Les ossements déplacés et accumulés dans les Catacombes de Paris depuis le XVIIIe siècle constituent une manne pour les chercheurs anthropologues. Ils représentent une cohorte de millions d’individus permettant d’identifier leurs caractéristiques globales et individuelles, morphologiques et pathologiques.

Au XVIe siècle, l’exploitation des carrières de pierre calcaire de la Tombe-Issoire (au sud de Paris) commence à s’arrêter. À la fin du XVIIIe siècle, le lieu est totalement abandonné, tandis qu’en 1777 Louis XVI institue l’Inspection générale des carrières, ayant pour but de cartographier et consolider toutes les galeries en sous-sol de Paris. À la suite de l’effondrement d’une partie du cimetière des Innocents en 1780, plusieurs commissions sanitaires sont constituées ; celles-ci décident de fermer les cimetières de Paris et de transférer les restes humains dans les carrières de la Tombe-­Issoire. À cette recommandation visant à éloigner les vivants des « miasmes cadavériques » se double une volonté moins médicale et plus économique de récupérer du terrain à bâtir face à la pression démographique, donc immobilière.

Dès 1785 - 1786, les premiers dépla­cements de squelettes s’organisent nuitamment, d’abord accompagnés d’un prêtre puis avec un appauvrissement rituel progressif. Jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, c’est l’ensemble des cimetières intra ­muros de Paris qui vont ainsi être « curés » (tout en sachant qu’il a été physiquement impossible d’arriver jusqu’aux couches les plus anciennes des nécropoles, probablement datées de l’époque gallo-romaine). D’abord jetés sans ordre dans les galeries, ces ossements accumulés pendant plusieurs dizaines d’années vont secondairement être organisés en ossuaires « construits » sous la forme de murs (« hagues ») bordant des couloirs de circulation pour les visiteurs : les Catacombes sont, en effet, ouvertes aux curieux cherchant à se confronter à la réalité de la mort et à découvrir des citations philosophiques gravées sur des stèles réparties le long du parcours.1,2

Cohorte de plusieurs millions d’individus

Au-delà du caractère patrimonial, quel peut être l’intérêt anthropologique de ces restes humains représentant environ mille ans d’occupation de l’espace parisien ? On pense à l’anthropologie funéraire, bien entendu, avec les opportunités d’études sur l’évolution des pratiques rituelles autour du corps mort (positionnement des épingles à linceul par l’analyse des traces de corrosion de celles-ci sur les ossements secs, types de poignée de cercueil en fer ou en cuivre, espèces de bois des cercueils par étude botanique, petits objets cérémoniels associés aux cadavres, etc.). Mais l’anthropologie physique a également toute sa place, et l’on peut s’étonner qu’aucune étude scientifique véritable n’ait jamais été réalisée avant l’implication du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.3,4 Cet ensemble squelettique représente, en effet, une cohorte unique sur le plan de la santé publique, avec plusieurs millions d’individus pour lesquels la quasi-­totalité des éléments d’analyse sont récupérables de façon immédiate ou a posteriori (encadré).

Nombreuses pathologies identifiables

Les examens préliminaires menés sur plusieurs hagues (dont la hague 121, figure) semblent montrer la grande sous-représentation de squelettes de sujets immatures (pourtant supposés majoritaires d’après les tables paléo-démographiques),5 vraisemblablement en raison d’une fragmentation extrême lors des déplacements multiples des éléments squelettiques (tableau). 

Des pathologies correspondant à l’ensemble des grandes classes nosologiques ont été mises en évidence, confirmant le potentiel réel en matière de diagnostic rétros­pectif : infections (syphilis, tuberculose, lèpre, etc.), carences (une grande fréquence de rachitisme semble déjà se dégager des premières séries d’examens), traumatismes (fractures des os longs, principalement), tumeurs (quelques cas de métastases osseuses ont déjà été identifiés), malformations. Des traces d’actions anthropiques sont également observables : soins bucco-dentaires, trépanations (certaines avec cicatrisation plus ou moins complète des berges au moment du décès), amputation de membres (principalement fémur, avec tantôt le segment sain, tantôt le segment pathologique), sciage du crâne en contexte autopsique et/ou d’embaumement, etc.

Fort potentiel biomédical

La réalisation d’examens complémentaires permet de compléter et/ou confirmer les données globales et individuelles  : morphologiques (radiographie/scanner), toxicologiques/élémentaires (recherche d’exposition aux polluants, principalement  : plomb, arsenic, mercure, antimoine), génétiques (sexe de l’individu lorsqu’il ne s’agit pas d’un os du bassin pour lequel le diagnostic est anatomique  ; migrations de populations, notamment d’origine extra-européenne  ; identification de processus infectieux ne laissant pas de trace osseuse, par exemple peste, variole ou choléra), dosage du 14C(datation de l’ancienneté des restes).

L’ensemble de ces éléments permet désormais de considérer les Catacombes de Paris non pas seulement comme un ossuaire à valeur patrimoniale culturelle mais aussi à fort potentiel biomédical : l’ensemble des critères scientifiques spécifiques d’une cohorte rétrospective (ou « historique ») s’y applique, autorisant dès lors une exploitation statistique des résultats d’analyse et une comparaison chronoculturelle avec d’autres cohortes plus récentes. Ainsi, il devient possible de proposer des tendances évolutives sur le plan de l’histoire naturelle d’agents infectieux, de microbiomes, de facteurs carcinogènes… 

Remerciements : l’étude scientifique biomédicale des Catacombes de Paris est placé sous l’autorité d’une convention liant Paris Musées et le Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). L’auteur remercie Mme Isabelle Knafou, administratrice des Catacombes, pour son rôle essentiel dans ce partenariat.
Encadre

Réponse aux critères de cohorte pour les Catacombes de Paris

  • Données individuelles
  • Objectif observationnel
  • Objectifs descriptifs et analytiques
  • Suivi temporel
  • Mesure de l’incidence
  • Mesure de l’association entre prédicteurs et résultats
  • Prédicteurs et résultats déjà produits avant l’étude
D’après la réf. 6.
D’après la réf. 6.
Références
1. Charlier P. Médecin des morts. Récits de paléopathologie. Paris, Fayard, 2006.
2. Chaunu P. La mort à Paris (XVIe-XVIIIe siècles). Paris, Fayard, 1978.
3. Moller-Christensen V, Jopling WH. An examination of the skulls in the Catacombs of Paris. Med History 1964;8(2):187-8.
4. Deps PD, Collin SM, Robin S, et al. Leprosy in skulls from the Paris Catacombs. Ann Hum Biol 2020;47(1):42-7.
5. Ledermann S. Nouvelles tables-types de mortalité. Paris, PUF, 1969.
6. Plazanet-Gibson E. Les Catacombes de Paris, potentielle base de données de cohorte. Mémoire de M1 Méthodes en santé publique, sous la direction de P. Charlier, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), 2024.

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