Témoignage d’Ethan, 9 ans
Je viens depuis longtemps au Village (NDLR : nom de l’hôpital de jour du service d’oncopédiatrie de Gustave-Roussy) et j’aime beaucoup voir les clowns, même si ce ne sont pas toujours les mêmes. Je les attends et, aujourd’hui, je leur ai fait peur en me cachant. Ils me redonnent le sourire, m’apaisent et me font rire. J’oublie que je suis à l’hôpital. Ils m’ont donné une carte avec leur photo que j’ai gardée.
Témoignage de Raziye, mère d’Ethan
Cela me fait plaisir de voir Ethan rire et jouer avec les clowns comme un enfant de son âge et ainsi oublier la maladie quelques instants. Heureusement qu’ils sont là !
Ethan a été traité en hôpital de jour de début 2022 à mai 2023 car il souffre d’une tumeur des nerfs optiques. À la fin de ce protocole la tumeur n’a pas grossi et a même un peu rétréci. Toutefois, il faut la contrôler tout au long de la puberté afin qu’elle ne se développe pas. On lui administre maintenant un autre traitement afin de préserver sa vue. Il vient donc à l’hôpital de jour toutes les deux semaines pour la perfusion et ce pendant un an à un an et demi. C’est lourd, car Ethan a en plus des difficultés d’apprentissage et manque souvent l’école. Il faut tenir le coup.
Même s’il est bizarre de dire cela, « grâce à la maladie » j’ai retrouvé foi en l’humanité, car il y a des personnes bienveillantes qui donnent de leur temps pour apporter de la joie aux enfants et à leurs parents. Cela me touche beaucoup. Ethan aime énormément la visite des clowns, il les attend à chaque fois avec impatience. Et il n’y a pas que les clowns du Rire Médecin, d’autres associations interviennent dans le service (Les Blouses roses, Petits Princes...).
Quoi de mieux pour le moral que de voir son enfant sourire et rire ? Tant pour le petit malade que pour ses parents, cela nous permet de nous échapper et d’oublier que nous ne sommes pas comme les autres.
Cette situation m’a aussi appris à échanger avec mon fils. Et il ne faut pas hésiter à craquer et à lui montrer ses sentiments, même s’il est difficile d’extérioriser sa peine. Je suis sûre que cette épreuve fera d’Ethan quelqu’un de meilleur, de plus humain et de plus fort.
Commentaire des comédiens-clowns David barrière et Laure Pagès
Notre journée commence par la tournée des postes infirmiers pour rencontrer les équipes soignantes et recevoir les transmissions concernant les enfants présents dans le service : leur pathologie et son évolution, leur humeur, leur situation familiale... C’est important de connaître l’état de santé du jour. Nous sommes alors habillés « en civil ».
Puis nous nous costumons et maquillons. Nous ne faisons pas les clowns, nous sommes des comédiens-clowns : dès que le nez rouge est posé, nous sommes Hervé Philippe et Pétula Clark Gable. Si nous l’enlevons, c’est le signe que nous redevenons David et Laure.
Nous allons ensuite de chambre en chambre dans tout le service, avec pour objectif de rencontrer tous les patients ; nous les interpelons aussi dans les couloirs.
Nous sommes toujours en duo pour pouvoir interagir entre nous puis inclure ou non l’enfant et son entourage (un parent est très souvent présent) selon son désir. Nous improvisons en permanence, même si nous avons toujours quelques chansons en réserve.
Nous sommes les seuls intervenants auxquels les enfants peuvent dire non et qu’ils peuvent faire sortir de leur chambre ! Nous ne portons pas la blouse blanche qui fait peur.
Notre temps de présence auprès de chaque enfant peut aller de dix secondes à trois minutes, voire quinze à vingt ! Nous nous adaptons à l’ambiance, l’accueil, aux réactions et besoins de chacun. Il ne s’agit pas de faire un spectacle mais bien de jouer devant ou avec l’enfant et son entourage. Les enfants restent enfants avant d’être malades et apprécient de « jouer » avec nous. Nous leur apportons une parenthèse décalée dans ce milieu hospitalier, un moment « extraordinaire », qui sort de l’ordinaire. C’est un temps de détente durant lequel l’enfant peut décider de dire oui ou non, et peut rire. Les parents sont parfois surpris de ce lâcher-prise et peuvent participer, voire poursuivre le jeu ensuite, ou en profiter pour faire une pause.
Les soignants nous demandent de temps en temps d’intervenir au moment des soins pour faciliter certains gestes, comme une ponction lombaire, en distrayant les jeunes patients. Mais cela ne fonctionne pas toujours !
Avec l’association Le Rire Médecin et la cheffe de service, nous avons créé des ateliers pour les parents, et il existe aussi des formations pour les soignants afin d’apprendre à détourner l’attention des enfants pendant les soins.
Nous interagissons beaucoup avec les infirmières, moins avec les médecins, car nous ne sommes pas présents pendant leurs visites. Nous pouvons parfois faire des retours aux soignants sur l’évolution de la vision, de la mobilité d’un enfant... ou sur son moral.
Commentaire de Christelle Dufour, pédiatre et oncologue à Gustave-Roussy
Nous accueillons des comédiens-clowns dans le service depuis 1991. Le Pr Jean Lemerle est à l’initiative de cette opération et les clowns sont restés depuis. Le Dr Valteau-Couant à qui j’ai succédé en tant que cheffe de département est à présent la présidente de l’association Le Rire Médecin.
La visite des comédiens-clowns dans le service n’a rien à voir avec un spectacle de cirque. Ils ont une approche bienveillante et ludique ; ils s’adaptent à chaque patient en fonction de son âge, de l’évolution de sa pathologie... Pour cela, la phase préalable de transmission des informations avec les infirmières est très importante.
Même s’ils ne font pas toujours rire, leur présence apporte de la joie et de la douceur, et diminue l’anxiété. Voir circuler dans les couloirs et dans les chambres des personnes costumées, grimées, avec un nez rouge et qui jouent de la musique est souvent surprenant pour les patients et leur accompagnants. Mais la pathologie est fréquemment longue et les comédiens-clowns assurent une continuité, un rendez-vous avec les enfants, qu’ils finissent par connaître et qui les attendent.
Les comédiens-clowns font maintenant partie des murs. Ils apportent non seulement de la joie et des rires mais aussi de la douceur, en particulier dans les situations difficiles. Leur présence est « thérapeutique », ils fournissent une bulle, une parenthèse de légèreté aux enfants, à leur famille et aux soignants. Ils nous permettent également parfois d’ouvrir le dialogue en montrant que les soins à l’hôpital ne sont pas seulement une « agression » mais peuvent aussi fournir aide et confort. Ils nous aident aussi à dépasser la barrière de la langue avec les patients non francophones.
De plus, ils intègrent les soignants, quels qu’ils soient, dans leur jeu, ce qui élargit le cercle de la bonne humeur à tous les acteurs de la prise en charge. Je conseille d’ailleurs à tous les internes de suivre la formation du Rire Médecin, en particulier à ceux qui se destinent à la pédiatrie, pour acquérir un « savoir-être » face à nos petits patients. Il est important d’adopter une attitude ludique, d’apprivoiser l’enfant et de lui donner confiance avant même de l’examiner.
D’ailleurs, nous avons tous un nez rouge dans nos tiroirs !
Des professionnels du rire dans les services de pédiatrie
L’association Le Rire Médecin fait intervenir, depuis 1991, deux fois par semaine et tout au long de l’année, des duos de comédiens-clowns au sein de services de pédiatrie. En ouvrant l’hôpital sur l’extérieur, les comédiens-clowns y font entrer la vie, le rire, la poésie, la musique, la magie et font du bien, non seulement aux enfants mais aussi à leurs proches et aux équipes soignantes.
L’association emploie 150 comédiens-clowns qui interviennent dans 80 services d’une vingtaine d’hôpitaux auprès de 100 000 enfants chaque année. Sa fondatrice, Caroline Simonds – alias Josette Girafe –, comédienne-clown elle-même, a initié le premier programme du Rire Médecin à l’institut Gustave-Roussy et en région parisienne ; désormais, toutes les régions françaises sont couvertes. Les comédiens-clowns sont intermittents du spectacle et exercent d’autres activités artistiques en parallèle. Ils sont tous spécifiquement formés et bénéficient de formations continues obligatoires adaptées aux interventions auprès d’enfants en milieu hospitalier.
Le Rire Médecin a d’ailleurs créé, en 2011, un organisme de formation certifiante pour les comédiens-clowns. En effet, cette activité nécessite de connaître les particularités et contraintes liées à l’univers hospitalier et au soin des enfants. Les artistes collaborent étroitement avec les équipes soignantes.
Une formation, nommée Ludo-soignant, propose des modules de deux jours pour les professionnels de santé afin de leur fournir des outils pour faciliter la communication. Et des temps spécifiques sont partagés avec les équipes.
Depuis quelques années, un programme est proposé dans des maternités (« Mater-Nez » à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre et au CHU de Nantes) un jour par semaine pour soutenir le lien mère-enfant dans les situations difficiles.
D’autres associations du même type existent dans différentes régions de France et en Europe.
Clotilde Mallard, directrice générale de l’association Le Rire Médecin