Une étude menée à l’échelle de la population danoise (environ 7 millions d’habitants) a analysé les facteurs de risque cliniques et génétiques associés aux suicides et aux gestes non létaux. S’ils se recoupent en grande partie, des différences significatives existent, soulignant l’importance de stratégies de prévention ciblées.

En France, on comptait 8 848 décès par suicide en 2023 et environ 97 000 hospitalisations pour geste auto-infligé en 2024. Cette même année, la prévalence des tentatives de suicide déclarées était de 0,4 % chez les 18 - 79 ans, d’après Santé publique France.

Alors que les tentatives sont beaucoup plus nombreuses que les suicides, se pose la question de la relation entre ces deux actes. En effet, la majorité des décès par suicide (93 - 98 %) ont lieu sans tentative précédente connue. De plus, les deux entités varient en nature et par leur démographie. Par exemple, en France, les hospitalisations pour geste auto-infligé concernent aux 2/3 des femmes, plus souvent jeunes (< 24 ans), et sont pour les ¾ dues à une intoxication médicamenteuse. En revanche, ¾ des décès sont associés à des hommes, surtout > 45 ans, et la modalité la plus fréquente est la pendaison (50 % des cas).

Même si les tentatives sont le principal facteur de risque de suicide , il reste à déterminer si ces entités ont des facteurs de risques cliniques et génétiques différents, afin de mieux les prévenir.

Plusieurs milliers de cas inclus

Pour creuser cette question, une équipe internationale de recherche s’est penchée sur les registres de santé danois, qui permettent de suivre les suicides et les tentatives à l’échelle de toute la population (environ 7 millions d’habitants) depuis des années (registre psychiatrique national depuis 1995, registre des décès depuis 2019). Les auteurs se sont restreints aux sujets > 10 ans. Ces données ont été analysées entre 2024 et 2025 et les résultats de l’analyse sont parus le 21 octobre 2025 dans le JAMA Psychiatry.

Pour évaluer les facteurs de risque cliniques associés au suicide et aux tentatives par rapport à la population générale, les chercheurs ont utilisé deux cohortes de décès par suicide (N = 9 362 ; 25,2 % de femmes ; âge [moyenne ± écart-type] = 45,1 ± 14,6 ans) et de tentatives (N = 81 713 ; 61,8 % de femmes ; âge = 32,3 ± 14,9 ans). Ces cohortes étaient respectivement associées à deux cohortes contrôle appariées et issues de la population générale danoise : (N = 46 749 ; 25,2 % de femmes ; âge = 45,1 ± 14,6 ans) et (N = 408 490 ; 25,2 % de femmes ; âge = 45,1 ± 14,6 ans).

Concernant l’évaluation des facteurs de risque génétique, ils ont utilisé une cohorte contrôle différente (environ 130 000 individus), mais également issue de la population générale danoise, ainsi que des cohortes différentes de patients ayant mis fin à leurs jours (N = 225 ; 35,6 % de femmes ; âge = 24,6 ± 5,0 ans) ou ayant fait des tentatives (N = 5 944 ; 72,3 % de femmes ; âge = 19,7 ± 4,4 ans), qu’ils ont comparé sur la base de 35 scores de risque polygénique (PRS) de traits complexes variés (troubles psychiatriques [épilepsie, dépression, anorexie, etc.], maladies chroniques [goutte, problèmes d’audition, migraine], divers cancers, etc.).

Des différences en termes de maladies chroniques et psychiatriques

Les cancers et certaines maladies psychiatriques (autisme, anorexie, trouble obsessionnel compulsif, dépression) étaient davantage associés au suicide qu’aux tentatives en termes d’odds ratio (OR).

À l’inverse, plusieurs maladies chroniques étaient plus associées aux tentatives  : diabète de type 2, dyslipidémies, goutte, problèmes d’audition ou de vision, insuffisance cardiaque, hypertension, diverticulite, cardiopathie ischémique, ulcères ou gastrite chronique.

Enfin, la douleur chronique et plusieurs maladies psychiatriques (épilepsie, TDAH, schizophrénie, trouble bipolaire, trouble anxieux, trouble de l’usage d’une substance, trouble de stress post-traumatique [TSPT]) étaient associées de manière similaire aux deux types de gestes.

Du point de vue génétique, les scores PRS du TDAH et de certaines maladies chroniques (troubles d’audition ou de vision, HTA, douleurs chroniques, arthrose) étaient associés avec les tentatives de suicide, mais non avec les décès. Les scores du cancer colorectal, de la cardiopathie ischémique et de plusieurs maladies psychiatriques (schizophrénie, trouble bipolaire, mésusage d’alcool, anorexie) étaient davantage associés aux suicides. Pour trois troubles psychiatriques (dépression, trouble anxieux, TSPT), aucune différence significative n’a été observée.

Améliorer le dépistage

Pour les auteurs, ces résultats montrent que le suicide et la tentative se distinguent partiellement par leurs facteurs de risques cliniques et génétiques : « D’un point de vue étiologique, alors que les études précédentes considéraient souvent les gestes suicidaires comme un continuum, nos conclusions suggèrent que la tentative et le suicide ne se distinguent pas uniquement par leur gravité , concluent les auteurs. Il est donc conseillé de les différencier clairement. Les efforts de prévention devraient intégrer les facteurs de risque modifiables et envisager d’élargir le dépistage du risque de suicide au-delà des troubles psychiatriques, en particulier pour les tentatives. »

Différences entre suicide avec ou sans antécédents suicidaires

Ces conclusions vont dans le même sens que les résultats d’un autre article, paru la veille dans le JAMA Network Open. Cette étude américaine, menée sur une cohorte de 2 769 décès par suicide répertoriés entre 1998 et 2022 dans l’Utah (États-Unis), a évalué les scores de risque génétique associés à différentes maladies. Les chercheurs ont observé des différences notables selon que les suicides aient été ou non précédés de signes avant-coureurs (idées ou gestes suicidaires). En particulier, les personnes décédées sans antécédent avaient des PRS comparables au groupe contrôle et des scores significativement plus faibles de dépression, de trouble anxieux et de maladie d’Alzheimer comparativement aux sujets ayant manifesté des signes suicidaires auparavant. Ces résultats indiquent, là-aussi, l’existence de profils étiologiques génétiques distincts selon la présence ou non de signes suicidaires préalables.

Que faire en cas de crise suicidaire ?

Pour prévenir le suicide et les comportements et pensées suicidaires, le ministère de la santé a mis à jour en septembre 2025 les conseils dispensés sur son site. Ces derniers rappellent notamment :

  • d’appeler le 3114 (appel gratuit et confidentiel 24 h/24, 7 j/7), numéro national de prévention du suicide. Un professionnel spécifiquement formé à la prévention du suicide (infirmier ou psychologue) y propose des ressources adaptées aux personnes concernées ou aux proches ;
  • en cas de risque suicidaire imminent, appeler le Samu (15) ou le 112 (numéro européen) ;
  • des conseils et ressources sont disponibles sur le site https ://3114.fr/, avec une section spécifique pour les professionnels de santé ;
  • en complément de l’aide professionnelle, il existe d’autres ressources d’aide à distance (SOS Amitié, Fil Santé Jeunes, Dites Je suis Là, Suicide Écoute, SOS Suicide Phénix, Phare Enfants-Parents) ;
  • des recos de bonne pratique de la HAS de 2006 pour reconnaître et prendre en charge la crise suicidaire.
Références
Ge F, Wang Y, Agerbo E, et al. Contrasting Risk Profiles for Suicide Attempt and Suicide Using Danish Registers and Genetic Data. JAMA Psy 21 octobre 2025.
Coon H, Shabalin AA, Monson ET, et al. Genetic Liabilities to Neuropsychiatric Conditions in Suicide Deaths With No Prior Suicidality. JAMA Netw Open 2025;8(10):e2538204.
Santé publique France. Conduites suicidaires en France. Bilan 2024. 10 octobre 2025.
Ministère de la santé. Que faire et à qui s’adresser face à une crise suicidaire ? 8 septembre 2025.
Le Clainche C, Courtet P. Facteurs de risque de suicide et de vulnérabilité au suicide.  Observatoire national du suicide février 2016.
Pour en savoir plus :
Dardennes R, Jollant F. Nouvelles perspectives sur les conduites suicidaires. Rev Prat 2020;70(1):59-61.
Jollant F. Modélisation actuelle des conduites suicidaires : crise, transition et vulnérabilité.  Rev Prat 2020;70(1):38-41.
Martin Agudelo L. Tentatives de suicide doublées en 10 ans chez les 18-24 ans : quels outils de prévention ?  Rev Prat (en ligne) 6 février 2024.
Martin Agudelo L. Évaluer le risque suicidaire des jeunes : un guide pratique pour le MG.  Rev Prat (en ligne) 9 septembre 2024.
Rossi L, Robillard P, Guedeney A. Adolescents et jeunes adultes suicidaires : rôle du médecin généraliste.  Rev Prat Med Gen 2022;36(1067):247-9.
Lagathu T, Walter M. Reconnaître et prendre en charge le risque suicidaire : le souci de l’autre.  Rev Prat 2020;70(1):42-7.
HAS. Les suicides et tentatives de suicide de patients. 18 septembre 2022.