Les recommandations de pratique sont généralement l’occasion de relire la littérature médicale, avec du recul, loin de l’enthousiasme suscité par la publication initiale des grandes études, notamment lorsqu’elles sont positives. Elles permettent aussi de décliner les implications concrètes pour la pratique médicale et parfois d’ajouter des considérations médico-économiques dans les choix médicamenteux conseillés. Les différentes recommandations relatives au diabète n’échappent pas à cette règle et la dernière mise à jour de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la prise en charge du diabète de type 2 (DT2) s’avère particulièrement intéressante.1

Introduction. Un peu d’histoire pour comprendre le présent

Un changement de paradigme en matière de sécurité cardiovasculaire (CV) a eu lieu en 2007 lorsque les essais cliniques sur les glitazones ont montré des résultats positifs sur des critères de jugement intermédiaires, là où une méta-analyse suggérait un effet délétère sur les événements durs. 

Dès lors, plus aucun répit n’a été accordé aux nouveaux antidiabétiques. Une reconfiguration de l’organisation des essais thérapeutiques concernant la diabétologie a eu lieu : pour obtenir l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, les nouveaux médicaments devaient désormais démontrer, a minima, leur sécurité CV, en particulier en prévention secondaire. Cela a marqué le début d’une grande série d’essais, aux méthodologies adaptées à la mise en évidence non seulement de la sécurité, mais aussi, dans certains cas, de bénéfices CV. Cette approche a permis in fine de montrer l’intérêt des agonistes des récepteurs du GLP1 (aGLP1), puis des inhibiteurs du cotransport sodium-glucose de type 2 (iSGLT2), sur les événements CV avec des critères de jugement mieux définis tels le MACE- 3P et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Les résultats positifs ont ensuite concerné le risque rénal avec d’abord les iSGLT2 et plus récemment les aGLP1 via l’essai FLOW notamment.2

Les recommandations la HAS étaient très fortement orientées en 2013 sur le coût immédiat des médicaments. Au-delà des complications, les recommandations de 2024 intègrent l’importance du contexte clinique. Ainsi, un changement de paradigme a été apporté par ces nouvelles recommandations : il faut tenir compte en premier du statut CV et rénal des patients, avant la cible glycémique. Ainsi, les recommandations orientent d’emblée vers le choix des iSGLT2 ou des aGLP1 en cas de prévention CV secondaire. En situation de maladie rénale ou d’insuffisance cardiaque, les iSGLT2 sont privilégiés, suivis par les aGLP1. Sur les 142 recommandations, seules 9 sont classées en grade A. Comme attendu, elles concernent justement ces deux classes médicamenteuses (iSGLT- 2 et aGLP1). Les trois autres recommandations de grade A portent sur le dépistage et la prise en charge globale de tous les facteurs de risque CV, le tabagisme et enfin la grossesse. 

Prise en charge non médicamenteuse initiale 

Les modifications thérapeutiques du mode de vie (MTMV) restent la pierre angulaire des recommandations de prise en charge du diabète de type 2 (DT2) avec un niveau de grade B pour plusieurs éléments : programme nutritionnel, lutte contre la sédentarité, activité physique/activité physique adaptée, prise en charge du sommeil, éducation thérapeutique, etc. 

À ce stade de la prise en charge du DT2, seul l’arrêt du tabac bénéficie d’une recommandation de grade A. L’activité physique et la lutte contre la sédentarité sont recommandées avec un grade B, incluant notamment des conseils comme la limitation du temps d’écran et l’interruption des activités assises toutes les quinze ou vingt minutes. Les modalités précises de mise en œuvre du programme d’activité physique ou de prise en charge nutritionnelle relèvent d’avis d’experts. 

Ainsi, on réalise combien les éléments mis en avant comme incontournables reposent en réalité sur un niveau de preuve limité, et combien les données manquent pour appuyer certaines approches spécifiques tant dans le domaine de la nutrition que dans celui des modalités d’activité physique. De plus, en matière de MTMV, les recommandations sont souvent l’extrapolation de données épidémiologiques, alors que certains essais cliniques n’ont pas permis de prouver de bénéfice cardiovasculaire à moyen terme, comme dans l’essai LOOK AHEAD, publié il y a une dizaine d’années.3

Prise en charge médicamenteuse 

Pour rappel, le tableau de prise en charge des personnes avec DT2 en situation de monothérapie après utilisation de metformine, avec ou sans iSGLT2 ou aGLP1, recommande de façon très concordante ces deux dernières classes médicamenteuses, pour plusieurs typologies de patients : 

  • en cas de maladie cardiovasculaire avérée : iSGLT2 ou aGLP1 ;
  • en cas d’insuffisance cardiaque avérée : iSGLT2 (sous traitement optimal de l’insuffisance cardiaque) ;
  • en cas de maladie rénale chronique : iSGLT2 (sous traitement optimal de l’insuffisance cardiaque et/ou néphroprotecteur) ;
  • en situation de risque cardiovasculaire élevé (prévention primaire) : iSGLT2 ou aGLP1 ;
  • en situation d’obésité ou d’hépatopathie dysmétabolique (prévention primaire) : aGLP1, sous couvert d’un contrôle rétinien rigoureux ;
  • en situation de risque cardiovasculaire modéré (prévention primaire) : iSGLT2 ou aGLP1, puis DPP4 -inhibiteurs, puis sulfamides voire glinides, et enfin inhibiteurs de l’alpha-glucosidase. Un avis d’expert indique que « les sulfamides hypoglycémiants en bithérapie en association avec MET ne sont plus la stratégie préférentielle recommandée en raison des risques d’hypoglycémies sévères et de l’existence de molécules ayant des effets bénéfiques clairement démontrés sur les complications cardiovasculaires et rénales ».

Monothérapie ou bithérapie 

Le changement de paradigme, en lien avec les recommandations actuelles de la HAS sur la prise en charge du DT2, concerne le fait qu’au-delà de l’équilibre glycémique, le premier élément à considérer chez un patient est son statut CV et rénal. Les recommandations orientent d’emblée vers le choix des aGLP1 ou des iSGLT2 en cas de prévention CV secondaire. En situation de maladie rénale ou d’insuffisance cardiaque, les iSGLT2 sont privilégiés, suivis par les aGLP1 et notamment le sémaglutide. Les auteurs soulignent l’intérêt de ces classes thérapeutiques en lien avec la situation clinique globale du patient indépendamment du diabète, et ce sur la base d’études ayant inclus des participants avec ou sans DT2. Les résultats n’étant pas influencés par le statut diabétique, ces médicaments sont recommandés pour la prise en charge de ces affections, indépendamment du cadre strict des recommandations sur le DT2. 

La véritable nouveauté réside donc dans ce point-clé : les médicaments doivent être instaurés, quel que soit l’équilibre glycémique. La metformine conserve sa place en première ligne, pour la HAS, alors que dans ses recommandations sur la prévention secondaire des personnes avec un DT2, la Société européenne de cardiologie s’en affranchit.

Pour autant, dans le contexte de déséquilibre glycémique, les classes médicamenteuses autres que les iSGLT2 et aGLP1 restent intéressantes pour leur impact sur l’équilibre glycémique, dont il ne faut pas oublier qu’il est un critère intermédiaire valide pour le risque microvasculaire. 

Situation d’obésité 

L’obésité est fréquente chez les patients DT2 en lien avec la physiologie de la régulation de la glycémie et de la gestion de l’excès calorique. Il est recommandé de mettre en œuvre les MTMV avec un objectif de réduction pondérale de 5 % par rapport à l’indice de masse corporelle (IMC) de référence préalable au diagnostic de DT2. Il est aussi rappelé de privilégier les médicaments associés à une réduction pondérale (iSGLT2 et aGLP1) et de limiter les médicaments associés à une prise de poids (sulfonylurées et glinides). Ainsi, la situation est clairement favorable à l’association metformine/aGLP1, « à dose diabétologique ». 

Dans la continuité de ce « nouveau paradigme » impliquant la prise en charge du statut cardio-rénal, les recommandations soulignent l’importance de considérer l’obésité des patients et/ou les hépatopathies dysmétaboliques. Dans ces typologies de patients, la HAS recommande l’utilisation des aGLP1, quelle que soit la valeur de l’HbA1c (après élimination d’un œdème maculaire et avec un suivi rétinien ultérieur).

Il s’agit encore d’une vision novatrice qui donne une place particulière à l’obésité dans la prise en charge du DT2.

Toutefois, la mise en œuvre de cette recommandation est entravée par des décisions récentes qui demandent aux prescripteurs de justifier tant le statut diabétique que l’absence d’équilibre glycémique sous traitement du DT2. Les autorités de santé françaises sont légitimement préoccupées par le risque financier lié à l’utilisation large des aGLP1 en situation d’obésité, le diabète devenant alors un mode d’entrée dans le remboursement. 

Enfin, la question de la chirurgie bariatrique ou métabolique est également abordée, sachant que, si les recommandations existantes sur cet enjeu, notamment dans l’obésité, sont bien citées, il n’est pas évident de définir leur articulation avec les autres éléments de prise en charge. Les auteurs choisissent de s’en remettre au principe de l’individualisation des décisions notamment pour le recours à la chirurgie bariatrique ou métabolique.

Association aGLP1 et iSGLT2

Les recommandations indiquent que l’utilisation de trithérapie est possible (grade C) et mentionnent l’association metformine/aGLP1/iSGLT2. Les médicaments sont intéressants en termes de contrôle glycémique car ils ciblent des effecteurs très différents : microbiote intestinal en lien avec la metformine, voie des incrétines et de la prise alimentaire avec les aGLP1 et élimination du glucose poussé hors de l’organisme, avec les iSGLT2.

En revanche, leur utilisation concomitante pour réduire les événements de santé repose davantage sur des impressions que sur des preuves. En effet, les données sont issues des essais thérapeutiques comparant iSGLT2 versus placebo, en tenant compte du traitement préalable par aGLP1 et inversement. Il n’y a pas, par exemple, d’essai dédié à la bithérapie iSGLT2 +aGLP1 vs iSGLT2 vs aGLP1, comme cela a par exemple été réalisé avec l’association IEC/sartan il y a plusieurs années de cela. Cependant, il est délicat de mettre en place un grand essai permettant une comparaison face à face du bénéfice de l’association vs la monothérapie avec l’une ou l’autre des classes d’intérêt CV. 

Pour aborder cette question, il est possible de se référer aux analyses en sous-groupes des grands essais et de rechercher des interactions entre la prise préalable d’un aGLP1 ou d’un iSGLT2 et l’ajout de l’autre classe médicamenteuse. Toutefois, les données sont à considérer avec prudence car la puissance et le dessein des études ne permettent pas de conclure sur le bénéfice lié à l’adjonction des deux classes au bénéfice CV établi dans le DT2.

Pour illustrer ce point, les données de l’étude FLOW ont été analysées spécifiquement.4 Dans cet essai, ayant prouvé le bénéfice du sémaglutide 1 mg vs placebo sur les événements CV et rénaux, il n’a pas été mis en évidence d’interaction entre le traitement préalable par iSGLT2 et le sémaglutide. Autrement dit, dans le sous-groupe de 550 sujets de l’essai déjà sous iSGLT2, le bénéfice était non différent de ce qui a été retrouvé dans l’ensemble de la population étudiée (p-interaction = 0,109), même si, dans ce seul sous-groupe, le bénéfice de l’adjonction du aGLP1 semblait modeste pour le moins par rapport au placebo (hazard ratio [HR] = 1,07 [0,69 - 1,67]).4

Dans une méta-analyse récente, le bénéfice rénal des iSGLT2 est indépendant de la prise préalable des aGLP1.5 Dans une approche différente considérant les données des grands essais avec aGLP1, iSGLT2 et finérénone (non disponible en France), il a aussi été suggéré le bénéfice sur les issues cliniques de l’utilisation conjointe des aGLP1 et des iSGLT2.6

On peut donc proposer l’adjonction des deux classes en trithérapie de façon établie pour un bénéfice métabolique et aussi de façon moins certaine pour un bénéfice sur les événements cardio-rénaux, en espérant la production prochaine de données justifiant plus fortement encore l’utilisation simultanée des deux classes pour un impact sur les issues cliniques CV ou rénales.

Conclusion 

Les recommandations récentes de la HAS soutiennent l’utilisation de médicaments ayant montré de façon certaine leurs bénéfices CV et rénaux. Elles permettent de sortir de la logique très centrée sur l’hémoglobine glyquée. Le risque CV et rénal est pris en compte de façon indiscutable, sur la base des données issues de grands essais cliniques portant sur les événements CV. 

Encadre

À retenir sur les recommandations de la HAS 2024 

  • La prise en charge du DT2 est globale et plurielle.
  • En première intention : modifications thérapeutiques du mode de vie.
  • Les mesures non médicamenteuses doivent être maintenues tout au long de la prise en charge.
  • Selon le statut cardio-rénal et indépendamment de la recherche de l’équilibre glycémique :

– maladie CV avérée : iSGLT2 ou aGLP1 ;

– insuffisance cardiaque avérée : iSGLT2 ;

– maladie rénale chronique : iSGLT2.

  • On recommande donc de rajouter des traitements spécifiques en plus d’un traitement optimal sur le plan glycémique.
  • En deuxième intention : traitement médicamenteux si objectifs non atteints, adapté au profil CV et rénal du patient.
  • À chaque étape : tenir compte des préférences, tolérance et risques du patient.
Références
1. Haute Autorité de santé (2024). Stratégie thérapeutique du patient vivant avec un diabète de type 2. HAS, Paris, mai 2024.
2. Perkovic V, Tuttle KR, Rossing P et al. Effects of semaglutide on chronic kidney disease in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2024;391:109-21.
3. The LOOK AHEAD Research Group. Cardiovascular effects of intensive lifestyle intervention in type 2 diabetes. N Engl J Med 2013;369:145-54.
4. Mann JFE, Rossing P, Bakris G et al. Effects of semaglutide with and without concomitant SGLT2 inhibitor use in participants with type 2 diabetes and chronic kidney disease in the FLOW trial. Nat Med 2024;10:2849-56.
5. Apperloo EM, Neuen BL, Fletcher RA et al. Efficacy and safety of SGLT2 inhibitors with and without glucagon-like peptide 1 receptor agonists: a SMART-C collaborative meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet Diabetes Endocrinol 2024;12:545-57.
6. Neuen BL, Heerspink HJL, Vart P et al. Estimated lifetime cardiovascular, kidney, and mortality benefits of combination treatment with SGLT2 inhibitors, GLP-1 receptor agonists, and nonsteroidal MRA compared with conventional care in patients with type 2 diabetes and albuminuria. Circulation 2024;149:450-62.

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Résumé

Les recommandations de pratique concernant le diabète de type 2 (DT2) ont été révisées en mai 2024. Ces recommandations permettent de positionner les différentes thérapeutiques du DT2. Les modifications thérapeutiques du mode de vie et la metformine constituent le traitement de première ligne. Un changement de paradigme a été apporté par ces recommandations : il faut tenir compte en premier du statut cardiovasculaire et rénal des patients avant l’équilibre glycémique. Ainsi, les recommandations orientent d’emblée vers le choix des (inhibiteurs du cotransport sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) ou des agonistes des récepteurs du GLP1 (aGLP1) en cas de prévention cardiovasculaire secondaire. En situation de maladie rénale ou d’insuffisance cardiaque, les iSGLT2 sont privilégiés, suivis par les aGLP1.