Une action potentielle du microbiote sur les neurotransmetteurs
Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont parmi les troubles du neurodéveloppement les plus fréquents (prévalence d’environ 5 % des enfants pour le TDAH en France, et d’environ 1 % des naissances pour les TSA). Il existe une haute comorbidité clinique entre TDAH et TSA, et la littérature suggère des points communs dans les schémas neuronaux et le terrain génétique de ces deux affections multifactorielles. Notamment, des gènes associés à la dopamine, à la sérotonine et à l’acide γ-aminobutyrique (GABA) – le principal neurotransmetteur inhibiteur de l’adulte – ont été impliqués dans les TSA et le TDAH. Les niveaux réduits de ces neurotransmetteurs résultent en un moindre contrôle inhibiteur de l’activité neuronale, rendant plus difficile l’apprentissage.
La production de ces neurotransmetteurs n’est pas qu’une affaire de génétique. Grâce au dialogue biochimique entre l’appareil digestif et le système nerveux central, différents facteurs externes peuvent entrer en jeu, comme la composition du microbiote. Ainsi, des probiotiques – dont certaines bifidobactéries et lactobacilles – peuvent participer à la synthèse ou au contrôle du relargage des neurotransmetteurs par des cellules intestinales. Or les sujets souffrant de TSA ou de TDAH montrent parfois des signes de déséquilibre du microbiote intestinal, pouvant potentiellement affecter en retour leur production de GABA, de dopamine et de sérotonine. L’ingestion de probiotiques associés à la production de ces neurotransmetteurs peut-elle indirectement améliorer la symptomatologie de ces troubles ?
Intervention nutritionnelle de 12 semaines
Plusieurs études ont déjà investigué la question et évoquent l’intérêt de Lactobacillus plantarum. Mais leur hétérogénéité empêche de conclure. Des chercheurs espagnols ont donc mené un essai randomisé en double aveugle contrôlé par placebo. Leur hypothèse était que cette supplémentation pouvait améliorer les symptômes de TSA et de TDAH.
Les patients ont été recrutés par des centres cliniques spécialisés dans les troubles neurodéveloppementaux de la province de Tarragone (Espagne). Ils devaient être âgés de 5 à 16 ans, diagnostiqués selon les critères du DSM- 5 et ne pas avoir utilisé de probiotiques dans les 3 mois précédant l’étude. En tout, 80 enfants (dont 38 souffrant de TDAH et 42 ayant un TSA) ont été randomisés dans 4 groupes : 2 groupes placebo (un par trouble) et 2 groupes probiotiques (un par trouble) [moyenne d’âge entre 9 et 10 ans selon le groupe, 65 à 85 % de filles selon le groupe].
L’intervention nutritionnelle a duré 12 semaines. Tous les jours, chaque enfant a reçu selon son groupe un sachet de 2 g soit de placebo, soit d’un mélange contenant 50 mg de probiotiques (Lactiplantibacillus plantarum et Levilactobacillus brevis à parts égales).
Les critères de jugement principaux évaluaient les symptômes psychologiques des enfants, suivant deux tests remplis par les parents (Conners 3rd edition, SRS- 2) et un test effectué par les enfants (CPT- 3 au-delà de huit ans, K-CPT- 2 sinon).
Résultats négatifs, mais signaux encourageants
Cette étude pilote est parue début janvier 2025 dans Research on Child and Adolescent Psychopathology. Elle est plutôt décevante : l’hypothèse initiale n’est pas vérifiée, puisque les groupes placebo et probiotiques ne diffèrent sur aucun des critères de jugement principaux.
Toutefois, en stratifiant les résultats par groupe d’âge (5 - 9 ans et 10 - 14 ans), les chercheurs trouvent une amélioration des symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité chez les plus jeunes. De même, en analyse de sous-groupe chez les enfants souffrant de TSA, il y a une amélioration de l’impulsivité observée par rapport au groupe placebo dans un des tests psychologiques, ainsi qu’un meilleur score de qualité de vie. Les auteurs soulignent donc que les probiotiques utilisés pourraient améliorer l’hyperactivité et l’impulsivité chez les enfants ayant un TSA ou un TDAH, ainsi que la qualité de vie dans les TSA. Toutefois, de nouvelles recherches doivent être menées pour optimiser l’usage des probiotiques et pour l’évaluer dans un public plus large – les enfants inclus ayant des troubles peu sévères.