méditation ». Actuellement très étudié en neurophysiologie, cet état a ouvert la voie à de nouvelles définitions de la mort ou à la caractérisation d’états de dégradation successive de la conscience et/ou des organes humains finissant par mener à une mort totale ou complète.8,9 Le «  Livre des morts tibétain  » (Bardo Thödol) décrit ainsi le processus de la mort comme une extinction progressive de l’ensemble des lumières de l’âme et du corps, le temps que dure un repas. Certains mangent visiblement plus ou moins lentement que d’autres 

Références
1. Momentanément décédé puis réanimé, un détenu américain condamné à perpétuité demande sa libération. La Dépêche, 9 novembre 2019. https://www.ladepeche.fr/2019/11/09/momentanement-decede-puis-reanime-un-detenu-americain-condamne-a-perpetuite-demande-sa-liberation,8532598.php
2. Charlier P, Herve C, Mathy F, et al. Comment bien remplir un certificat de décès ? Rev Prat 2012;62(6):759.
3. Charlier P (dir). Zombis. La mort n’est pas une fin ? Gallimard & musée du Quai Branly-Jacques Chirac, 2024.
4. En Inde, un homme se réveille juste avant son incinération… puis meurt « vraiment ». 20 Minutes, 23 novembre 2024. https://www.20minutes.fr/monde/4122948-20241123-inde-homme-reveille-juste-avant-incineration-puis-meurt-vraiment
5. Charlier P. Ouvrez quelques cadavres. Une anthropologie médicale du corps mort. Paris: Buchet-Chastel, 2015.
6. Charlier P, Hassin J. La mort sociale : réflexions éthiques et d’anthropologie médicale. Ethics Med Public Health 2015;1(4):512-6.
7. Charlier P. Zombis. Enquête sur les morts-vivants. Paris: Tallandier, 2015.
8. Charlier P. Une mort ou des morts ? La vieillesse et la mort, problématiques comportementales et sociétales. Med Sci (Paris) 2020;36(12):1196-8.
9. Charlier P, Annane D. Time for a new definition of death? Resuscitation 2018;127:e14-e15.

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