Le point commun à l’ensemble des douleurs pelvi-périnéales chroniques est la présence de douleurs musculaires associées.1,2 Les muscles en cause peuvent appartenir à la paroi abdominale, au périnée, aux régions paravertébrales et fessières.2 Les douleurs d’origine musculaire sont le plus souvent mixtes, liées à la contracture de tout ou d’une partie du muscle d’une part, et à la compression des nerfs, qui peuvent entrer en conflit avec le muscle spasmé, avec des douleurs projetées dans le territoire de nerfs d’origine thoraco-lombaire et/ou d’origine sacrée, d’autre part.3 Le diagnostic repose sur la recherche de points d’hypersensibilité à la pression du muscle (douleurs myofasciales), reproductibles à l’examen clinique. La palpation de ces points douloureux musculaires (points gâchettes) peut aussi parfois déclencher une douleur à distance du muscle dans une topographie spécifique (syndrome myofascial).2 Connaître les trajets anatomiques des nerfs et des racines en partant de la charnière thoraco-lombaire jusqu’au périnée, leur promiscuité avec certains muscles et leur territoire d’innervation permet de comprendre les mécanismes mis en jeu, ainsi que l’étendue des territoires douloureux.

Physiopathologie mal connue

La douleur peut être d’origine musculaire, avec pour cause une lésion primaire des fibres musculaires due à une élongation, un traumatisme, un étirement chronique ou un raccourcissement chronique ; elle peut également être secondaire à d’autres facteurs comme le stress, une douleur de la région, des dysfonctions viscérale, articulaire ou neurogène engendrant l’apparition d’un cordon musculaire, d’une sensibilité exquise et locale dans la zone trigger. La douleur est alors entretenue dans un cercle vicieux. En effet, toute douleur entraîne des réactions réflexes dans le système somatique, stimulant le réflexe myotatique responsable de la contracture musculaire. Ces douleurs myofasciales révèlent une dysfonction musculaire, avec une réaction de spasme musculaire local témoin de l’hyperactivité musculaire avec un étirement du muscle qui n’est plus fonctionnel.4,5 Cette réaction locale perturbe l’allongement du muscle, contribue à sa faiblesse, génère des douleurs projetées et perturbe le bon équilibre musculaire de la région. Dans la pathogenèse, l’hypoxie des cellules musculaires semble être au centre de la genèse de ces zones très sensibles, douloureuses, localisées dans un muscle strié ou son fascia. Ces zones d’hyper­sensibilité musculaire sont associées à une ischémie locale secondaire à une contraction, en tout ou partie de faisceaux musculaires, spontanée et continue, avec libération de molécules pro-inflammatoires.6 La présence en continu de ces molécules entretiendrait l’activation chronique des nocicepteurs polymodaux présents dans le muscle et faciliterait le phénomène de sensibilisation périphérique et centrale à la douleur.6,7 Ces douleurs myofasciales avec des points gâchettes pelviens (psoas, piriforme, obturateurs internes, élévateurs de l’anus) peuvent faire partie des symptômes de l’hypersensibilisation pelvienne centrale et intègrent les critères de Convergences PP.8 Ces douleurs d’origine musculaire chronique peuvent provoquer une atteinte fonctionnelle allant jusqu’au handicap et concerner l’ensemble de l’appareil locomoteur.

Troubles musculosquelettiques et de la posture

Des troubles de la posture avec des syndromes de la jonction thoracolombaire et des syndromes myofasciaux pelvi-périnéaux sont très souvent retrouvés dans les algies pelvi-périnéales chroniques. Cela impose un examen systématique et complet des patients (bassin, rachis, longueur des membres inférieurs) visant à identifier des déséquilibres lombo-pelvi-fémoraux, des points gâchettes témoins de douleurs myofasciales à la région fessière, abdomino-pelvienne et périnéale.9

Les différents syndromes douloureux des muscles pelvi-périnéaux sont décrits dans le tableau.

Douleurs projetées d’origine thoracolombaire 

Le syndrome thoracolombaire, ou syndrome de Maigne, est une souffrance d’une ou des branches des racines nerveuses du segment T12 -L1 ou du segment L1 -L2.10 Il s’agit d’une dysfonction nociceptive bénigne auto-­entretenue du segment vertébral d’origine mécanique et réflexe réversible (dérangement intervertébral mineur [DIM]). Ce DIM entraîne une restriction de mobilité de protection d’une vertèbre sur une autre, une réaction locale segmentaire cellulo-téno-myalgique et une activation des nocicepteurs. Le plus souvent, il n’y a pas de douleur spontanée mais des douleurs projetées et des signes cliniques rachidiens à l’examen clinique segmentaire, sans traduction radiologique. Il est source de douleur projetée pouvant s’exprimer dans la région lombo-fessière et/ou inguino-pelvienne et/ou de la face latérale des hanches. Les projections douloureuses sont donc dans le territoire d’innervation de leurs branches postérieures, de leurs branches antérieures et des rameaux perforants latéraux cutanés (fig. 1). La jonction thoracolombaire est aussi une zone de convergence des voies végétatives pelviennes  ; des signes neurovégétatifs par participation du sympathique peuvent également être présents.

Manifestations cliniques 

La symptomatologie simule des douleurs digestives, gynécologiques ou urogénitales, avec douleurs inguinale, hypogastrique, pubienne, testiculaire, labiale, urétrale, pollakiurie, ballonnements.

Examen clinique 

Le patient est examiné en décubitus ventral strict, à la recherche de cellulalgie entre T10 et L2 ainsi que dans les territoires cutanés d’une ou des branches des nerfs rachidiens correspondants  : fosse lombaire et partie haute de la fesse  ; région abdominale inférieure et partie supéro-interne de la cuisse  ; région trochantérienne (fig. 1). Sont aussi recherchées une douleur à la pression des épineuses et articulaires concernées, et une hyper­sensibilité de l’hémipubis, de la crête iliaque et des myalgies fessières hautes.

Douleurs myofasciales abdominales inférieures, fessières et périnéales

Les rapports anatomiques des muscles psoas, pelvi-trochantériens et élévateurs de l’anus expliquent qu’ils puissent être victimes (contraction réflexe) ou causes (irritation des structures nerveuses adjacentes), pouvant expliquer des irradiations multiples.

Muscle psoas

Une tension du muscle psoas peut irriter, en tout ou partie, les racines nerveuses lombaires de L1 à L4 et occasionner un syndrome thoracolombaire. Cette innervation est importante à connaître car, devant des douleurs inguino-génitales (fig. 2), il faut penser à examiner le psoas et la charnière thoracolombaire, souvent associés.

Manifestations cliniques

Les douleurs sont augmentées en position assise, à topographie antérieure et de topographie variant selon le conflit d’une ou plusieurs des racines lombaires  : téguments du pubis, pli inguinal, testicule (glandes), grandes lèvres, urètre proximal, partie supéro-interne de la cuisse, face antérieure, médiale ou latérale de la cuisse (fig. 2).

Examen clinique

Un point gâchette du psoas est recherché en décubitus dorsal, en enfonçant les doigts perpendiculaires à la peau, en dedans de la crête iliaque et en dehors de la gaine des grands droits, en direction postérieure et médiane. L’hypersensibilité du psoas se traduit par une douleur déclenchée par la palpation, s’accompagnant ou non de douleur projetée.

Muscles pelvi-trochantériens

Le muscle piriforme et le muscle obturateur interne possèdent un certain nombre de points communs : ils sont pelvitrochantériens, leur origine est endopelvienne, leur terminaison exopelvienne. Ils ont aussi la même physiologie musculaire  : rotateur latéral de la hanche (+ abducteur pour le piriforme). Ces deux muscles ont un rapport étroit avec le nerf sciatique, le nerf cutané postérieur de la cuisse (S2) et/ou de ses rameaux clunéaux inférieurs, et le nerf pudendal (S3) [fig. 3].

Manifestations cliniques du muscle piriforme

Si les fibres exopelviennes du muscle sont contracturées, on observe une douleur de la fesse et de la face postérieure de la cuisse (sciatique tronquée, territoire du nerf cutané postérieur de la cuisse [fig. 3]), parfois jusqu’au pied (nerf sciatique [fig. 3]), majorées en position assise et à la marche, à la contraction du muscle (rotation latérale de la hanche). Si les fibres endopelviennes du muscle sont spasmées, c’est le nerf pudendal (fig. 3) qui est irrité à son origine, avec une douleur sur son territoire (de l’anus au gland ou au clitoris). 

Manifestations cliniques du muscle obturateur interne

S’il y a un spasme de son chef glutéal (exopelvien), une douleur fessière et de la face postérieure de la cuisse (nerf cutané postérieur de la cuisse [fig. 3]) est déclenchée  ; en cas de tension de son chef endopelvien, on observe une dyspareunie profonde, une douleur paravaginale, une irradiation inguinale et périnéale (nerf pudendal [fig. 3]). Les douleurs sont majorées en position assise et à la marche. Le muscle obturateur interne est aussi en lien pour sa partie pelvienne avec le nerf obturateur, avec alors des douleurs à la face médiale (face interne) de la cuisse, aggravées par l’appui monopodal et la position assise.

Examen clinique

Dans la région glutéale, une pression franche mais non maintenue déclenche les points d’hypersensibilité du piriforme (au-dessus de la raie des fesses) et du muscle obturateur interne (pleine fesse), s’accompagnant ou non d’une douleur projetée (fig. 4). Il existe une douleur à la pression endo-ischiatique profonde par appui périnéal correspondant à la portion endopelvienne du muscle. Un point gâchette de ce chef endopelvien est retrouvé aux touchers pelviens, à la pression endorectale latérale ou endovaginale latérale chez un sujet en flexion de hanche, lors de l’abduction contrariée de hanche. 

Muscles du périnée profond et du périnée superficiel

Muscles élévateurs de l’anus

Ilscomportent un faisceau statique (muscle ischiococcygien) avec un rôle de soutien des organes pelviens et un faisceau dynamique (muscle pubococcygien) participant aux fonctions de continence et d’exonération. Ce dernier entoure la filière urogénitale (faisceau rétrovaginal) et digestive (faisceau rétrorectal). Les douleurs myofasciales des muscles élévateurs de l’anus sont fréquentes lors des névralgies pudendales, des vulvodynies et des coccygodynies, faisant évoquer surtout un phénomène réactionnel. Une perturbation du fonctionnement de ces muscles, notamment une hypertonie, peut entraîner ou participer à des troubles urinaires (dysurie), anorectaux (constipation distale) et sexuels (dyspareunie).

Manifestations cliniques

Elles associent une douleur endovaginale (faisceau rétrovaginal ou pubovaginal, formant les parois latérales vaginales) et/ou endorectale (faisceau rétrorectal), des douleurs périnéales et coccygiennes, plus ou moins accompagnées de constipation distale, de dysurie, de dyspareunie orificielle. Les douleurs sont améliorées par le chaud, la position accroupie et exacerbées par le contact (l’examen clinique est donc fondamental), l’orgasme, le stress, l’incontinence d’effort, la rééducation périnéale de renforcement musculaire.

Examen clinique

Lors des touchers pelviens, on observe une hypersensibilité à la palpation des muscles élévateurs de l’anus, souvent associée à une sollicitation difficile à la commande volontaire sur hypertonie musculaire.

Autres muscles en cause

L’hypertonie du muscle élévateur de l’anus est rarement isolée, elle s’accompagne généralement d’autres douleurs myofasciales périnéales, notamment celles du muscle transverse profond du périnée qui renforce le plancher pelvien. Ses fibres sont pratiquement perpendiculaires à celles des muscles élévateurs de l’anus ; il envoie des fibres musculaires aux sphincters de l’urètre et de l’anus. Une hypertonie de ce muscle augmente l’effet de l’hypertonie des muscles élévateurs de l’anus. Les douleurs sont périnéales centrales, perçues chez la femme entre la fourchette vulvaire et l’anus, et chez l’homme entre le scrotum et l’anus, fréquemment associées à un syndrome urétral.

Sous le plancher pelvien, le périnée superficiel est composé du sphincter anal externe se confondant avec les fibres des muscles élévateurs de l’anusavec des contractures souvent associées, des muscles bulbo-spongieux et ischio-­caverneux dont les douleurs sont fréquentes dans la vestibulodynie vulvaire provoquée chez la femme. Des tensions de ces deux muscles, recouvrant respectivement les bulbes spongieux et les corps caverneux, participent aux dysfonctions érectile, éjaculatoire et orgasmique.

Présentations complexes

Tous ces tableaux peuvent se présenter séparément, ensemble, de façon uni- ou bilatérale et, par des réactions musculaires en chaîne, donner un syndrome douloureux «  dos-fesse-périnée  » avec des irradiations pouvant paraître alors non anatomiques.

Prise en charge thérapeutique globale

Cette composante musculaire ne doit pas être négligée car elle a des incidences thérapeutiques, avec des améliorations indéniables par des techniques physiothérapiques, dans une prise en charge pluridisciplinaire de la douleur chronique.

La physiothérapie est proposée dès la prise en charge initiale à l’aide de techniques manuelles (relâchement musculaire, étirements manuels, massages fonctionnels, libération tissulaire, reprogrammation neuromusculaire). Dans les douleurs pelvi-périnéales, il y a généralement plusieurs muscles à traiter, groupés en chaînes myofasciales, relevant plus d’un traitement manuel que de techniques invasives (dry needling). Des auto-exercices sont à réaliser à la maison. Plus souvent dans la chronicité, les tensions musculaires sont diffuses et présentes à distance de la région pelvi-périnéale.11

La thérapie manuelle ostéopathique est indiquée pour traiter, par exemple, les dysfonctions thoraco­lombaires et retrouver un équilibre lombo-pelvi-fémoral.

Un bilan en posturologie est proposé lors d’améliorations transitoires, à la recherche de conflits sensorimoteurs (impliquant la vision et la somesthésie, l’intention motrice et l’efficience musculaire) pouvant induire ces douleurs.

En pratique, la kinésithérapie a des objectifs ciblés  : travail en relâchement musculaire global et périnéal, apprentissage d’auto-étirements et reconditionnement à l’effort, dosé et progressif en vue de poursuivre avec une activité physique adaptée. La prescription de kinésithérapie doit comporter les éléments suivants  :

  • rééducation du rachis et des membres inférieurs pour troubles complexes du périnée  ;
  • rééducation globale en relâchement musculaire et des dysfonctions périnéales  ;
  • reconditionnement à l’effort dosé, progressif  ;
  • activité physique adaptée.

La rééducation périnéale traditionnelle est contre-indiquée pour ne pas majorer les tensions musculaires et donc la douleur, la dysurie, la dyschésie et la dyspareunie.

La physiothérapie s’inscrit dans une stratégie thérapeutique pluridisciplinaire commune à toutes les douleurs chroniques, avec traitement de la composante antalgique et de la composante psycho-émotionnelle (thérapie cognitivo-comportementale).12 

Références
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2. Labat JJ, Guerineau M, Delavierre D, et al. Approche symptomatique des dysfonctions musculosquelettiques et douleurs pelvipérinéales chroniques. Prog Urol 2010;20:982-9.
3. Riant T. Comprendre les douleurs pelvi-périnéales chroniques en 2021. Douleurs 2021;22:75-93.
4. Ge HY, Monterde S, Graven-Nielsen T, et al. Latent myofascial trigger points are associated with increased intramuscular electromyographic activity during synergistic muscle activation. Pain 2014;15:181-7.
5. Zieliński G, Byś A, Szkutnik J, et al. Electromyographic patterns of masticatory muscles in relation to active myofascial trigger points of the upper trapezius and temporomandibular disorders. Diagnostics (Basel) 2021;24;11:580.
6. Shah JP, Gilliams EA. Uncovering the biochemical milieu of myofascial trigger points using in vivo microdialysis: An application of muscle pain concepts to myofascial pain syndrome. J Bodyw Mov Ther 2008;12:371-84.
7. Ji RR, Nackley A, Huh Y, et al. Neuroinflammation and central sensitization in chronic and widespread pain. Anesthesiology 2018;129:343-66.
8. Cardaillac C, Levesque A, Riant T, et al. Evaluation of a scoring system for the detection of central sensitization among women with chronic pelvic pain. Am J Obstet Gynecol 2023;229:530.
9. Iacazio S, Foisy A, Tessier A, et al. Incidence des troubles posturaux chez les patients souffrant d’algies pelvipérinéales chroniques. Prog Urol 2018;28:548-56.
10. Maigne R. Low back pain of thoracolumbar origin. Arch Phys Med Rehabil 1980;61:389-95.
11. Guerineau M, Labat JJ, Sibert L, et al. Traitement de la composante musculosquelettique des douleurs pelvipérinéales chroniques. Prog Urol 2010;20:1103-10.
12. Jarrell JF, Vilos GA, Allaire C, et al. Consensus guidelines for the management of chronic pelvic pain. Chronic Pelvic Pain Working Group; Society of Obstetricians and Gynaecologists of Canada. J Obstet Gynaecol Can 2005;27:869-910.

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Résumé

La recherche de douleur musculaire dans les régions abdominale inférieure, fessière et périnéale fait partie de l’examen clinique systématique de toutes douleurs pelvi-périnéales. Ces points d’hypersensibilité musculaire sont très fréquents et peuvent s’accompagner de douleurs projetées dans les territoires de nerfs d’origine thoracolombaire et/ou d’origine sacrée. L’interrogatoire et un examen clinique attentif permettent le diagnostic de douleur projetée, notamment dans le syndrome de la charnière thoracolombaire et dans les syndromes myofasciaux des muscles pelvi-trochantériens, psoas et élévateurs de l’anus. La constatation d’une composante musculaire au cours d’une douleur pelvi-périnéale chronique doit entraîner des conséquences thérapeutiques. La physiothérapie s’inscrit dans une stratégie thérapeutique pluridisciplinaire de la douleur chronique.