La dépression s’avère parfois difficile à traiter : les médicaments de 1re ligne (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine [ISRS] et inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline [IRSNa]) échouent chez 30 à 50 % des patients.
Ces molécules, qui ne font effet qu’après quelques semaines, agissent sur les neurotransmetteurs des neurones sérotoninergiques et noradrénergiques, dont l’activité anormale entraînerait la dépression selon l’hypothèse monoaminergique traditionnelle. Face aux limites de ces options classiques, et alors que l’hypothèse monoaminergique est de plus en plus remise en question , les scientifiques recherchent des molécules ayant un impact rapide sur les symptômes et agissant via d’autres mécanismes, comme la signalisation glutamatergique.
Première méta-analyse complète
Pionnière dans son genre, la kétamine, un antagoniste des récepteurs glutamatergiques NMDA, a obtenu un véritable succès en recherche ces dernières années, avec une utilisation intraveineuse hospitalière déjà disponible et remboursée pour certaines dépressions.
Autre antagoniste des récepteurs glutamatergiques NMDA, le protoxyde d’azote (N2O) est déjà utilisé en médecine pour ses effets analgésiques et anesthésiants. Il a montré du potentiel comme antidépresseur dans de petits essais, mais ce jeune champ d’étude manquait jusqu’alors d’une revue systématique complète pour faire le point sur l’état de la recherche.
Des chercheurs anglais ont donc réalisé une revue systématique de la littérature anglophone jusqu’en juin 2025 sur différentes bases de données bibliographiques (PubMed, Embase, PsycINFO, Google Scholar, clinicaltrials.gov). Les études et protocoles d’études inclus devaient être interventionnels (essais randomisés ou non) et évaluer l’utilisation du N2O dans le traitement de la dépression, de la dépression résistante ou du trouble bipolaire. Des méta-analyses ont été réalisées quand c’était possible, avec comme critères de jugement principaux l’évolution des symptômes dépressifs et les évènements indésirables.
Un effet statistiquement significatif
Les résultats ont été publiés le 30 novembre 2025 dans eBioMedicine. Sept essais cliniques totalisant 247 participants ont été inclus, ainsi que 4 protocoles d’études. Tous ces articles ont utilisé des modalités voisines d’administration : une ou plusieurs sessions de 20 ou 60 minutes d’inhalation de N2O, soit en mélange équimolaire (50 % du gaz) protoxyde d’azote/dioxygène (appelé MEOPA), soit à 25 %. Le comparateur placebo était selon les cas du dioxygène, de l’air, un mélange diazote/dioxygène, ou un mélange air/dioxygène (avec ou sans midazolam intraveineux).
La méta-analyse de 3 essais (N = 88 personnes) ayant utilisé comme intervention des sessions de MEOPA de 60 minutes (1 à 3 selon les essais inclus) montre un effet statistiquement significatif à court terme sur l’échelle de dépression de Hamilton HDRS (HDRS- 17 ou HDRS- 21 selon les études ; score allant de 0 à 52/60, plus haut score = plus de symptômes dépressifs). En effet, les personnes traitées au N2O ont un score HDRS moyen plus faible que le groupe placebo 2h après inhalation (différence moyenne sur ces 3 études [DM] = - 2,74 ; IC95 % = [- 4,72 ; - 0,76] ; p = 0,007) et 24 h après l’inhalation (DM = - 3,32 [- 5,09 ; - 1,55] ; p 0,001), mais pas après 1 semaine (DM = - 1,52 [- 4,07 ; 1,03] ; p = 0,24). Toutefois, la significativité statistique n’est pas nécessairement synonyme d’effet thérapeutique, puisqu’un changement de score HDRS- 17 est considéré comme cliniquement significatif s’il est ≥ 4.
Au-delà de cette méta-analyse, une étude incluse (N = 20 personnes) montrait 2 h et 24 h après l’inhalation une réduction moyenne du score HDRS > 4. Un autre essai de la même équipe a rapporté une réduction moyenne du score HDRS- 21, 2 semaines après inhalation, de 5,2 (p = 0,02) avec du N2O à 25 % et de 7,0 (p = 0,01) avec du MEOPA.
Des questions en suspens
Les effets indésirables étaient transitoires et légers (nausées/vomissement, mal de tête, vertiges significativement plus fréquents que dans les groupes contrôle) et indiquaient une meilleure tolérance pour l’inhalation de N2O à 25 %.
Enfin, l’étude des protocoles de recherche montre que la plupart des études produites ou en cours sont exploratoires ou en phase précoce (phase 1 ou 2), focalisés sur les effets du protoxyde d’azote à court terme.
En conclusion, les auteurs considèrent que ces résultats démontrent de manière reproductible que le protoxyde d’azote a des effets antidépresseurs d’apparition rapide, valables au moins à court terme. Cependant, des études de plus grande ampleur mieux standardisées, évaluant les effets de l’inhalation à plus long terme, sont nécessaires pour clarifier le potentiel du N2O dans la dépression.
Pour en savoir plus :
Annequin D. Le protoxyde d’azote est surtout un antalgique essentiel ! Rev Prat 2023;73(1):3.
Martin Agudelo L. Du gaz hilarant pour traiter la dépression ! Rev Prat (en ligne) 21 mars 2024.
Martin Agudelo L. Protoxyde d’azote : de nouveaux chiffres alarmants. Rev Prat (en ligne) 18 avril 2025.
Pierrefixe S. Santé mentale : du gaz hilarant pour traiter la dépression ? Inserm 12 mars 2024.
Martin Agudelo L. La kétamine per os pour traiter la dépression. Rev Prat (en ligne) 28 juin 2024.