Depuis la parution des dernières recommandations françaises sur le traitement de la migraine (aigu et de fond), il y a eu des avancées considérables. D’une part, plusieurs données ont été publiées, aussi bien sur l’efficacité des nouvelles molécules que sur les risques d’autres couramment utilisées (topiramate, v. encadré ci-dessous). D’autre part, de nouveaux médicaments, notamment anticorps monoclonaux et gépants, ont récemment été autorisés. C’est pourquoi, dans une prise de position récente, la SFEMC s’est prononcée sur leur utilisation.
Traitement de la crise : quoi de neuf ?
Aujourd’hui, AINS et triptans sont les traitements de première ligne de la crise migraineuse :
- pour la crise légère : AINS, avec ajout de triptan en cas de soulagement insuffisant dans l’heure ;
- pour la crise modérée à sévère : triptans, dont il existe un large éventail (v. tableau ci-contre), avec ajout d’un AINS en cas de soulagement insuffisant dans l’heure ;
- pour la migraine avec aura : un AINS au début de l’aura et un triptan à l’apparition de la céphalée.
Ces recommandations ne changent pas, mais des précisions sont apportées pour l’optimisation du traitement. Dans les recos de 2021, cette dernière reposait sur la combinaison d’emblée de triptans et AINS, l’augmentation des doses, le « switch » d’AINS ou la combinaison de triptans. À présent, les experts recommandent aussi le « switch » vers l’un des triptans les plus efficaces même pour les patients n’ayant pas répondu à d’autres précédemment, avant de conclure à une migraine réfractaire. En effet, des données récentes ont montré que certains patients ne répondant pas à deux triptans (définition précédente de la résistance) peuvent en réalité répondre à un troisième voire un quatrième triptan. Les molécules jugées les plus efficaces selon les dernières études sont : l’élétriptan per os , le sumatriptan par voie sous-cutanée et le zolmitriptan par voies nasale ou orale selon une étude allemande publiée en 2023 (une méta-analyse de 2024 a retrouvé des résultats similaires).
Enfin, pour les patients qui ne répondent pas ou qui ont une contre-indication aux triptans (CI en cas d’antécédents cardiovasculaires) ou aux AINS, ils proposent d’utiliser un gépant. Deux molécules de cette classe ont l’AMM depuis peu pour le traitement de crise (rimégépant en 2023 et ubrogépant en 2024), mais ne sont pas remboursées à ce jour.
Traitement de fond : nouvelles données sur les médicaments agissant sur la voie du CGRP
La principale nouveauté concerne le traitement de fond, qui a connu des avancées importantes ces dernières années avec l’arrivée de molécules agissant sur la voie du CGRP (calcitonin gene-related peptide). Une revue de la littérature qui vient de paraître dans le Lancet a fait le point sur les dernières données d’efficacité et de sécurité de ces médicaments, qui sont les premiers à cibler des mécanismes spécifiques à la migraine.
En effet, le neuropeptide CGRP est le principal responsable de l’inflammation d’origine neurogénique des artères méningées et dure-mériennes caractéristique de la migraine. Si son mode d’action est encore mal connu, son rôle dans cette pathologie est avéré. Ainsi, les molécules agissant sur la voie du CGRP sont les premières à avoir été développées spécifiquement pour le traitement de fond de la migraine (pour celui des crises, les triptans ont été les premiers traitements spécifiques).
Il s’agit, d’une part, des anticorps ciblant le CGRP ou leurs récepteurs et, d’autre part, des antagonistes des récepteurs du CGRP ou gépants (dont certains peuvent être aussi bien de fond que de crise).
Anticorps monoclonaux
Quatre anticorps ciblant la voie du CGRP existent : l’érénumab et le galcanézumab (qui ont reçu l’AMM européenne en 2018), le frémanézumab (2019) et l’eptinézumab (2021). Ils sont indiqués en prophylaxie pour les patients ayant 4 jours ou plus de céphalées migraineuses par mois. Les trois premiers sont administrés en sous-cutané et le quatrième par voie intraveineuse.
Plusieurs essais randomisés en double aveugle contre placebo ont montré leur efficacité dans la prophylaxie de la migraine en traitement de fond, qu’elle soit épisodique (< 15 jours de céphalées/mois) ou chronique (≥ 15 jours/mois, dont au moins 8 avec des caractéristiques migraineuses). Les résultats groupés de ces études montrent que ces molécules permettent, en moyenne, une diminution de deux jours de migraine supplémentaires par rapport au placebo et, globalement, la moitié des patients ont une réduction d’au moins 50 % du nombre mensuel de jours de migraine. De plus, les essais concernant les patients ayant des migraines réfractaires à 2 à 4 traitements classiques ont aussi montré une efficacité (en moyenne, 2 à 4 jours de migraine en moins par mois par rapport au placebo).
Les études de vie réelle ont montré d’encore meilleurs résultats : réductions plus importantes du nombre mensuel de jours de migraine, proportion plus élevée de patients ayant un taux de réponse ≥ 50 % (jusqu’à trois quarts).
Le délai de réponse à ces traitements est rapide, chez certains patients dès le premier mois, mais des répondeurs « tardifs » (entre trois et six mois) ont notamment été décelés dans les études de vraie vie.
Enfin, la tolérance est généralement bonne : des méta-analyses ont trouvé que la fréquence des effets indésirables est moins élevée qu’avec les traitements de fond classiques tels que le valproate, l’amitriptyline et le topiramate. Ils comprennent notamment la constipation, des réactions allergiques, une possible élévation de la PA ; des EI à surveiller (rapportés de façon encore anecdotique) comprennent l’alopécie, le phénomène de Raynaud, la dysfonction érectile ou une altération de la cicatrisation. Ils sont contre-indiqués en cas de pathologie cardiovasculaire ou de grossesse.
Si les études comparant directement ces anticorps monoclonaux aux traitements classiques sont rares, l’ensemble des données disponibles jusqu’à présent montrent une véritable valeur ajoutée qui réside dans leur efficacité élevée – au moins comparable à celle des traitements classiques – combinée à un bon profil de tolérance qui favorise l’observance.
Gépants
Il s’agit d’antagonistes du récepteur du CGRP pris par voie orale ou intranasale. Il en existe actuellement quatre, utilisés pour le traitement aigu de la migraine. Deux d’entre eux ont aussi reçu l’AMM européenne pour le traitement de fond des patients ayant au moins 4 migraines par mois : le rimégépant (2022) et l’atogépant (2023).
Ils ont montré une efficacité en prophylaxie dans plusieurs essais randomisés, avec une réduction plus importante des jours de migraines par mois par rapport au placebo (le plus souvent environ 2 jours) et une proportion plus importante de patients répondeurs, y compris (pour l’atogépant) chez des sujets réfractaires aux traitements classiques.
Les effets indésirables les plus courants sont la nausée et la somnolence. Ils sont contre-indiqués en cas de dysfonction hépatique et de grossesse.
À quand le remboursement en France ?
Dans sa prise de position, la SFEMC considère que les molécules agissant sur la voie du CGRP devraient être proposées en première ligne dans le traitement de fond de la migraine, sur la base des dernières données d’efficacité et sécurité et des AMM européennes.
Toutefois, étant donné leur coût important, ils reconnaissent que leur remboursement pourrait concerner des situations plus restreintes, à savoir les patients ayant une migraine sévère (au moins 8 épisodes/mois) et pour lesquels au moins 2 traitements classiques ont été inefficaces, mal tolérés ou contre-indiqués. Ces indications de remboursement correspondent à celles recommandées par la Commission de la transparence (CT) de la HAS.
Toutefois, à l’heure actuelle, aucun de ces médicaments n’est remboursé en pratique. Malgré l’avis de la CT, l’absence d’accord tarifaire les rend inaccessibles à la majorité des patients :
- le frémanézumab, le galcanézumab et l’érénumab sont commercialisés en ville, à des prix très élevés, allant jusqu’à plusieurs centaines d’euros par injection (mensuelle) ;
- l’eptinézumab, administré en intraveineux tous les trois mois, est le seul qui peut être disponible actuellement à titre gratuit pour le patient puisque c’est un produit de « réserve hospitalière » ; il est actuellement administré dans certains hôpitaux et cliniques, mais sa disponibilité est variable et les listes d’attente sont importantes, chaque établissement ayant le choix d’inscrire ou non les nouveaux traitements sur sa liste.
- le rimégépant est commercialisé en France depuis octobre 2023, mais aucune demande d’évaluation en vue de remboursement n’a été déposée par le laboratoire ; son prix peut aller jusqu’à 80 € pour deux comprimés ;
- l’atogépant, commercialisé en France depuis juin 2024, a reçu un avis favorable au remboursement dans les mêmes situations que pour les anticorps monoclonaux, pour les patients sans antécédent cardiovasculaire, mais n’est pas remboursé ; les prix peuvent aller jusqu’à 300 € pour la boîte de 28 comprimés.
En conclusion, le développement de l’arsenal thérapeutique pour la migraine a été très important ces dernières années, avec l’arrivée de médicaments spécifiques efficaces et sûrs. Encore trop coûteux et non remboursés pour la plupart, ils restent cependant inaccessibles à la majorité, mais des réponses de la HAS sont attendues, puisque le lancement d’un groupe de travail sur l’amélioration du parcours de soin des patients migraineux est à l’ordre du jour pour 2025. À suivre…
Topiramate : ne plus utiliser pour le traitement de la migraine chez la femme en âge de procréer
Dans les recommandations de 2021, le topiramate était encore listé en première intention pour le traitement de fond de la migraine (sauf contre-indications). Or, depuis, des études ont montré que sa prise au cours de la grossesse était associée à un sur-risque très important de troubles neurodéveloppementaux et de malformations de l’enfant à naître – proche de celui du valproate, connu depuis longtemps. Cela a conduit l’ANSM, depuis 2022, à restreindre sa prescription en indiquant que cette molécule ne devait plus être prescrite aux femmes enceintes ou en âge de procréer n’utilisant pas de méthode de contraception hautement efficace.
La SFEMC a donc aussi recommandé de ne plus utiliser le topiramate en tant que traitement de fond de la migraine chez les femmes en âge de procréer.
Moisset X, Demarquay G, de Gaalon S, et al. Migraine treatment: Position paper of the French Headache Society. Rev Neurol 2024;180(10):1087-99.
Lucas C. Prise en charge de la migraine : état des lieux et perspectives. Rev Neurol 4 juin 2024.
Lire aussi :
Lucas C. Traitement des migraines. Rev Prat Med Gen 2023;37(1076);171.
Martin Agudelo L. Migraine : quel est le meilleur traitement de la crise ? Rev Prat (en ligne) 1er octobre 2024.