Plusieurs études rétrospectives préoccupantes
Le jeu de tête est courant au football : en moyenne, 3,4 têtes par heure de jeu et par joueur, selon une étude prospective de cohorte menée sur 54 footballeurs semi-professionnels français lors de la saison sportive 2017 - 2018. Les postes les plus exposés sont les attaquants et les défenseurs centraux, alors que les gardiens de but ne sont quasiment pas concernés en match. Selon une étude de la Fédération française de football (FFF) en 2018 - 2019, le risque pour un joueur amateur est en moyenne d’une blessure à la tête tous les 22 matchs joués. En comparaison, un joueur pro se blesse à la tête une fois tous les 5 matchs joués, avec une commotion cérébrale déclarée tous les 45 matchs joués.
Si jeu de tête n’est donc pas synonyme de blessure ni de commotion cérébrale (CC), la littérature scientifique récente se penche de plus en plus sur cette pratique, et notamment sur la question des effets cumulés sur le cerveau, à long terme, d’un grand nombre de têtes – plus de 70 000 dans une carrière pour certains professionnels, selon l’estimation de William Stewart, neuropathologiste spécialiste des traumatismes crâniens chez le sportif.
En 2019, une première grande étude rétrospective parue dans le NEJM suggère un effet délétère des têtes. Elle a suivi 7 676 anciens footballeurs professionnels écossais nés jusqu’en 1976, ainsi que 23 028 contrôles choisis dans la population générale (appariés aux footballeurs par sexe, âge et degré de précarité socioéconomique). Résultat ? À l’issue d’un suivi médian de 18 ans, la mortalité toutes causes confondues était plus faible chez les anciens footballeurs professionnels que chez les témoins (hazard ratio (HR) = 0,87 ; IC 95 % = [0,80 ; 0,93] ; p-value < 0,001). Mais cette tendance s’inversait après 70 ans, et le risque de mortalité par maladie neurodégénérative était quatre fois plus élevé chez les professionnels du ballon rond (HR = 4,10 ; IC 95 % = [2,88 ; 5,83] ; p-value < 0,001), notamment pour la mortalité liée à la maladie d’Alzheimer (HR = 5,07 ; IC 95 % = [2,92 ; 8,82] ; p-value < 0,001). Toutefois, cette analyse n’a pas pris en compte des facteurs tels que l’IMC, le mode de vie ou les comorbidités, hormis les risques concurrents de décès par cardiopathie ischémique par cancer, qui ont bien été incorporés. Si joueurs de champ et goals avaient des mortalités neurodégénératives similaires dans cette étude, les gardiens se sont vu prescrire significativement moins de médicaments liés à la démence. Un signe des effets néfastes à long terme des têtes, qui épargneraient les goals ?
De fait, une autre analyse sur les mêmes populations, publiée en 2021 dans le JAMA Neurology, montre que le risque de maladie neurodégénérative par rapport au groupe contrôle est plus élevé chez les joueurs de champ (HR = 3,83 ; IC 95 % = [3,11 ; 4,73] ; p-value < 0,001), mais pas chez les gardiens (HR = 1,83 ; IC 95 % = [0,93 ; 3,60] ; p-value = 0,08). Le sur-risque est particulièrement élevé chez les footballeurs ayant eu plus de 15 ans de carrière (HR = 5,20 ; IC 95 % = [3,17 ; 8,51] ; p-value < 0,001) et chez les défenseurs (HR = 4,98 ; IC 95 % = [3,18 ; 7,79] ; p-value < 0,001) – soit des profils exposés à davantage de têtes. Ce plus grand risque de maladie neurodégénérative (notamment Alzheimer) chez les joueurs de champ par rapport aux contrôles, ainsi que la relative protection des gardiens dans ce domaine, se retrouve dans une analyse de cohorte de 6 007 footballeurs de la première ligue suédoise.
Signe de leur robustesse, certains de ces résultats se retrouvent aussi dans une publication française parue en 2022. Cette étude rétrospective a concerné 6 114 personnes nées dans le pays entre 1968 et 2015, et ayant joué au moins un match professionnel. Comparée à celle de la population générale, la mortalité toutes causes confondues des anciens joueurs était, là aussi, plus faible (indice standardisé de mortalité (ISM) = 0,69 ; IC 95 % = [0,64 ; 0,75]), tandis que leur mortalité par démence était près de 3,5 fois plus importante (ISM = 3,38 ; IC 95 % = [2,49 ; 4,50]). Enfin, plusieurs autres travaux montrent un risque plus élevé de sclérose latérale amyotrophique (SLA) chez les anciens joueurs de foot.
Des conséquences difficiles à quantifier
Le jeu de tête figure parmi les principaux suspects des différences de risque observées entre joueurs de champs, gardiens et population générale. Pourtant, les têtes volontaires exposent à des niveaux d’accélération linéaire (137 - 226 m/s²) et angulaire (1 400 - 2 410 radians/s²) qui ne sont pas susceptibles d’entraîner un risque de commotion cérébrale (les seuils d’accélération avec risque de CC de 50 % sont 735 m/s² d’accélération linéaire et 3 500 - 5 000 rad/s² d’accélération angulaire). Or les études biomécaniques estiment que c’est essentiellement l’accélération subie par le cerveau qui entraîne un risque de lésion cérébrale consécutive à un choc à la tête.
Du reste, le risque de CC est indirectement lié au jeu de tête par le biais d’impacts involontaires tête/tête en duel aérien – la principale source de CC au foot pro masculin. Enfin, le jeu de tête peut s’avérer dangereux si le ballon n’est pas adapté à la taille de la tête ou chez des novices qui ne le maîtrisent pas : les enfants sont donc plus à risque.
Si elle n’est pas source directe de CC, l’action de faire des têtes volontaires peut toutefois entraîner un dysfonctionnement cérébral sous-commotionnel, d’après un récent article du Bulletin de l’Académie nationale de médecine. Ce constat est appuyé par la neuro-imagerie, qui suggère qu’un jeu de tête répété pourrait avoir un retentissement sur le cerveau, avec des modifications cérébrales subtiles à l’imagerie (modifications microstructurales de la substance blanche en IRM du tenseur de diffusion, changements dans les réseaux de connectivité fonctionnelle au repos, anomalies du métabolisme cérébral). Enfin, sur le long terme, des études transversales en IRM chez des footballeurs à la retraite trouvent une diminution de l’épaisseur corticale par rapport à des témoins anciens sportifs. Mais ces modifications visibles à l’imagerie sont-elles pertinentes cliniquement ? Difficile à dire. En tout cas, les revues de la littérature concernant les conséquences sur les fonctions cognitives du jeu de tête restent inconcluantes.
Prévention et limitation
Face à ces risques difficiles à cerner, l’Académie s’est exprimée en avril 2025 dans un rapport suivi de recommandations sur les commotions cérébrales dans le sport. Concernant les têtes au foot, les académiciens proposent plusieurs pistes de précaution :
- préparation physique par le renforcement spécifique des muscles du cou. Un travail spécifique principalement en mode isométrique des muscles antérieurs, des muscles sterno-cléido-mastoïdiens et des trapèzes permet de réduire de manière importante le risque de CC chez les adolescents joueurs de football. Cet entraînement doit être couplé au travail musculaire sur le terrain pour préparer aux situations d’exposition ;
- le port de protège-dents, qui réduit le niveau d’accélération au niveau du crâne, pourrait limiter les conséquences neurologiques d’impacts sous-commotionnels répétés ;
- réduire le nombre de têtes à l’entraînement, surtout chez les jeunes. Le rapport indique qu’une réflexion est en cours à ce sujet au sein des instances fédérales françaises du football.
Le port du casque n’est pas recommandé en foot, le casque souple n’ayant pas d’intérêt pour prévenir les CC et pouvant majorer les comportements à risque, tandis que le casque rigide (qui a fait ses preuves en hockey sur glace et dans le football américain) n’est pas adapté à ce sport.
À l’international, plusieurs fédérations sportives ont déjà pris des mesures de restriction ou d’interdiction concernant les têtes. Ainsi, la fédération écossaise de foot a limité en 2022 le jeu de tête à un entraînement par semaine en pro, et l’a banni des séances de veille et de lendemain de match. Elle avait déjà décidé en 2020, avec les fédérations anglaise et nord-irlandaise, de ne plus l’apprendre en entraînement aux enfants âgés de moins de 11 ans et de l’introduire graduellement aux enfants plus âgés. En 2015, la fédération des États-Unis a banni les têtes à l’entraînement comme en match pour les 10 ans et moins, et a limité chez les 11 - 13 ans le jeu de tête à 30 minutes et à 15 - 20 têtes par semaine (ce qui pourrait s’être traduit par une diminution du risque de CC chez les jeunes joueurs, selon une récente étude). Enfin, l’association des clubs francophones de Belgique a interdit le jeu de tête aux moins de 9 ans à partir de la saison 2024/2025. Si la FFF n’a pas publié de guidelines à ce sujet, l’UEFA (à l’échelle européenne) a publié en 2020 des directives appelant à réduire les exercices de jeu de tête au minimum, à effectuer des exercices de renforcement de la nuque, à utiliser un ballon aux dimensions et au gonflage adaptés à la catégorie d’âge des joueurs et à sensibiliser les encadrants aux symptômes de CC, sachant que les filles sont plus enclines que les garçons à souffrir de CC, et potentiellement à ressentir des effets du jeu de tête.
Russell ER, Mackay DF, Stewart K, et al. Association of Field Position and Career Length With Risk of Neurodegenerative Disease in Male Former Professional Soccer Players. JAMA Neur 2021;78(9);1057-63.
Ueda P, Pasternak B, Lim CE, et al. Neurodegenerative disease among male elite football (soccer) players in Sweden: a cohort study. Lancet Pub Health 2023;8(4);E256-65.
Orhant E, Carling C, Chapellier JF, et al. A retrospective analysis of all-cause and cause-specific mortality rates in French male professional footballers. Scand J Med Sci Sports 25 mai 2022.
Cassoudesalle H, Poisson P, Dehail P. Les têtes répétées au football : pourquoi et comment protéger le cerveau ? Bull Acad Nat Med 2024;208(9);1214-20.
Académie nationale de médecine. Les effets néfastes retardés du sport intensif. Partie 1 – Les commotions cérébrales dans le sport. 4 avril 2025.