Le marketing social, né aux États-Unis il y a environ cinquante ans, s’est développé en France depuis les années 2000. Il s’inspire des techniques du marketing commercial mobilisé par les entreprises pour mettre en place des programmes de prévention. De nombreuses recherches ont montré son efficacité pour modifier les comportements dans divers contextes, dont les addictions.
En France, François Bourdillon a impulsé cette technique à Santé publique France, agence qu’il a dirigée jusqu’en 2019 : « Notre pays franchit une étape, celle de l’intégration pleine et entière du marketing social dans les outils de la santé publique. Longtemps, ce terme n’était pas admis dans ce milieu […]. Pourtant, le marketing est un outil puissant pour favoriser l’adoption d’habitudes de vie et des environnements favorables à la santé ».1 Par exemple, cette agence a lancé, en 2016, le Mois sans tabac, qui mobilise cet outil.2
Définition, application et analyse
La définition du marketing social, proposée par les chercheurs Lazer et Kelley en 1973, est intéressante pour réfléchir à ses contours et apports :3 il « consiste à appliquer et à utiliser les connaissances, les concepts et les techniques du marketing [marchand] pour des finalités sociales. Le marketing social consiste également à analyser les conséquences sociales des activités, décisions et politiques marketing des acteurs [marchands] ».
La première partie de cette définition se réfère aux techniques « empruntées » au marketing commercial pour encourager les comportements favorables à la santé des individus. Elles sont décrites dans le tableau ci-dessous. Cette démarche s’appuie sur la fixation d’objectifs comportementaux, la connaissance des publics bénéficiaires, puis la segmentation et le ciblage de ces publics. Le déploiement d’une intervention fondée sur le marketing social se base sur les 5C : promotion du comportement préconisé via des aides, réduction des freins associés, campagne de communication, collaborateurs sur le terrain agissant sur les lieux de vie des publics, capacité d’accès aisé aux aides. Puis l’évaluation des actions entreprises permet d’améliorer les programmes.
La deuxième partie de la définition du marketing social proposée par Lazer et Kelley s’intéresse aux activités commerciales des industriels qui influencent négativement les comportements de santé des individus. Cette dimension du marketing social, le « marketing social critique »,4 marque les prémices des « déterminants commerciaux de la santé » définis dans The Lancet comme « les systèmes, les pratiques et les façons par lesquels les acteurs commerciaux influencent la santé et l’équité ».5 Il s’agit ici d’analyser et de prendre en considération l’impact du marketing des entreprises de l’alcool, du tabac, des jeux de hasard et d’argent, etc. sur le développement de comportements addictifs. Les déterminants commerciaux de la santé éclairent sur la façon dont le marketing très agressif de ces industriels « accroche » les plus jeunes et les populations vulnérables : produits conçus pour plaire aux adolescents (cigarettes aromatisées, packaging coloré, etc.), promotions sur les prix, publicité massive, marketing sur les réseaux sociaux, accès aisé au tabac malgré les interdictions de vente aux mineurs, etc.6 On comprend alors qu’il est crucial de contrecarrer ce marketing qui constitue une « concurrence » très forte pour les actions de prévention menées par les acteurs de la santé.
Considérer et bloquer les déterminants commerciaux
Les déterminants commerciaux de la santé s’intéressent également au lobbying des entreprises du tabac, de l’alcool, etc. auprès des élus et des gouvernements, dont l’objectif est d’entraver l’adoption de politiques publiques efficaces pour réduire la prévalence : lobbying contre la hausse des taxes et donc du prix du tabac,7 affaiblissement de la loi Évin de régulation du marketing de l’alcool,8 etc. La prise en compte et le blocage de ces déterminants commerciaux sont essentiels pour réduire les comportements addictifs et, par effet domino, les coûts des soins, de la prévention et les inégalités sociales de santé.
Prendre en compte l’éthique et les effets collatéraux du marketing social
Des problèmes éthiques peuvent expliquer que certains acteurs de la santé soient réticents à mobiliser le marketing social. Réfléchir à ces questionnements éthiques n’est pas propre au marketing social mais doit concerner toutes les actions de prévention.9 Il faut alors s’interroger sur les éventuels effets non désirés provoqués par une intervention, les conséquences d’injonctions multiples reçues par les individus (ne pas fumer, moins boire, faire attention à son alimentation), le stress provoqué par des campagnes de communication sur les risques (peur de tomber malade quand on fume), etc. Anticiper et réfléchir à ces questions est nécessaire lorsque l’on crée un programme de marketing social, qui reste, nonobstant, une démarche efficace pour favoriser les changements de comportement en santé.
2. Djian A, Guignard R, Gallopel-Morvan K, et al. From “Stoptober” to “Moi(s) Sans Tabac”: How to import a social marketing campaign. J Social Marketing 2019;9(4):345-56.
3. Lazer W, Kelley EJ. Social marketing: Perspectives and viewpoints. Homewood, IL: Richard D. Irwin. 1973.
4. Hastings G, Michael S. The critical contribution of social marketing: Theory and application. Marketing Theory 2003;3(3):305-22.
5. Gilmore AB, Fabbri A, Baum F, et al. Defining and conceptualising the commercial determinants of health. The Lancet 2023;401(10383):1194-213.
6. Expertise collective INSERM. Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool : stratégies de prévention et d’accompagnement, p. 241-81.
7. Topart F, Beguinot E., Gallopel-Morvan K. Analyzing arguments on tobacco tax increases. Focus on French parliamentary questions and responses, 2000-2020. Tob Induc Dis 2024;22.
8. Millot A, Maani N, Knai C, et al. An analysis of how lobbying by the alcohol industry has eroded the French Evin Law since 1991. Journal of Studies on Alcohol and Drugs 2022;83(1):37-44.
9. Kass NE. An ethics framework for public health. American Journal of Public Health 2001;91(11):1776-82.