Les signes sont insidieux et les douleurs diffuses, mais le corps se modifie inexorablement... et le diagnostic de cette maladie rare n’est pas évident. Un accompagnement psychologique est nécessaire pour que le patient puisse s’approprier sa nouvelle image.

Témoignage d’Aurélie, 41 ans

Le diagnostic d’acromégalie a été posé il y a trois ans, mais je souffrais de signes flous depuis ma deuxième grossesse il y a sept ans et qui se sont accentués lors de ma troisième grossesse. J’avais beau suivre une psychothérapie, pratiquer le yoga, faire de l’exercice physique, réajuster mon alimentation... je continuais à grossir, à avoir des douleurs dans les doigts, à subir une transpiration excessive et une grande fatigue. Mon corps changeait sans que je puisse identifier pourquoi  ! Mes pieds grandissaient et les podologues me disaient juste que c’était sans doute génétique  ! J’avais une sensation d’étrangeté, que quelque chose m’échappait. Et je ne mettais pas en lien les différents symptômes. Face aux douleurs articulaires, j’ai consulté, en avril 2021, une rhumatologue qui m’a examinée dans ma globalité et m’a posé les bonnes questions. En effet, mes pieds mais aussi mes mains, mon menton, mon périmètre crânien avaient augmenté de façon insidieuse. Et quand je m’en étais plainte, tous mes interlocuteurs évoquaient un problème psychologique, le vieillissement précoce et pouvaient même parfois se moquer de moi  ! Enfin, ce médecin me croyait et surtout tous ces signes correspondaient à une pathologie  : quel soulagement de mettre un terme médical sur mes sensations. Une prise de sang a montré un taux d’hormone de croissance très élevé. Une imagerie par résonance mag­nétique (IRM) a mis en évidence un macro­adénome.

Dans un service d’endocrinologie, j’ai réalisé de nombreux examens et consulté l’endocrinologue référent et un chirurgien. Premier coup dur  : en raison de sa localisation – infiltration de l’artère cérébrale –, il n’est pas envisageable que mon adénome soit opéré. La seule solution est donc un traitement médicamenteux... et, semble-t-il, à vie. Une solution impossible à entendre pour moi qui me suis toujours soignée avec des médecines douces  ; j’étais dans un déni total. Peu à peu, j’ai opéré un changement, comme pour un deuil. Côté positif, le traitement régule la sécrétion d’hormone de croissance, limite l’impact des lésions osseuses et freine l’évolution de la maladie. En revanche, je suis entrée dans un parcours de soins de maladie chronique avec des injections «  pour longtemps  »  ! Mensuelles les deux premières années, puis pour stabiliser efficacement l’hormone de croissance, le médecin a ajouté des auto-injections hebdomadaires. Heureusement, mes pharmaciennes m’ont aidée avec bienveillance et patience à acquérir les compétences pour réaliser ces auto-injections et c’est maintenant devenu une routine.

J’ai appris à gérer les troubles digestifs en adaptant mon alimentation. J’ai également beaucoup perdu mes cheveux la première année. Heureusement, cela a été temporaire et réversible. Dès la première rencontre, le professeur d’endocrinologie qui me suivait m’a orientée vers l’association « Acromégales, pas seulement », et les échanges avec d’autres malades m’ont beaucoup soutenue.

Les médecins n’ont pas toujours eu un langage accessible et ne nous prennent parfois pas assez en compte en tant que personne, avec nos vécus, nos peurs, nos besoins.

Un accompagnement psychologique et des séances d’éducation thérapeutique me paraissent judicieux pour se réconcilier avec son image, pour pe(a)nser son parcours de soins et s’accepter tel que l’on est.

Même si le parcours de soins peut évoluer, j’ai appris progressivement à vivre avec l’acromégalie, et, aujourd’hui, ce n’est qu’une partie de ma vie  !

Commentaire du Pr Philippe Chanson, service d’endocrinologie, hôpital bicêtre

Le témoignage d’Aurélie correspond à ce que chaque patient souffrant d’acromégalie me raconte. C’est aussi, à certains égards, ce que décri­vent beaucoup de ­patients porteurs d’une maladie rare.

C’est l’histoire du long (plusieurs années) retard diagnostique et de l’errance vécue par les patients atteints de cette maladie aux signes et symptômes peu spécifiques, insidieux et souvent difficiles à verbaliser. Les plaintes du patient n’évoquent en général pas grand-chose à son médecin.

Comme Aurélie le dit si bien, les patients vivent très mal les modifications corporelles qu’ils observent, les douleurs articulaires, la trans­piration excessive, les céphalées… Et ils souffrent non seulement de l’absence de diagnostic mais aussi, souvent, de ne pas être pris au sérieux, voire d’être culpabilisés («  Si vous grossissez ou que votre apparence change… c’est parce que vous mangez trop ou parce que vous ne faites pas assez d’exercice  ! »).

L’acromégalie est en rapport avec un adénome bénin de l’hypophyse sécrétant en excès l’hormone de croissance. Si l’excès démarre avant la soudure des cartilages de croissance, il est à l’origine d’un gigantisme alors qu’un début après la puberté produit une acromégalie, avec un syndrome dysmorphique au niveau du visage (qui devient plus massif, avec un front bombé, des arcades sourcilières saillantes, une croissance du nez et des lèvres, un prognathisme…), au niveau des mains (élargissement des doigts) et des pieds (amenant à changer de pointure). L’adénome hypophysaire peut aussi provoquer des céphalées et, lorsqu’il est très volumineux, des troubles visuels.

Même si les proches ou le médecin habituel du patient ne perçoivent pas ces changements très progressifs, le patient, comme le dit Aurélie, se rend compte qu’il se passe quelque chose qui l’enlaidit et l’amène bientôt à éviter de se regarder dans un miroir, à fuir les photographies… témoignant d’une profonde dété­rioration de l’image de soi et pouvant conduire à un certain isolement social.

Cela va parfois nourrir chez le patient un ressentiment vis-à-vis de son médecin habituel qui n’a pas fait le diagnostic, surtout si ce syndrome dysmorphique a «  sauté aux yeux  » d’un autre médecin voyant le patient pour la première fois et lui a fait évoquer le diagnostic.

Toute la difficulté est donc de penser à ce diagnostic… d’autant plus qu’il ne vient pas à l’idée du patient de signaler à son médecin qu’il a dû agrandir sa bague ou changer de pointure.

Et c’est dommage, car, dès qu’on évoque ce diagnostic, tout s’enchaîne facilement  : confirmation par une simple mesure sanguine de l’IGF- 1 (insulin-like growth factor 1), l’hormone en aval de l’hormone de croissance, puis réalisation d’une IRM hypophysaire qui montre l’adénome hypophysaire en cause.

Chez le patient, le soulagement induit par le fait que le diagnostic soit enfin posé laisse rapidement la pla­-ce, comme l’exprime Aurélie, à l’inquiétude sur l’avenir, surtout quand le patient découvre la complexité du parcours qui l’attend  : intervention chirurgicale par voie nasale, ne permettant pas toujours d’enlever en totalité l’adénome hypophysaire et de tarir la sécrétion excessive d’hormone de croissance et d’IGF- 1, ce qui justifie alors un traitement médicamenteux injectable au long cours car uniquement suspensif, plus ou moins bien toléré sur le plan digestif, mais indispensable pour stopper les conséquences à long terme de l’excès d’hormone de croissance et, en particulier, pour stabiliser les modifications du visage et éviter l’atteinte cardiaque, les apnées du sommeil, les polypes du côlon...

L’annonce du diagnostic et du plan de soins est un moment crucial qui mérite accompagnement et réassurance, indispensables à l’adhésion ultérieure du patient. Un soutien psychologique avec, en particulier, un travail sur l’image de soi et sur l’isolement social doit pouvoir être proposé.

Encadre

Ne pas être seulement acromégale  !

L’association « Acromégales, pas seulement » s’engage activement dans la poursuite de trois axes stratégiques qui visent à améliorer la prise en charge de l’acromégalie et à soutenir les patients  :

  • amélioration du quotidien des patients en les soutenant et informant  ;
  • sensibilisation des professionnels de santé et du grand public afin de faire connaître l’acromégalie et de réduire les années d’errance diagnostique  ;
  • contribution à l’effort de recherche et participation à l’amélioration des pratiques de soin.

En facilitant l’échange d’expériences entre les patients, l’association contribue à créer une communauté solidaire où les individus peuvent trouver compréhension, empathie et conseils pratiques.

De plus, pour aider au diagnostic, l’association a créé un test rapide appelé Acrotest. Il permet en quelques questions de savoir s’il faut évoquer l’acromégalie avec un professionnel de santé. https ://www.acromegalie-asso.org/acrotest/

Maïté Dubois, présidente de l’association Acromégales, pas seulement

https ://www.acromegalie-asso.org/ 
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