De Galien à Louis XIV, la circulation sanguine a déchaîné les passions et fait couler beaucoup d’encre. Si, selon les théories initiales, le sang ne circulait pas, le rôle de pompe du cœur et la fonction des valvules se sont ensuite imposés.
Les méandres de la circulation sanguine sont restés mystérieux des siècles durant. Mais au fil des dissections et des expériences, la petite circulation pulmonaire, le rôle de pompe du cœur et celui des valvules veineuses se sont dévoilés.
Les mouvements du sang selon Galien
Tous les médecins, jusqu’au XVIe siècle, avaient en tête le schéma de Galien et le trouvaient tout à fait logique (fig. 1 ). Ils ne voyaient rien à y redire. Le sang sombre et épais produit par le foie s’écoulait par les veines dans l’organisme. Une partie de ce sang passait par la veine cave dans la moitié droite du cœur et, de là, une fraction parvenait par la « veine artérieuse » (artère pulmonaire) aux poumons où elle servait à leur nutrition. Une autre fraction suintait à travers les pores de la paroi interventriculaire vers la moitié gauche du cœur (communication qui n’existe pas). Là, il se réchauffait car le ventricule gauche était cette chaudière à laquelle on croyait depuis la plus haute Antiquité (chaleur vitale). Une sorte de cuisson du sang s’y opérait : il devenait plus rouge, écumeux, et se mélangeait avec de l’air qui provenait des poumons par « l’artère veineuse » (veine pulmonaire). Évidemment, le sang ne circulait pas puisque, parvenu aux extrémités du corps, il s’éliminait avec la transpiration.
Tout ceci était à la fois compliqué et totalement faux. Et le rôle de ce qu’on appelle la « petite circulation », c’est-à-dire celle faisant passer la totalité du sang veineux du ventricule droit vers les poumons pour qu’il s’oxygène et le fait revenir rouge vers le ventricule gauche, était totalement ignoré.
Tout ceci était à la fois compliqué et totalement faux. Et le rôle de ce qu’on appelle la « petite circulation », c’est-à-dire celle faisant passer la totalité du sang veineux du ventricule droit vers les poumons pour qu’il s’oxygène et le fait revenir rouge vers le ventricule gauche, était totalement ignoré.
Mission vénitienne en 1486
En 1486, Agostino Barbarigo, nouveau doge de Venise, avait fait comparaître devant lui Andrea Alpago, le jeune comte de Belluno, à qui il souhaitait confier une mission à la fois secrète et stratégique. Si son choix s’était porté sur Andrea, ce n’était pas un hasard : Alpago était médecin et connaissait parfaitement l’arabe, ce qui constituait une remarquable exception. La mission qu’il lui attribuait était de comprendre les intentions mouvantes des Ottomans, des Mamelouks et des Perses envers l’activité commerciale de Venise, en devenant ce qu’il faut bien appeler un espion à la cour du sultan de Damas : « Tu seras le médecin de la délégation vénitienne, mais on annoncera également, pour éviter les suspicieux, que tu es chargé par l’Université de traduire les textes médicaux anciens. »
À Damas en 1512 : découverte des écrits d’Ibn al-Nafis
Andrea Alpago avait rempli la mission confiée par le doge, à la satisfaction de tous. Il était devenu l’un des grands consultants de la Cour et avait su partager à égalité avec les médecins arabes et juifs les faveurs du sultan. Pendant vingt ans, il avait traduit de nombreux textes arabes et en particulier les cinq livres du Canon d’Avicenne. Par la suite, Andrea avait commencé la traduction d’un manuscrit jusque-là inconnu dont l’auteur était un certain Ibn al-Nafis, médecin au Caire deux siècles plus tôt. Son manuscrit se nommait Commentaires sur le Canon d’Avicenne. Mais, surprise, ce livre était plutôt l’exposé des idées totalement novatrices de son auteur : le texte d’Ibn al-Nafis décrivait, avec des arguments tirés de ses propres dissections, une petite circulation pulmonaire où le sang du ventricule droit était poussé vers les poumons par l’artère pulmonaire pour y être oxygéné.
Andrea avait bien compris l’importance de cette révélation, mais percevait aussi combien ce message allait bouleverser le monde médical. Il allait aussi entraîner des réactions des religieux puisqu’il s’opposait à Galien, seule référence de l’Église.
Andrea avait bien compris l’importance de cette révélation, mais percevait aussi combien ce message allait bouleverser le monde médical. Il allait aussi entraîner des réactions des religieux puisqu’il s’opposait à Galien, seule référence de l’Église.
Michel Servet décrit la petite circulation en 1553
En réalité, la découverte de cette petite circulation a longtemps été attribuée à l’Espagnol Michel Servet. En effet, dans son livre La Restitution du christianisme, publié en 1553, il décrit correctement cette petite circulation en cinq pages seulement. Pour tout dire, ce livre de théologie où il dénonce, entre autres, l’autorité du pape, le baptême des enfants, la Sainte Trinité et la messe, n’a rien à voir avec une découverte médicale. Il comporte, en revanche, de quoi fermement mécontenter à la fois les catholiques et les calvinistes. Alors, pourquoi ce passage d’anatomie et de physiologie dans un tel opus ? Servet répond : « L’âme de Dieu est dans le sang, dit la Sainte Écriture ; elle est soufflée par Dieu à travers la bouche et les narines, et va se loger dans le ventricule gauche. Donc pour bien comprendre les pérégrinations de l’âme, il faut connaître la marche de l’air et du sang. » Drôle de détour pour masquer ses hérésies. Détour qui ne le préservera pas du bûcher !
Pourtant, beaucoup d’éléments plaident contre la paternité de Servet dans cette découverte. En effet, le médecin ne pratiquait plus de dissections depuis longtemps et se consacrait uniquement à ses débats théologiques. Où avait-il donc pu apprendre tout ce qu’il rapportait dans son livre ? Nous savons aujourd’hui que sa description de la petite circulation présente une similitude surprenante, jusque dans les moindres détails, avec celle d’Ibn al-Nafis. Selon toutes probabilités, Servet connaissait les travaux de celui-ci grâce aux traductions d’Alpago rapportées à Padoue par son neveu. Servet est cependant le premier Européen à décrire la circulation pulmonaire, même s’il a volé cette description pendant son séjour à Padoue auprès de André Vésale, Paolo Alpago et Realdo Colombo.
Pourtant, beaucoup d’éléments plaident contre la paternité de Servet dans cette découverte. En effet, le médecin ne pratiquait plus de dissections depuis longtemps et se consacrait uniquement à ses débats théologiques. Où avait-il donc pu apprendre tout ce qu’il rapportait dans son livre ? Nous savons aujourd’hui que sa description de la petite circulation présente une similitude surprenante, jusque dans les moindres détails, avec celle d’Ibn al-Nafis. Selon toutes probabilités, Servet connaissait les travaux de celui-ci grâce aux traductions d’Alpago rapportées à Padoue par son neveu. Servet est cependant le premier Européen à décrire la circulation pulmonaire, même s’il a volé cette description pendant son séjour à Padoue auprès de André Vésale, Paolo Alpago et Realdo Colombo.
En 1598, William Harvey expérimente le rôle de pompe du cœur
Quelques années plus tard, en 1598, William Harvey arrivait d’Angleterre pour faire ses études de médecine, lui aussi à Padoue. Son maître, Fabrizi d’Acquapendente, venait de découvrir chez l’homme l’existence et le rôle des valvules veineuses. Mais Fabrizi croyait profondément aux doctrines de Galien.
Alors, comment allait-il interpréter ce qu’il venait de constater, ces valvules veineuses qui s’opposaient à un flux centrifuge ?
« Je pense, écrivait-il, que la nature les a créées pour retarder le cours du sang, pour l’empêcher de couler à flots à l’instar d’un fleuve, soit vers les mains, soit vers les pieds... » Harvey, dubitatif, reprit l’expérience à plusieurs reprises. Il s’agissait de mettre en place un garrot à la racine du bras et de faire serrer un bâton. Il constata que les veines se gonflaient de la périphérie vers le centre du corps, comme si le sang se dirigeait bien vers le cœur et non pas vers les doigts. Quand on lâchait ce garrot, les veines se vidaient brutalement (fig. 2 ) : il fallait se rendre à l’évidence, les veines fonctionnaient bien dans le sens contraire à celui décrit par Galien et les valvules de Fabrizi étaient orientées correctement pour empêcher tout reflux !
La grenouille fut son animal d’expérience favori. Il plaça des ligatures sur les veines caves et constata que le cœur alors se vidait. Qu’on les enlevât et il se gonflait à nouveau. Si l’on plaçait, en revanche, cette ligature sur l’aorte à la sortie du cœur, il gonflait terriblement au risque de se rompre... Le cœur était donc bien un moteur, la pompe d’une circulation se faisant vers les artères et revenant par les veines. Cependant, Harvey ne pouvait pas voir les capillaires, alors il les nomma « porosités des tissus ». Il savait bien qu’un autre viendrait après lui pour les décrire.
Le sang n’était pas en fabrication permanente, comme le croyait Galien, mais la quantité totale de sang était constante et, en mesurant le volume des ventricules et le rythme des contractions, puis en multipliant l’un par l’autre, on obtenait le débit du cœur ! Il avait aussi vérifié que la cloison du cœur était bien étanche entre les cavités droites et gauches, et non pas perforée. Tout était prêt. Il publia son De motu cordis en 1628 : 72 pages et rien à en retrancher ni rien, ou presque, à y ajouter. Fitzer, son éditeur, en avait assuré tous les frais, tant il était enthousiasmé par le propos de l’auteur.
Alors, comment allait-il interpréter ce qu’il venait de constater, ces valvules veineuses qui s’opposaient à un flux centrifuge ?
« Je pense, écrivait-il, que la nature les a créées pour retarder le cours du sang, pour l’empêcher de couler à flots à l’instar d’un fleuve, soit vers les mains, soit vers les pieds... » Harvey, dubitatif, reprit l’expérience à plusieurs reprises. Il s’agissait de mettre en place un garrot à la racine du bras et de faire serrer un bâton. Il constata que les veines se gonflaient de la périphérie vers le centre du corps, comme si le sang se dirigeait bien vers le cœur et non pas vers les doigts. Quand on lâchait ce garrot, les veines se vidaient brutalement (
La grenouille fut son animal d’expérience favori. Il plaça des ligatures sur les veines caves et constata que le cœur alors se vidait. Qu’on les enlevât et il se gonflait à nouveau. Si l’on plaçait, en revanche, cette ligature sur l’aorte à la sortie du cœur, il gonflait terriblement au risque de se rompre... Le cœur était donc bien un moteur, la pompe d’une circulation se faisant vers les artères et revenant par les veines. Cependant, Harvey ne pouvait pas voir les capillaires, alors il les nomma « porosités des tissus ». Il savait bien qu’un autre viendrait après lui pour les décrire.
Le sang n’était pas en fabrication permanente, comme le croyait Galien, mais la quantité totale de sang était constante et, en mesurant le volume des ventricules et le rythme des contractions, puis en multipliant l’un par l’autre, on obtenait le débit du cœur ! Il avait aussi vérifié que la cloison du cœur était bien étanche entre les cavités droites et gauches, et non pas perforée. Tout était prêt. Il publia son De motu cordis en 1628 : 72 pages et rien à en retrancher ni rien, ou presque, à y ajouter. Fitzer, son éditeur, en avait assuré tous les frais, tant il était enthousiasmé par le propos de l’auteur.
Lire aussi | Une histoire des femmes médecins (deuxième partie)
Déclenchement d’une tempête médiatique
Harvey savait qu’il allait déclencher foudre et tonnerre. Prudent, il n’oubliait rien. Ni Servet brûlé par Calvin à Genève, ni Vésale ou Galilée et leurs soucis avec l’Inquisition, et il se cantonna dans une réponse prudente à ses détracteurs, sans mettre d’huile sur le feu des bûchers, sous la protection de son roi, Charles Ier. À vrai dire, Harvey, dès la publication de son livre, avait subi de multiples attaques, et les courriers avaient galopé ferme de part et d’autre de la Manche.
Le monde entier, Français en tête, s’était acharné sur lui. Le fait qu’il fût anglais et protestant n’y était certes pas étranger. Mais, surtout, il se heurtait de plein fouet aux théories galénistes unanimement défendues par les facultés de médecine d’Europe et par l’Église catholique, et donc ratissait large les adversaires potentiels…
Ses collègues, les premiers, vomirent leur haine. Avec, à leur tête, Gui Patin, doyen de la faculté de Paris : « La circulation du sang, son transport circulaire par les vaisseaux, c’est l’enfantement d’un esprit oisif, un vrai mirage... » Tous affirmaient : « Je préfère me tromper avec Galien que de suivre, dans sa circulation, un charlatan comme Harvey. » Même Jean Riolan, le plus fameux anatomiste de l’époque, ne put s’empêcher de s’opposer à Harvey. Galéniste jusqu’au fond de l’âme, Riolan prit un ton paternaliste pour s’adresser à Harvey : « Je loue ta découverte de la circulation mais, avec ton indulgence, je dirais que tu proposes de nombreuses sottises et de multiples erreurs. » Plus tard, enflammé par l’acuité de la lutte épistolaire, il devint plus âcre, plus méchant : « La circulation est paradoxale, inutile à la médecine, fausse, impossible, inintelligible, absurde et nuisible à la vie de l’homme. » Et Gui Patin renchérissait : « La Bible ne mentionnant pas la circulation du sang, il est donc difficile de l’admettre. Donc cette idée de la circulation du sang est absurde ! »
Descartes fut l’un des rares à accepter d’emblée le concept de circulation sanguine. Cela concordait avec ses théories sur l’animal-machine ! Mais il s’opposa lui aussi à Harvey, car il pensait que « le principe de vie » était lié à la chaleur produite par les mouvements du cœur et que la dilatation du sang sous l’effet de cette chaleur était responsable de l’aspect du cœur en diastole. Il restait en cela le féal des Anciens et soutenait que « le principe » était prééminent sur l’expérience. Pas toujours cartésien, Descartes !
William Harvey, au centre de ce combat, fit preuve d’une prudence et d’un flegme bien anglais, comme si ces critiques ne l’atteignaient pas. Pas méprisant pour autant, il répondait courtoisement, scientifiquement, portant attention à la moindre remarque de ses collègues, même si elle était stupide ou de mauvaise foi. Il s’était décidé à se défendre sous une forme très universitaire et publia les Lettres à Riolan, dissertations anatomiques sur la circulation du sang, où il reprenait point par point les critiques qui lui avaient été faites.
Le monde entier, Français en tête, s’était acharné sur lui. Le fait qu’il fût anglais et protestant n’y était certes pas étranger. Mais, surtout, il se heurtait de plein fouet aux théories galénistes unanimement défendues par les facultés de médecine d’Europe et par l’Église catholique, et donc ratissait large les adversaires potentiels…
Ses collègues, les premiers, vomirent leur haine. Avec, à leur tête, Gui Patin, doyen de la faculté de Paris : « La circulation du sang, son transport circulaire par les vaisseaux, c’est l’enfantement d’un esprit oisif, un vrai mirage... » Tous affirmaient : « Je préfère me tromper avec Galien que de suivre, dans sa circulation, un charlatan comme Harvey. » Même Jean Riolan, le plus fameux anatomiste de l’époque, ne put s’empêcher de s’opposer à Harvey. Galéniste jusqu’au fond de l’âme, Riolan prit un ton paternaliste pour s’adresser à Harvey : « Je loue ta découverte de la circulation mais, avec ton indulgence, je dirais que tu proposes de nombreuses sottises et de multiples erreurs. » Plus tard, enflammé par l’acuité de la lutte épistolaire, il devint plus âcre, plus méchant : « La circulation est paradoxale, inutile à la médecine, fausse, impossible, inintelligible, absurde et nuisible à la vie de l’homme. » Et Gui Patin renchérissait : « La Bible ne mentionnant pas la circulation du sang, il est donc difficile de l’admettre. Donc cette idée de la circulation du sang est absurde ! »
Descartes fut l’un des rares à accepter d’emblée le concept de circulation sanguine. Cela concordait avec ses théories sur l’animal-machine ! Mais il s’opposa lui aussi à Harvey, car il pensait que « le principe de vie » était lié à la chaleur produite par les mouvements du cœur et que la dilatation du sang sous l’effet de cette chaleur était responsable de l’aspect du cœur en diastole. Il restait en cela le féal des Anciens et soutenait que « le principe » était prééminent sur l’expérience. Pas toujours cartésien, Descartes !
William Harvey, au centre de ce combat, fit preuve d’une prudence et d’un flegme bien anglais, comme si ces critiques ne l’atteignaient pas. Pas méprisant pour autant, il répondait courtoisement, scientifiquement, portant attention à la moindre remarque de ses collègues, même si elle était stupide ou de mauvaise foi. Il s’était décidé à se défendre sous une forme très universitaire et publia les Lettres à Riolan, dissertations anatomiques sur la circulation du sang, où il reprenait point par point les critiques qui lui avaient été faites.
Lire aussi | Une histoire des femmes médecins (première partie)
Les écrivains s’en mêlent
D’un conflit entre spécialistes, le débat avait progressivement fait tache d’huile avec les années. Les salons, où se faisait l’opinion, s’en étaient emparés. Les chansonniers puis les poètes y avaient pris parti. Même les grands noms comme Boileau, La Bruyère ou La Fontaine avaient fourbi leurs plumes les plus caustiques.
La Fontaine, toujours élégant et léger, voulut montrer, en quelques vers, que le message d’Harvey, lui en tout cas, il l’avait bien compris :
Deux portes sont au cœur ; chacune a sa valvule,
Le sang source de vie est par l’une introduit,
L’autre huissière permet qu’il sorte et qu’il circule,
Des veines sans cesser aux artères conduit...
Dans son Arrêt burlesque, Boileau écrivait : « La Cour fait défense au sang d’être vagabond, errer et circuler à travers le corps, sous peine d’être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. »
C’était bien envoyé, mais cela ne touchait que les intellectuels et les précieuses des salons parisiens ! Il fallait frapper plus fort. Molière savait qu’il devait mettre son talent au service de la cause. Il ne laisserait pas Boileau et La Fontaine seuls dans ce combat. Il lui fallait apporter sa patte ! Molière savait qu’il était écouté, qu’il était populaire, que ce qu’il clamait sur les planches de son théâtre était entendu partout, des faubourgs jusqu’à la Cour. Pourtant, cette histoire de circulation sanguine, Molière n’y comprenait pas grand-chose. Après tout, que le sang puisse circuler sans arrêt grâce au cœur et non pas au foie, qu’il existe une petite et une grande circulations... pourquoi pas ! Mais il était spontanément acquis à tout ce qui s’opposait aux théories de Galien, qu’il tenait pour responsables de bien des stupidités récitées par des médecins de son temps comme le feraient des perroquets. Il trouvait particulièrement lamentables la violence inattendue de la Faculté et l’ire démesurée d’un Gui Patin ou d’un Riolan. Il allait les ridiculiser sous les figures respectives de Diafoirus père et fils (fig. 3 ). Après les Diafoirus, il taperait sur les doigts des potards, ces complices intéressés des médecins. Son pharmacien, il l’avait appelé Purgon. Tout un programme !
Il lui fallait vite finir cette pièce. Il avait prévu de la jouer en février. Le temps de la copier, de la distribuer à la troupe, de l’apprendre, de régler la mise en scène... Il s’était gardé le rôle d’Argan. Épuisant ! Aurait-il la force ?
La Fontaine, toujours élégant et léger, voulut montrer, en quelques vers, que le message d’Harvey, lui en tout cas, il l’avait bien compris :
Deux portes sont au cœur ; chacune a sa valvule,
Le sang source de vie est par l’une introduit,
L’autre huissière permet qu’il sorte et qu’il circule,
Des veines sans cesser aux artères conduit...
Dans son Arrêt burlesque, Boileau écrivait : « La Cour fait défense au sang d’être vagabond, errer et circuler à travers le corps, sous peine d’être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. »
C’était bien envoyé, mais cela ne touchait que les intellectuels et les précieuses des salons parisiens ! Il fallait frapper plus fort. Molière savait qu’il devait mettre son talent au service de la cause. Il ne laisserait pas Boileau et La Fontaine seuls dans ce combat. Il lui fallait apporter sa patte ! Molière savait qu’il était écouté, qu’il était populaire, que ce qu’il clamait sur les planches de son théâtre était entendu partout, des faubourgs jusqu’à la Cour. Pourtant, cette histoire de circulation sanguine, Molière n’y comprenait pas grand-chose. Après tout, que le sang puisse circuler sans arrêt grâce au cœur et non pas au foie, qu’il existe une petite et une grande circulations... pourquoi pas ! Mais il était spontanément acquis à tout ce qui s’opposait aux théories de Galien, qu’il tenait pour responsables de bien des stupidités récitées par des médecins de son temps comme le feraient des perroquets. Il trouvait particulièrement lamentables la violence inattendue de la Faculté et l’ire démesurée d’un Gui Patin ou d’un Riolan. Il allait les ridiculiser sous les figures respectives de Diafoirus père et fils (
Il lui fallait vite finir cette pièce. Il avait prévu de la jouer en février. Le temps de la copier, de la distribuer à la troupe, de l’apprendre, de régler la mise en scène... Il s’était gardé le rôle d’Argan. Épuisant ! Aurait-il la force ?
Louis XIV porte l’estocade à Paris, en 1672
Alors que Molière achevait Le Malade imaginaire, le conflit n’était toujours pas éteint, loin de là. Mais le parti des circulateurs s’était renforcé. Ils en venaient parfois aux mains, ce qui pouvait nécessiter l’intervention de la maréchaussée.
Après les salons parisiens, la Cour s’émut aussi, et l’on commença à échanger des propos aigres-doux à Versailles entre partisans et adversaires d’Harvey. Louis XIV finissait par être excédé par ce remue-ménage. Que le sang circulât ou non, le roi n’en avait aucune idée, mais il lui semblait qu’il devait trancher pour faire taire cette ridicule querelle qui n’avait que trop duré. Bien sûr, sa Faculté avait pris parti contre, mais le roi savait se méfier de ceux qui croyaient toujours avoir raison. Il interrogea le chirurgien de la reine, Pierre Dionis, un homme qu’il appréciait. Celui-ci, fidèle de Descartes, avait été convaincu par le maître de l’importance de la découverte d’Harvey. Il s’en ouvrit à son auguste patient avec passion et finesse.
Si bien que le roi, d’une façon qui ne tolérait aucune discussion, imposa au Parlement d’ouvrir le jardin du Roi où serait dispensé un enseignement qu’il confia à Dionis. Les mots de Louis XIV furent sans concession : « On y enseignera l’anatomie de l’homme suivant la circulation et les dernières découvertes. »
Le roi avait tranché. C’était la première fois que le pouvoir politique prenait parti en France dans le domaine des sciences de la vie. Ce n’était qu’un début. Mais un début en fanfare !
Après les salons parisiens, la Cour s’émut aussi, et l’on commença à échanger des propos aigres-doux à Versailles entre partisans et adversaires d’Harvey. Louis XIV finissait par être excédé par ce remue-ménage. Que le sang circulât ou non, le roi n’en avait aucune idée, mais il lui semblait qu’il devait trancher pour faire taire cette ridicule querelle qui n’avait que trop duré. Bien sûr, sa Faculté avait pris parti contre, mais le roi savait se méfier de ceux qui croyaient toujours avoir raison. Il interrogea le chirurgien de la reine, Pierre Dionis, un homme qu’il appréciait. Celui-ci, fidèle de Descartes, avait été convaincu par le maître de l’importance de la découverte d’Harvey. Il s’en ouvrit à son auguste patient avec passion et finesse.
Si bien que le roi, d’une façon qui ne tolérait aucune discussion, imposa au Parlement d’ouvrir le jardin du Roi où serait dispensé un enseignement qu’il confia à Dionis. Les mots de Louis XIV furent sans concession : « On y enseignera l’anatomie de l’homme suivant la circulation et les dernières découvertes. »
Le roi avait tranché. C’était la première fois que le pouvoir politique prenait parti en France dans le domaine des sciences de la vie. Ce n’était qu’un début. Mais un début en fanfare !
Dans cet article
- Les mouvements du sang selon Galien
- Mission vénitienne en 1486
- À Damas en 1512 : découverte des écrits d’Ibn al-Nafis
- Michel Servet décrit la petite circulation en 1553
- En 1598, William Harvey expérimente le rôle de pompe du cœur
- Déclenchement d’une tempête médiatique
- Les écrivains s’en mêlent
- Louis XIV porte l’estocade à Paris, en 1672
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