Introduction

La maladie rénale chronique (MRC) constitue un enjeu majeur de santé publique, avec une prévalence estimée à environ 10 % de la population française. 1 Parmi ses principales causes, la néphropathie diabétique, complication fréquente du diabète de type 2 (DT2), concerne près de 50 % des patients diabétiques. Elle représente aujourd’hui la première cause de MRC dans le monde, ainsi que la principale indication de dialyse et de transplantation rénale. Au-delà de son impact sanitaire, cette pathologie entraîne un coût économique important pour le système de santé. Par ailleurs, le risque cardiovasculaire (CV), déjà élevé chez les patients atteints de DT2, est considérablement accru en présence d’une MRC. Cela confère à cette affection une importance stratégique en matière de prévention et de prise en charge. Le dépistage systématique et la prise en charge précoce de la MRC chez les patients diabétiques sont donc essentiels, tant pour ralentir la progression de la maladie rénale que pour réduire le risque d’événements CV associés.2

Les outils

Le dépistage de la MRC repose sur une évaluation régulière de la fonction rénale, rendue possible grâce à des outils simples, validés et adaptés à la pratique en soins primaires : l’estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG) et le ratio albuminurie-créatininurie (RAC). Chez les patients atteints de DT2, cette évaluation doit être réalisée au moins une fois par an.2,3 Elle comprend le dosage de la créatinine sérique, permettant d’estimer le DFG à l’aide de la formule CKD-EPI, actuellement recommandée, ainsi qu’une mesure du RAC sur un échantillon d’urine. L’association de ces deux paramètres permet une évaluation complète du statut rénal.

Deux seuils d’alerte majeurs sont à retenir :

  • un DFG estimé < 60 mL/min/1,73 m² persistant depuis plus de trois mois, définissant une MRC ;
  • un RAC > 30 mg/g, marqueur précoce d’atteinte glomérulaire.
 

L’élévation du RAC constitue un marqueur précoce et essentiel du risque rénal et CV, en particulier chez les patients atteints de DT2. Elle précède fréquemment la diminution du DFG, parfois de plusieurs années, ce qui en fait un indicateur d’alerte précieux pour un dépistage et une prise en charge précoces.

Un outil désormais incontournable pour l’évaluation du risque rénal est la classification KDIGO (kidney disease : improving global outcomes) [fig. 1]. Cette matrice croise les valeurs du DFG et du RAC afin de stratifier le risque cardio-rénal de manière simple et standardisée. 3 Le DFG est réparti en six catégories : ≥ 90 mL/min/1,73 m² ; 60 - 89 mL/min/1,73 m² ; 45 - 59, 30 - 44 mL/min/1,73 m² ; 15 - 29 mL/min/1,73 m² ; et < 15 mL/min/1,73 m². Le RAC, quant à lui, est classé en trois niveaux : < 30 mg/g ; 30 - 300 mg/g ; et > 300 mg/g.

Chaque croisement de ces paramètres correspond à un code couleur indiquant le niveau de risque : 

  • vert, risque faible, surveillance simple ;
  • jaune, risque modéré, mise en place d’un traitement recommandé ;
  • orange, risque élevé, traitement intensifié nécessaire ;
  • rouge, risque très élevé de progression vers la défaillance rénale et de complications cardiovasculaires majeures ; nécessite une prise en charge spécialisée et renforcée.
 

Cette stratification visuelle permet au médecin de prendre rapidement des décisions adaptées à la gravité du risque identifié.

En complément de la matrice KDIGO, le score KFRE (kidney failure risk equation) constitue un outil prédictif utile pour estimer le risque d’évolution vers une défaillance rénale nécessitant un traitement de suppléance (dialyse ou transplantation). Il permet d’orienter de manière objective la décision de recours à une prise en charge spécialisée.

Le score KFRE s’appuie sur quatre variables cliniques simples : l’âge, le sexe, le DFG estimé et le RAC. Son calcul est accessible en ligne via le site : https ://kidneyfailurerisk.com.

Les seuils d’interprétation généralement retenus sont les suivants :

  • score à 5 ans < 3 % : suivi en soins primaires suffisant, sans nécessité de recours spécialisé ;
  • score à 5 ans ≥ 3 % : orientation vers une consultation néphrologique recommandée ;
  • score à 2 ans ≥ 10 % : indication d’un parcours de soins pluridisciplinaire spécifique à la MRC, en anticipation d’un traitement de suppléance.
 

L’utilisation conjointe du score KFRE et de la matrice KDIGO permet une stratification fine du risque rénal et une prise en charge adaptée à chaque patient.

La prise en charge précoce par le médecin généraliste

Le médecin généraliste joue un rôle central dans le dépistage, la prévention et la prise en charge précoce de la MRC chez le patient atteint de DT2. Une intervention précoce est essentielle pour ralentir la progression de la MRC et prévenir les complications cardiovasculaires, étroitement associées à l’atteinte rénale (fig. 2).

Les premières mesures à initier concernent l’hygiène de vie, avec des recommandations visant à réduire les facteurs de risque métaboliques et vasculaires :3

  • une alimentation équilibrée, riche en fruits et légumes, pauvre en sel, en sucres rapides et en produits ultra-transformés ;
  • une activité physique régulière, adaptée aux capacités et au profil du patient ;
  • le maintien d’un indice de masse corporelle (IMC) compris entre 18,5 et 25 ;
  • l’arrêt total du tabac.
 

Sur le plan thérapeutique, la mise en route d’un traitement médicamenteux ne doit pas être retardée chez les patients atteignant au moins le niveau « jaune » dans la matrice KDIGO.3 Une stratégie pharmacologique adaptée inclut :

  • un inhibiteur du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion [IEC] ou antagoniste des récepteurs de l’angiotensine [ARA2]), pour sa protection rénale et cardiovasculaire ;
  • un inhibiteur des cotransporteurs sodium-glucose de type 2 (iSGLT2), démontrant une efficacité dans la réduction du déclin du DFG et des événements cardio-rénaux ;4,5
  • une statine, pour la réduction du risque CV ;
  • un agoniste des récepteurs du GLP- 1 peut également être envisagé selon le profil métabolique du patient.6
 

Un contrôle strict de la pression artérielle, avec un objectif tensionnel inférieur à 130/80 mmHg, est recommandé. Il repose souvent sur une trithérapie antihypertensive associant un inhibiteur du système rénine-angiotensine (ISRA), un diurétique thiazidique et un inhibiteur calcique.7,8

Deux situations principales justifient un recours au néphrologue, par consultation ou téléexpertise :

  • un déclin rapide du DFG estimé ou une augmentation significative du RAC ;
  • l’entrée dans la MRC avec un niveau de risque « orange » ou « rouge » selon la matrice KDIGO, impliquant une orientation spécialisée dans un délai standard.

Conclusion

Le dépistage précoce d’une atteinte rénale chez les patients DT2 permet :

  • de retarder ou d’éviter le recours à un traitement de suppléance (dialyse ou transplantation) ;
  • d’améliorer le pronostic CV ;
  • de préserver la qualité de vie des patients ;
  • d’optimiser l’utilisation des ressources spécialisées en orientant uniquement les cas justifiant une prise en charge experte.
 

L’évaluation du risque rénal chez le patient présentant un DT2 est indispensable, simple à mettre en œuvre et lourde d’implications cliniques. La mesure combinée du DFG estimé et du RAC offre une approche pragmatique et efficace pour dépister, classer et suivre l’évolution de la MRC. Le médecin généraliste, au cœur du parcours de soins, peut grâce à ces outils agir de façon autonome dans la majorité des cas, et savoir orienter au bon moment. L’intégration du score KFRE permet une prédiction personnalisée du risque d’évolution, affûtant encore davantage la prise en charge. Au vu des avancées thérapeutiques actuelles, l’anticipation du risque rénal devient un levier essentiel pour prolonger la santé rénale et globale des patients atteints de DT2.

Encadre

À retenir

  • Dépistage au moins annuel du DFG et du RAC chez tous le patients DT2.
  • Rôle clé du médecin généraliste : prévention, traitement précoce et orientation.
  • KDIGO et KFRE : outils simples d’évaluation et de stratification du risque rénal.
  • Des possibilités thérapeutiques dès les premiers signes.
  • Diminution du risque CVet rénal avec une prise en charge précoce. 
Références
1. Olié V, Cheddani L, Stengel B, et al. Prévalence de la maladie rénale chronique en France, Esteban 2014-2016. Néphrologie & Thérapeutique 2021;17(7):526-31.
2. Guide du parcours de soins – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC). Haute Autorité de santé 2023.
3. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) CKD Work Group. KDIGO 2024 Clinical practice guideline for the evaluation and management of chronic kidney disease. Kidney Int 2024;105(4S):S117-S314. 
4. Perkovic V, Tuttle KR, Rossing P, et al.; FLOW Trial Committees and Investigators. Effects of Semaglutide on Chronic Kidney Disease in Patients with Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2024;391(2):109-21. 
5. Mancia G, Kreutz R, Brunström M, et al. 2023 ESH Guidelines for the management of arterial hypertension The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension: Endorsed by the International Society of Hypertension (ISH) and the European Renal Association (ERA). J Hypertens 2023;41(12):1874-2071. 
6. Vrints C, Andreotti F, Koskinas KC, et al.; ESC Scientific Document Group. 2024 ESC Guidelines for the management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J 2024;45(36):3415-537. 
7. Heerspink HJL, Stefánsson BV, Correa-Rotter R, et al.; DAPA-CKD Trial Committees and Investigators. Dapagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med 2020;383(15):1436-46. 
8. The EMPA-KIDNEY Collaborative Group; Herrington WG, Staplin N, Wanner C, et al.. Empagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med 2023;388(2):117-27. 

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Résumé

Chez les patients diabétiques de type 2, le dépistage régulier de la maladie rénale chronique à l’aide du débit de filtration glomérulaire estimé et du ratio albuminurie/créatininurie est essentiel. L’utilisation de la matrice KDIGO (kidney disease : improving global outcomes) et du score KFRE (kidney failure risk equation) permettent une stratification fine du risque rénal et oriente pour un adressage adapté en consultation spécialisée de néphrologie. Le médecin généraliste, acteur central, peut ainsi initier les mesures hygiéno-diététiques et thérapeutiques adaptées dès les premiers signes. Cette prise en charge précoce retarde l’évolution vers la défaillance rénale et réduit le risque cardiovasculaire, optimisant ainsi les ressources spécialisées et la qualité de vie des patients.