La pathologie hémorroïdaire concerne environ la moitié des individus au cours de leur vie. En raison de l’absence de risque évolutif dans l’immense majorité des cas, la stratégie thérapeutique repose sur le risque minimal. Visant à améliorer la qualité de vie, elle consiste à choisir le traitement le moins invasif possible en première intention, avec une approche chirurgicale en dernier recours.
Les hémorroïdes sont des formations vasculaires normales présentes dès la naissance chez tous les individus, qui se décomposent en deux réseaux distincts : les hémorroïdes internes, dans la paroi de la partie haute du canal anal, et les externes sous la peau de la marge anale. Ces deux réseaux sont à l’origine de pathologies différentes.
Pathologie hémorroïdaire externe
C’est la forme la plus fréquente. Les deux principaux symptômes sont :
- la thrombose hémorroïdaire externe (fig. 1) : appelée aussi crise hémorroïdaire, elle se manifeste sous la forme d’une tuméfaction constituée d’un caillot, unique ou multiple, associé à une réaction œdémateuse plus ou moins importante. Elle cause des douleurs d’intensité variable ;
- les marisques (fig. 2) : ce sont des replis cutanés souvent séquellaires de thrombose. Ils peuvent être gênants pour le patient pour des raisons esthétiques, hygiéniques ou intimes.
Les règles hygiénodiététiques (régulation du transit +++) et le traitement médical doivent toujours être proposés en 1re intention. Ce dernier comprend des antalgiques (paracétamol codéiné, tramadol), des corticoïdes topiques. Les veinotoniques ont un faible niveau de preuves, sont chers et peu remboursés. Dans la thrombose hémorroïdaire, les AINS s’avèrent extrêmement efficaces contre l’œdème et la douleur (mais CI chez la femme enceinte ; préférer les corticoïdes locaux).
L’incision ou l’excision sont déconseillées, à part dans deux cas : le traitement des marisques et celui des caillots résiduels, tous deux à distance de la crise hémorroïdaire :
- marisques : exérèse des excroissances après piqûre de xylocaïne adrénalinée ;
- caillot résiduel : excision si l’œdème a disparu depuis plusieurs mois et que le patient le demande ; l’opération se fait sous anesthésie locale.
Pathologie hémorroïdaire interne
La pathologie hémorroïdaire interne provoque trois symptômes caractéristiques :
- Les saignements : indolores et artériels (sang rouge vif). S’ils sont douloureux, il s’agit d’une autre pathologie (comme une fissure anale). Ils sont parfois très abondants, avec un risque d’anémie (le Dr Fathallah a créé un score de saignement pour les caractériser).
- Le prolapsus (fig. 3), dont la gravité est caractérisée en 4 stades/grades par le score de Goligher (encadré), utilisé dans l’algorithme de décision thérapeutique.
- La thrombose hémorroïdaire interne prolabée : hyperalgique ; le patient est incapable de s’asseoir normalement. Elle est présente, par exemple en fin de grossesse, en post-partum, et nécessite une prise en charge rapide.
Traitement médical
Les traitements de la pathologie hémorroïdaire interne font l’objet de recommandations européennes émises en 2020 par la Société européenne de coloproctologie (ESCP) (algorithme complet de décision ci-contre). Quel que soit le grade de Goligher, le traitement hygiénodiététique et médical (cf. plus haut) est recommandé en première intention.
Traitement instrumental
En 2e intention, pour les grades 1 et 2 de Goligher, le traitement instrumental est recommandé. Surtout réalisé par les gastroentérologues, il vise à détruire le tissu hémorroïdaire interne, pour agir sur les saignements et le prolapsus. Aujourd’hui, deux techniques existent en France : la ligature élastique (peut-être un peu plus efficace) et la photocoagulation infrarouge. Cette dernière traite surtout les saignements, tandis que la ligature élastique est plutôt utilisée contre le prolapsus. Ces gestes touchant une partie haute du canal anal où la muqueuse n’a pas de nocicepteurs, ils sont indolores, extrêmement simples et rapides (2 à 4 séances à 3 - 4 semaines d’intervalle). Il y a des CI (troubles de l’hémostase et/ou de la coagulation, MICI, immunosuppression sévère, antécédent de radiothérapie) et certaines complications : douleurs, hémorragie par chute d’escarre (surtout sous anticoagulants +++), infections (exceptionnelles) ; il faut en informer les patients pour qu’ils consultent en cas de signes d’alerte (cf. Société nationale de coloproctologie. Informations avant la réalisation d’un traitement par ligature élastique, septembre 2019.). La ligature élastique peut être aussi proposée à certains patients grade 3 - 4 en échec de traitement médical, notamment si la chirurgie est contre-indiquée.
Traitement chirurgical
En cas d’échec du traitement instrumental pour les grades 1 et 2, et d’échec du traitement médical pour les grades 3 et 4, l’approche chirurgicale est recommandée. Il y a deux grandes stratégies : l’hémorroïdectomie standard (technique de Milligan et Morgan ou hémorroïdectomie tripédiculaire) et les nouvelles techniques mini-invasives.
L’hémorroïdectomie tripédiculaire consiste à retirer les trois paquets hémorroïdaires internes. Elle se fait en ambulatoire. Les plaies cicatrisant à ciel ouvert, elles nécessitent des soins locaux pluriquotidiens à réaliser par les patients ; elles sont associées à des douleurs à la selle et à un processus de cicatrisation long, sous antidouleurs (Codoliprane, tramadol, AINS) ; l’arrêt de travail dure 2 à 3 semaines. Cette opération est radicale et définitive et les patients en sont généralement satisfaits. L’hémorroïdectomie tripédiculaire est une indication exclusive pour les thromboses répétées et les marisques hypertrophiques. On tend également à préférer cette approche en cas de prolapsus volumineux de grade 4 ou thrombosé et dans l’anémie hémorroïdaire avec prolapsus.
Depuis quelques années, l’arrivée des chirurgies mini-invasives a été une véritable révolution : l’idée est de « lifter » le tissu hémorroïdaire interne à l’intérieur (à la place de le réséquer) et de le dévasculariser pour qu’il ne saigne plus. Depuis la technique pionnière de Longo, de nouvelles techniques se sont rajoutées, réalisables en ambulatoire (tableauci-contre). Leurs avantages : il n’y a pas de plaie externe, donc pas de soins locaux postopératoires. L’opération concernant la partie haute du canal anal insensible, il n’y a pas ou peu de douleurs. L’arrêt de travail dure maximum 3 à 4 jours. Toutefois, le risque de récidive oscille entre 20 % et 30 % durant la décennie qui suit ; il faut donc en informer le patient.
La chirurgie mini-invasive est indiquée surtout pour les grades 2 et 3. Elle est également préférée en cas de faible tonus sphinctérien (par exemple, chez une femme de 60 ans multipare, car l’hémorroïdectomie s’accompagne alors d’un risque d’incontinence anale) et chez les patients ayant des relations anales (la technique de Milligan et Morgan peut entraîner des sténoses du canal anal après l’opération, ce qui peut être gênant pour les rapports anaux).
Aujourd’hui, la technique la plus courante en France est la ligature des artères hémorroïdaires avec guidage Doppler, suivie d’une mucopexie (DGHAL-RAR), mais d’autres approches arrivent en clinique. Le choix est fonction des préférences du patient et des procédures disponibles ; il n’y a pas d’essais randomisés ayant comparé ces techniques entre elles.
Attention : si les patients ont une pathologie hémorroïdaire trop avancée, il ne reste plus d’autre choix que l’hémorroïdectomie : le MG ne doit donc pas hésiter à adresser les patients afin qu’ils puissent bénéficier des approches instrumentale et chirurgicale mini-invasive.
Traitement radiologique
L’embolisation hémorroïdaire est une technique développée en France depuis une dizaine d’années par des radiologues interventionnels. Après avoir cathétérisé l’artère fémorale ou radiale, les radiologues remontent dans l’artère mésentérique inférieure, puis dans l’artère rectale supérieure, où ils repèrent puis embolisent une à une les artères qui vascularisent le réseau hémorroïdaire interne. Cette technique, moins agressive qu’un traitement instrumental, est adaptée aux patients avec des saignements et sans prolapsus majeur. On la propose aussi aux patients pour lesquels les traitements chirurgicaux sont contre-indiqués. L’opération réussit 2 fois sur 3.
Score de Goligher
Grade 1 : pas de prolapsus des hémorroïdes internes.
Grade 2 : prolapsus à la défécation ou à l’effort physique qui se réintègre spontanément.
Grade 3 : prolapsus à la défécation ou à l’effort physique qui nécessite une réintégration manuelle.
Grade 4 : prolapsus permanent du paquet hémorroïdaire. Dans ce cas, la tuméfaction peut suinter ou saigner, tacher les sous-vêtements, et le patient peut croire qu’il est incontinent.
À retenir
- Dans la thrombose hémorroïdaire, les AINS sont très efficaces et suffisent dans la grande majorité des cas.
- Il ne faut pas toucher à une thrombose œdémateuse. Pour l’exciser, il faut attendre qu’elle ne soit plus œdémateuse et de voir le caillot sous la peau.
- Il ne faut pas tarder à orienter les patients en chirurgie, car la méconnaissance des options chirurgicales pousse les patients à consulter trop tard, quand la seule option reste l’hémorroïdectomie.
- La chirurgie standard est radicale et définitive, mais plus désagréable et avec d’avantage de retentissements (2 - 3 semaines d’arrêt de travail), alors que la chirurgie mini-invasive a des suites beaucoup plus simples mais un risque de récidive non négligeable (20 - 30 %).
- Il faut adresser les patients à un spécialiste de la pathologie hémorroïdaire (gastroentérologue ou chirurgien viscéral) pour les orienter sur la stratégie thérapeutique.
- On ne peut pastraiter chirurgicalement en préventif une personne à risque ou qui a déjà eu des hémorroïdes.
Pour en savoir plus :
Nobile C. Traiter les hémorroïdes. Rev Prat (en ligne) 22 février 2022.
Fathallah N, De Parades V. Hémorroïdes internes, traitements modernes. Rev Prat Med Gen 2019;33(1026);627-8.
Van Tol RR, Kleijnen J, Watson AJM, et al. European Society of ColoProctology: guideline for haemorrhoidal disease. Colorectal Disease 2020;22(6);650-62.
Higuero T, Abramowitz L, Castinel A, et al. Recommandations pour la pratique clinique du traitement de la maladie hémorroïdaire – texte court. J Chir Visc 2016;153(3);220-4.