Témoignage de Bernard, 70 ans
Mon trouble obsessionnel compulsif (TOC) a commencé, comme souvent, entre l’enfance et l’adolescence, avec des symptômes classiques : peur de la mort des parents, blasphèmes et contrition immédiate (à une époque où l’on était censé être croyant), hypochondrie et dysmorphophobie, phobie sociale. Plus significatif : je regardais compulsivement derrière les portes en comptant 1, 2, 3.
Je suis de l’époque de la domination freudienne du tout-psychologique et du tout-social qui a fait d’énormes dégâts. Premier dégât : un psychiatre freudien muet sur son fauteuil. Deuxième errance : plusieurs psychanalystes autoproclamés dont l’un dormait pendant la séance. Troisième étape : une psychanalyste authentique de l’école freudienne avec laquelle j’avais des compulsions sur le divan. En résumé, beaucoup d’argent et de temps pour rien. La rumination analytique sur la pseudo-cause infantile de mon trouble ajoutait de la compulsion à la compulsion.
Le TOC n’est pas un long fleuve tranquille. Tout stress l’intensifie ; seule une vie parfaitement calme peut le juguler un peu. Le stress que j’évoque n’est pas forcément un événement malheureux mais tout ce qui change la vie, un déménagement, par exemple. Parfois, on croit que le TOC a disparu, mais il est juste en sommeil, prêt à bondir. Il ne faut pas non plus négliger les comorbidités qui l’accompagnent, notamment la dépression à laquelle il peut conduire. Dans mon cas, la phobie sociale m’empêchait, gamin, d’acheter une baguette dans une boulangerie mais j’en suis venu à bout seul à l’âge adulte.
Est-ce que les TOC m’ont pourri la vie ? Assurément.
Je suis un peu marginal car je n’ai pas d’obsessions, seulement des compulsions. Cela m’a permis de nier le problème longtemps dans les questionnaires (Y-BOCS : Yale-Brown obsessive compulsive scale) où j’avais un score très bas. Répétition de listes de mots ou de choses à faire, relecture, revisionnage, actes refaits jusqu’à ce qu’ils soient « corrects » (le terme correct ici n’a rien de psychologique, il s’agit d’obtenir un apaisement). Il y a aussi des compulsions à toucher les objets environnants et des arrêts sur image sur certaines actions anodines. Tout ceci m’amène à dire que le TOC est une maladie neurocomportementale : d’une part, les obsessions sont absurdes, d’autre part, certains TOC sont de pures compulsions sans aucune pensée sous-jacente.
En dommage collatéral, deux ans de dépression à la suite d’acouphènes et un peu d’alcoolisme, le tout sponsorisé par Mister TOC…
J’ai découvert l’Association française de personnes souffrant de troubles obsessionnels et compulsifs (Aftoc) ; j’ai beaucoup appris de mes sœurs et frères de combat, ils m’ont fait progresser et donné le goût de l’engagement. J’ai beaucoup lu et je continue à lire sur cette terrible maladie, je suis à l’affût de la moindre avancée. Je suis engagé dans cette association et j’essaie d’éviter aux membres les fausses pistes thérapeutiques, charlatanesques et coûteuses.
Je prends des antidépresseurs et je fais une autothérapie comportementale et cognitive. Aujourd’hui, je ne vais pas trop mal.
Commentaire d’Alexandre de Connor, psychologue clinicien
Le TOC est un trouble psychiatrique caractérisé par des obsessions (pensées ou images récurrentes et intrusives) et des compulsions (comportements répétitifs ou actes mentaux visant à neutraliser l’anxiété), comme pour Bernard. Bien que les compulsions procurent un soulagement temporaire de l’anxiété, elles renforcent le besoin de les reproduire, empêchant ainsi la personne de développer des stratégies plus adaptées pour faire face à ses émotions (peur ou dégoût dans le cas du TOC).
Les TOC sont classés en cinq sous-types principaux : les TOC de contamination, les TOC de responsabilité (vérifier si la porte est bien fermée), les TOC liés aux pensées inacceptables (peur d’agresser un enfant), les TOC de symétrie et d’ordre et les TOC d’accumulation. Cependant, les manifestations du TOC peuvent être extrêmement variées, compliquant parfois le diagnostic. Par exemple, des formes comme le « morphing fear » (peur irrationnelle de se transformer en une autre personne ou d’adopter un défaut moral ou physique d’une autre personne) ou les compulsions de contamination sans crainte de maladie (souvent associées à un dégoût extrême ou à une aversion pour la saleté) peuvent passer inaperçues.
Un diagnostic précoce est crucial pour prévenir l’aggravation du trouble et améliorer le pronostic. Mais les TOC peuvent être difficiles à diagnostiquer en raison de leur présentation clinique variée. Les patients peuvent dissimuler leurs symptômes par honte ou par méconnaissance du caractère irrationnel de leurs pensées et comportements. Il est donc essentiel de reconnaître certains signes distinctifs du trouble.
Outre les compulsions, les personnes atteintes de TOC présentent souvent une intolérance à l'incertitude, une tendance au doute et une inquiétude excessive, même lorsque les preuves rationnelles sont rassurantes. Il est important de savoir que la réassurance ne diminue pas la symptomatologie du TOC mais contribue plutôt à le maintenir. Le TOC est comorbide avec le trouble d’anxiété généralisée (TAG) dans 40 % des cas et peut conduire à un état dépressif caractérisé étant donné ses conséquences sur la vie de la personne. Lorsqu’un médecin généraliste rencontre un patient présentant ces symptômes, il est impératif de suspecter un TOC et de procéder à un dépistage ciblé.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) constituent le traitement de référence. Elles ont prouvé leur efficacité dans de nombreuses études, surtout lorsqu’elles sont mises en place rapidement après le diagnostic. La TCC aide les patients à gérer leurs obsessions et compulsions de manière structurée et progressive, les encourageant à tolérer l’incertitude et à réduire les compulsions. Les thérapeutes sont recensés dans l’annuaire de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC).
Aujourd’hui, il est possible de se rétablir d’un TOC grâce à une thérapie adaptée. Cependant, un accès retardé aux soins spécialisés réduit les chances de rétablissement complet.
Soutien aux patients et organisation de groupes de parole
L’Association française de personnes souffrant de troubles obsessionnels et compulsifs (Aftoc) est une association loi 1901 agréée par le ministère de la Santé. Cette association de patients a pour mission d’informer et soutenir les personnes concernées par la maladie. Elle est animée par des bénévoles et s’attache à remplir les objectifs suivants :
- aider les patients et leur famille à mieux comprendre le trouble et les orienter vers une prise en charge adéquate. Des informations variées sont disponibles sur son site internet et sa chaîne YouTube ;
- organiser des groupes de parole (en ligne et en présentiel) pour que les malades et leurs proches puissent rencontrer d’autres personnes touchées par un TOC ;
- informer le public et les professionnels de santé sur ces troubles invalidants, afin de les détecter de façon plus précoce et de favoriser leur compréhension et les adaptations nécessaires. En particulier, l’Aftoc travaille en collaboration avec des associations de professionnels de santé afin de contribuer à mieux former les thérapeutes ;
- soutenir et promouvoir toute action et recherche pouvant contribuer à une meilleure prise en charge et au mieux-être des malades ;
- participer à la représentation des usagers auprès des instances de santé.
Le TOC génère un sentiment de honte et une image dégradée de soi. De nombreux malades n’osent pas consulter un psychiatre et s’en remettent à leur médecin généraliste. Il est donc primordial que ceux-ci soient sensibilisés à ce trouble méconnu et sous-estimé.
Raphaël Blot, vice-président
Pour en savoir plus
Association française de personnes souffrant de troubles obsessionnels et compulsifs (Aftoc : www.aftoc.org) qui précise notamment les dates et lieux des groupes de parole.
Annuaire de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC : www.aftcc.org/annuaire) pour trouver des thérapeutes spécialisés.
Description du trouble obsessionnel compulsif (TOC ) sur le site de l’Assurance maladie : www.ameli.fr/assure/sante/themes/toc
Ouvrages
« Je ne peux pas m’arrêter de laver, compter, vérifier », Alain Sauteraud, Paris, éditions Odile Jacob, 2002.
« Comprendre et traiter les TOC », Anne-Hélène Clair et Vincent Trybou (dir.), Paris, éditions Dunod, 2016.