Témoignage de Charlotte, 45 ans
Je suis « ronde » depuis mon plus jeune âge. Les événements survenus dans ma famille lors de mon enfance et mon adolescence n’ont fait qu’aggraver une tendance à l’obésité qui était déjà présente dans ma famille. Jeune adulte, j’ai suivi de nombreux régimes et pris ces poudres « magiques » que j’avais vues dans les journaux ou dont on m’avait vanté les mérites sur internet.
À l’âge de 30 ans, j’ai eu une chirurgie bariatrique. Mais j’ai petit à petit repris du poids, encore plus de poids, même sans faire d’écarts alimentaires, comme si mon corps se battait contre moi.
J’ai dépensé beaucoup de temps et d’argent pour trouver des solutions qui m’aideraient, sans jamais rien trouver qui permette une perte de poids sur le long terme. Tout ce que j’avais gagné, c’était que mon poids avait augmenté avec le temps, et ma culpabilité aussi…
Après avoir obtenu mon BTS, j’ai commencé à chercher du travail, et j’ai alors tout entendu : « Pour faire de la vente, il faut être rapide et présentable » ; « Nous n’avons pas de vêtements de travail adaptés à votre corpulence ». Même chose quand j’ai postulé à un poste dans la vente de cosmétiques. Je suis donc restée longtemps sans emploi ; de plus, ma famille me culpabilisait parce que je ne trouvais pas de travail. Lorsque, finalement, j’ai trouvé un poste (pour lequel j’étais surdiplômée), il a été compliqué de m’intégrer dans l’équipe. Je devais me cacher pour manger afin d’éviter les remarques alors que je mangeais sans excès, car les réflexions pleuvaient. Cela n’a fait qu’aggraver mon état dépressif.
Je me suis mariée et, lorsque je suis tombée enceinte à 35 ans, il m’a fallu beaucoup de résilience pour supporter les remarques désagréables de l’échographiste ou du gynécologue pour lesquels mon obésité était un frein à tout, tout le temps. Lors de mon accouchement, il a aussi fallu que je rassure l’anesthésiste sur le fait que l’anesthésie péridurale pouvait avoir lieu ; seuls les repères anatomiques sont plus difficiles à trouver pour poser le cathéter… Mots employés, attitude stigmatisante, rien n’allait.
J’ai déménagé et j’ai consulté un nouveau médecin généraliste près de chez moi. Quand il m’a vue arriver, j’ai lu dans ses yeux qu’il était paniqué et dépassé par la situation ! Impossible de me peser ou de prendre ma tension, rien n’était adapté ! Pas de siège sans accoudoirs dans la salle d’attente, hantise de la réflexion du médecin quand tu vas te peser : j’aurais pu rentrer chez moi et ne plus vouloir consulter de médecin de ma vie. Mais celui-ci a pris le temps et nous avons pu échanger de façon constructive.
En résumé, pas facile d’être une patiente en situation d’obésité en France au XXIe siècle !
Cette situation m’a fait beaucoup réfléchir sur le soutien que j’aurais aimé trouver auprès du corps médical au fil de ces quarante dernières années : une écoute bienveillante, une explication non culpabilisante sur les raisons pour lesquelles j’ai toujours repris du poids, des conseils sur le parcours de soin dans lequel m’intégrer et une attitude positive pour créer une alliance thérapeutique !
Commentaire du Pr David Nocca, chirurgien digestif et Président de la ligue contre l’obésité
En France, l’obésité concerne presque 10 millions de personnes ; leur espérance de vie est réduite de cinq à sept ans. Comme le montre le témoignage de Charlotte, l’obésité est une maladie chronique, complexe et progressive qu’il faut prendre en charge avant la survenue de nombreuses complications, qui doivent être dépistées afin de préserver la santé des patients à long terme. Parmi celles-ci, le diabète, l’hypertension artérielle, les apnées du sommeil ou les complications mécaniques articulaires sont bien connus, mais il y a aussi différents types de cancer malheureusement dépistés avec plus de retard chez les personnes en situation d’obésité. Le cancer qui survient chez ces personnes constitue une triple peine : augmentation du risque, retard au dépistage et moins bonne réponse au traitement.
Comment aborder la question du poids avec son patient ou sa patiente ? Nous sommes souvent mal à l’aise pour aborder ce sujet si la personne n’en parle pas d’elle-même. Mais comme pour toute maladie chronique, on peut avoir une approche bienveillante, sans culpabiliser le patient ; le risque est qu’il sorte du système de soins par crainte d’être stigmatisé, sans prise en charge adaptée, ni dépistage des complications ou des cancers.
Manger moins et bouger plus ne sont pas des solutions uniques à proposer aux patients chez qui l’obésité est installée depuis de nombreuses années, même si de bonnes habitudes alimentaires et une activité physique régulière restent la base de la prise en charge. Alors même que nous sommes souvent les premiers professionnels de santé auxquels les patients s’adressent pour leur poids, il n’est pas toujours facile de les orienter vers le parcours de soin adéquat.
Celui-ci a fait l’objet de recommandations de la part de la Haute Autorité de santé (HAS) et est fondé sur un phénotypage clinique à partir de sept critères permettant une gradation de sévérité en trois niveaux.1 Afin d’accompagner au mieux les patients, il est utile de connaître les professionnels médicaux et paramédicaux à proximité de manière à construire un parcours de soin pluriprofessionnel avec le patient et l’orienter en fonction de ses besoins vers un diététicien, un psychologue, un éducateur en activité physique adaptée, un infirmier ou un kinésithérapeute. Pour un grade de sévérité 2 ou 3,2 il faut identifier la structure vers laquelle orienter le patient pour un accompagnement adapté à sa situation. La prise en charge thérapeutique, médicale ou chirurgicale, est encadrée par des recommandations3 et des parcours de soins spécifiques qui ont été mis en place au niveau territorial sous l’égide des centres spécialisés de l’obésité (CSO).4 La liste des CSO ainsi que de nombreuses autres informations sur la prise en charge de l’obésité sont disponibles sur le site www.obesitefrance.fr.5
Certaines collectivités locales ont aussi mis en place des structures de prévention et de prise en charge des personnes en situation d’obésité afin de les orienter vers une activité physique adaptée à proximité de chez elles, encadrées par des équipes formées et non stigmatisantes.
Enfin, de nombreux projets existent pour la prévention et la prise en charge du surpoids et de l’obésité des enfants et adolescents.6,7
1. La ligue contre l’obésité : de multiples outils innovants
Depuis sa création en 2014, la Ligue nationale contre l’obésité (LCO) se positionne comme une référence essentielle dans la représentation des patients touchés par l’obésité. Sous la direction de son président et de sa directrice, professionnelle de santé, l’association s’engage à être à l’écoute des besoins de ses adhérents et à renforcer la collaboration avec les associations membres. Cette année, elle poursuit sa mission de développer des projets innovants qui visent à être plus proches des adhérents et des associations qui œuvrent à leurs côtés.
Parmi les initiatives déjà mises en place, la ligne d’écoute Obécoute (04 48 206 206) et la messagerie dédiée (aide.obesite@liguecontrelobesite.org) constituent des outils essentiels pour apporter écoute, soutien, conseils et pour orienter les usagers de la Ligue vers un parcours de soins adapté. En 2025, la Ligue contre l’obésité lancera « Diet A Dom », un projet spécifiquement destiné à la prise en charge de l’obésité infantile. Cette opération vise à renforcer les actions de prévention auprès des enfants, adolescents et préadolescents à la sortie d’un parcours de soins hospitalier. Le programme propose des interventions directement au domicile des familles afin d’aider l’enfant à mettre en pratique, dans son environnement quotidien, les acquis développés en établissement de santé. L’objectif est de réduire les risques de rupture de parcours, de consolider les résultats obtenus et de sensibiliser l’ensemble de la famille à l’importance d’une prise en charge globale et durable de l’obésité de l’enfant.
Dans la même dynamique, la Ligue prépare le lancement de son podcast intitulé « La voix de la Ligue ». Ce nouvel outil de communication donnera la parole aux patients, aux professionnels de santé, aux chercheurs ainsi qu’aux acteurs de terrain. À travers des témoignages, des échanges d’expertise et des décryptages, ce podcast ambitionne de mieux faire connaître les réalités vécues autour de l’obésité et de diffuser des messages de prévention fondés sur l’expérience et l’écoute.
Enfin, une collaboration active avec le ministère de la Santé est engagée afin de co-construire la feuille de route du nouveau Plan Obésité 2026. Cette concertation nationale constitue une étape majeure pour structurer les réponses de santé publique autour de cette maladie chronique et pour mobiliser durablement l’ensemble des acteurs impliqués sur le terrain.
2. CNAO : militer pour changer le regard sur l’obésité
Le Collectif national des associations d’obèses (CNAO) a été créé en mars 2003 par Anne-Sophie Joly. Il regroupe des associations de patients, est agréé par le ministère de la Santé et sert de lien depuis plusieurs années entre les institutions, les associations en région, les collectivités locales et les patients. Le CNAO milite activement pour la reconnaissance par tous de l’obésité comme maladie chronique et pour l’égalité, la pertinence, la qualité des soins, l’information et les formations destinées à l’ensemble de la population souffrant de surpoids et d’obésité. Le collectif milite également pour un changement de regard sur l’obésité, pathologie encore trop souvent stigmatisée, pour un accès égalitaire à une prévention et une bonne prise en charge des soins.
Le CNAO organise depuis 2009 les Journées mondiales de lutte contre l’obésité en France. Il a réalisé les premiers États généraux de l’obésité le 3 mars 2025 sous le haut patronage du président de la République, Emmanuel Macron, au ministère de la Santé. L’objectif est de faire reconnaître l’obésité comme étant une maladie et de mettre en place l’équivalent d’un Plan cancer interministériel sur dix ans renouvelable, ce qui pourrait permettre de travailler de façon transverse à la fois sur la prévention et sur la prise en charge globale de l’obésité et de ses 19 complications, objet d’une campagne de communication 2025.
Aujourd’hui, sur 67 millions de Français, près de 10 millions sont touchés par l’obésité, et l’Organisation mondiale de la santé prédit que dans cinq ans, en 2030, 20 millions de Français seront impactés ; il est donc urgent d’agir !
3. Une étude menée sur le vécu des patients en situation d’obésité
Le CNAO et la LCO ont conduit une étude* visant à mieux comprendre les enjeux de la prise en charge de l’obésité en France ; celle-ci a exploré les perceptions et le vécu des personnes en situation d’obésité ainsi que leur intégration éventuelle dans un parcours de soins.
Un échantillon de 1 835 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population française, a été interrogé en utilisant un questionnaire auto-administré en ligne fin 2023. Les participants ont été classés selon leur indice de masse corporelle (IMC) et leur propre perception de leur silhouette.
La répartition des personnes interrogées était la suivante : IMC maigre ou normo-pondéral (42 %), surpoids (27 %), obésité modérée (21 %), obésité sévère (7 %) et obésité massive (3 %). Indépendamment de leur catégorie de poids, 70 % des personnes interrogées ont considéré l’obésité comme une maladie et plus de 75 % ont estimé qu’elle représente un risque pour le développement de maladies graves. Cependant, seulement 28 % des personnes présentant une obésité (modérée, sévère ou massive) selon leur IMC se déclaraient « en situation d’obésité », mettant en avant une discordance entre la reconnaissance de l’obésité comme maladie et la propre perception de leur état. Parmi les causes identifiées à l’origine du surpoids et de l’obésité figurent l’alimentation d’abord mais aussi d’autres causes telles que des problèmes psychologiques ou des contraintes économiques.
Les répondants ont déclaré avoir été accompagnés pour la gestion de leur poids par un médecin dans 46 % des cas s’ils étaient en situation d’obésité modérée, 55 % des cas s’ils étaient en situation d’obésité sévère et 74 % des cas en situation d’obésité massive. Seulement 22 % des personnes en situation d’obésité sévère et 44 % en obésité massive ont eu accès à un programme d’éducation thérapeutique centré sur l’alimentation, le surpoids et l’obésité. Et seulement 15 % des personnes en situation d’obésité sévère et 39 % en situation d’obésité massive ont été suivies dans un établissement de santé avec prise en charge pluridisciplinaire. La majorité des personnes ont recherché des informations sur la gestion du poids auprès des professionnels de santé, en particulier de leur médecin généraliste, mais signalent des difficultés d’accès à une prise en charge adaptée.
En conclusion, il existe une forte reconnaissance de l’obésité comme maladie par la majorité des personnes interrogées. Cependant, la faible proportion de personnes en situation d’obésité qui se déclarent comme telles met en lumière une discordance entre la perception individuelle et la réalité de leur état. Par ailleurs, la prise en charge médicale apparaît tardive dans l’évolution de la maladie, avec un accès limité aux programmes pluridisciplinaires de gestion du poids et d’éducation thérapeutique tels que recommandés par la Haute Autorité de santé. Ces résultats soulignent la nécessité de développer des initiatives pour encourager la reconnaissance de l’obésité en tant que maladie chronique multifactorielle et améliorer l’intégration des patients dans des parcours de soins adaptés à leur état de santé.
2. Centres spécialisés de l’obésité. Évaluer la sévérité de l’obésité https ://urls.fr/ja9BtO
3. HAS. Obésité de l’adulte : prise en charge de 2e et 3e niveaux. Février 2024. https ://urls.fr/mdWD8o
4. Centre spécialisé de l’obésité. Organisation territoriale des parcours. https ://urls.fr/wH3HTB
5. Centre spécialisé de l’obésité. Les 40 centres spécialisés de l’obésité. https ://www.obesitefrance.fr/
6. Centre spécialisé de l’obésité. Obésité de l’enfant/adolescent. https ://urls.fr/k0TOO1
7. Centre spécialisé de l’obésité. Mission : retrouve ton cap. https ://urls.fr/kcz_Lj