Les analogues de l’incrétine glucagon-like peptide- 1 (aGLP- 1) font l’objet d’un véritable engouement. On ne compte plus les indications pour lesquelles ils sont évalués ou déjà utilisés. Prescrits depuis des décennies pour traiter le diabète de type 2, ils le sont depuis plus récemment pour l’obésité, et de très nombreuses études pointent leurs effets cardioprotecteurs, néphroprotecteurs, voire neuropsychiatriques (pour réduire les conduites addictives liées à l’alcool ou au tabac).
Ces molécules pourraient-elles également protéger contre la démence ? C’est ce que suggère une nouvelle étude observationnelle conduite sur un registre de plus de 1 million de patients à haut risque de maladie d’Alzheimer, entre 2017 et 2021 aux États-Unis. Ses résultats viennent de paraître dans la revue Alzheimer’s & Dementia .
Une diminution de 40 à 70 % du risque d’Alzheimer
Des données de vie réelle sur 1 094 761 personnes ont été extraites de dossiers cliniques électroniques anonymisés, pour faire une émulation d’essai cible (emulation target trial), qui consiste à mimer les conditions d’un essai contrôlé randomisé à partir de données observationnelles en minimisant les biais. Il s’agissait de comparer l’effet de la prise de sémaglutide à celle d’autres antidiabétiques sur le risque de survenue d’une maladie d’Alzheimer.
Diabétiques de type 2 et sans diagnostic de maladie d’Alzheimer ni traitement antidiabétique préalables, les participants étaient suivis pendant 3 ans après l’initiation de leur traitement. Ils prenaient soit du sémaglutide (N = 17 104), soit de l’insuline (N = 708 989), soit de la metformine (N = 550 105) – les deux groupes de comparaison les plus vastes –, ou d’autres antidiabétiques tels que les iDPP- 4, les iSGLT- 2, les sulfamides hypoglycémiants ou encore d’autres types d’aGLP- 1.
Les comorbidités étaient fréquentes : dans les groupes sémaglutide et insuline (qui étaient appariés), plus de 40 % des patients étaient obèses, plus des trois quarts avaient une HTA ou une dyslipidémie et près d’un tiers d’autres pathologies cardiovasculaires – des facteurs de risque reconnus de démence. L’âge moyen était de 58 ans.
Pendant le suivi, les patients prenant du sémaglutide avaient un risque significativement moins important de recevoir un diagnostic d’Alzheimer comparés à ceux prenant d’autres antidiabétiques.
Le risque était réduit :
- de 40 %, en comparaison à d’autres aGLP- 1 ou aux iSGLT- 2, avec des hazard ratios respectifs de 0,59 (IC95 % : 0,37 - 0,95) et 0,60 (IC95 % : 0,37 - 0,98) ;
- jusqu’à 60 - 70 % en comparaison à la metformine et à l’insuline (HR de 0,38 [IC95 % : 0,24 - 0,59] et 0,33 [IC95 % : 0,21 - 0,51]).
Les résultats étaient similaires dans les sous-groupes séparés par sexe, âge ou présence/absence d’obésité.
Les auteurs en concluent que ces données issues de conditions de vie réelles pointent un possible bénéfice clinique du sémaglutide pour réduire le risque de maladie d’Alzheimer chez les patients diabétiques de type 2 et apportent des arguments pour conduire des essais cliniques afin d’explorer ce potentiel neuroprotecteur.
Quels mécanismes ?
Dans cette population à haut risque d’Alzheimer, l’atténuation des facteurs de risque de démence grâce au sémaglutide (diabète, obésité, mais aussi maladies cardiovasculaires) est une première piste d’explication.
Toutefois, le fait que l’effet neuroprotecteur du sémaglutide observé dans cette étude soit supérieur à celui d’autres antidiabétiques semble indiquer que des mécanismes spécifiquement liés à cette molécule peuvent entrer en jeu. Certains de ces mécanismes sont étayés par des données précliniques, par exemple : diminution des plaques amyloïdes et des enchevêtrements de protéine tau, effets anti-inflammatoires et réduction du stress oxydatif grâce à l’activation des récepteurs du GLP- 1 dans le cerveau, ou encore amélioration du métabolisme cérébral en favorisant l’autophagie (gestion des déchets cellulaires) et en augmentant l’absorption de glucose dans le cerveau.
Actuellement, deux essais randomisés contrôlés par placebo (EVOKE et EVOKE Plus) sont en cours, pour évaluer l’effet du sémaglutide chez des patients non diabétiques ayant une maladie d’Alzheimer débutante ; un autre explore spécifiquement son effet sur l’inflammation cérébrale chez ce même type de patients.