Témoignage de Daniela, 62 ans
Le jeudi 10 juillet 2025, appel aux urgences, un tsunami cérébral me cloue au lit avec vomissements incessants. Depuis le début du mois, j’en suis déjà à huit crises de migraine. Je prends un comprimé de triptan, mais j’essaye de les économiser car le mois n’est pas fini et que je ne peux pas en prendre plus de huit. J’en suis arrivée à ce stade où chaque mois je prie pour que le nombre de migraines ne dépasse pas le maximum de médicaments autorisés. Si cela arrive – ce qui est souvent le cas –, je n’ai d’autre choix que de supporter la douleur, en espérant qu’elle survienne un week-end pour pouvoir me reposer. Parfois, la douleur est telle que je dois appeler les urgences pour m’assurer que cela n’est pas grave.
Je suis migraineuse depuis l’âge de 26 ans. Vivre avec une migraine n’est pas de tout repos : pas de vie normale, rien en dehors de la compagnie de cette amie non désirée. On ne peut rien prévoir, parce qu’on ne sait pas de quoi sera fait le jour suivant. Sera-t-elle là ? Chaque jour sans migraine ou céphalée est un jour merveilleux, où l’on goûte à la sensation d’une vie « normale », sans excès, car la maligne est là qui rôde et nous surveille. Cela devient presque une culpabilité de pouvoir savourer un jour sans. Vivre avec une migraine, c’est le monde qui s’écroule car tout notre corps vit un véritable chamboulement neurologique, entre nausées, vomissements, gêne due au bruit et à la lumière, vertiges, fatigue, manque de concentration, perte de mots (même les plus simples), bouche sèche et pâteuse par manque de salive… Et quand elle disparaît enfin, il faut plusieurs jours pour se remettre de ce chantier corporel.
Oui, vivre avec une migraine, c’est tout cela, parce que les médicaments de fond – je parle bien de médicaments élaborés pour cette maladie – ne sont pas remboursés. J’avoue en avoir assez de servir de cobaye, avec des traitements qui ne sont pas indiqués, à l’origine, pour la migraine : bêtabloquants, antidépresseurs, antiépileptiques. Depuis peu, il existe les fameux anti-CGRP (calcitonine gene-related peptide) qui peuvent soulager de nombreuses personnes malades mais qui ne sont pas remboursés. Soulager la migraine ne devrait pas être un luxe, mais il l’est, car seules les personnes pouvant se payer tous les mois un traitement anti-CGRP (NDLR : coût d’environ 250 € par mois) peuvent être apaisées. Dois-je choisir entre me nourrir, me loger et me soigner ?
Je n’ai pas choisi d’être migraineuse. Il y a parfois des moments où pour ne plus subir la douleur, j’ai envie de ne plus exister, de juste accéder à la tranquillité éternelle.
Commentaire de Sabine Debremaeker, présidente de La voix des migraineux
Dans son témoignage, Daniela décrit un tsunami cérébral. Ce terme est aussi souvent utilisé par les neurologues spécialistes des migraines. En effet, le cerveau du migraineux est hyperexcitable. Toute variation interne ou externe peut jouer le rôle de déclencheur : excès ou manque de sommeil, rythme irrégulier pour les repas, déshydratation, repas trop gras ou trop léger, variations hormonales chez la femme…
La migraine est la maladie neurologique la plus fréquente (elle concerne 21,3 % des Français et 14 % de la population mondiale) et, au vu des nombreux facteurs internes et externes capables de la déclencher, il est possible de distinguer plusieurs types de migraine. Il existe les migraines sans aura (parmi lesquelles il faut distinguer les migraines strictes des migraines probables), les migraines avec aura (présence de symptômes visuels, sensoriels, moteurs, rétiniens ou touchant l’élocution et/ou le langage ou le tronc cérébral) et les migraines chroniques (céphalée présente au moins quinze jours par mois depuis au moins trois mois).
Il existe des traitements de crise qui peuvent arrêter l’escalade. Les recommandations de la Société française d’études des migraines et céphalées (SFEMC) préconisent les antalgiques (aspirine, paracétamol), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et des traitements spécifiques, les triptans. Toutefois, en cas de surconsommation, ils sont susceptibles de favoriser la migraine chronique. En conséquence, leur prise est limitée. Or, avec cette mise en garde, les patients hésitent souvent et ne les prennent pas au bon moment. Pourtant, la SFEMC indique un protocole thérapeutique précoce (moins d’une heure après le début de la céphalée) bien défini, qui consiste en la prise d’AINS si la crise est légère ; il convient d’ajouter un triptan une heure après s’il n’y a pas de soulagement. Dans le cas d’une crise modérée à sévère, il est indiqué de prendre un triptan en première intention et d’ajouter un AINS une heure après en l’absence d’amélioration. Pour une crise migraineuse avec aura, il est recommandé de débuter par un AINS lorsque survient l’aura et d’ajouter le triptan en début de céphalée. Ce protocole est à tester sur trois crises. Enfin, si les crises sont systématiquement récurrentes et/ou sévères (à début nocturne ou cataméniales), les deux molécules peuvent être prises conjointement d’emblée.
À ce traitement précoce de crise peut s’ajouter un traitement de fond, prescrit si certains critères sont respectés : traitement de crise utilisé huit fois ou plus par mois depuis plus de trois mois ; existence d’une migraine sévère définie selon les critères français et d’une migraine chronique selon les critères ICHD- 3 ; un score HIT- 6 de 60 ou plus (https ://bit.ly/3JGVExz) ; existence de crises invalidantes malgré l’optimisation du traitement de crise.
Les résultats d’une enquête (https ://bit.ly/47DaCfV), menée par l’association La voix des migraineux en mai 2022, montrent que, selon les répondants, ces traitements ne fonctionnent qu’une fois sur deux au mieux. Par ailleurs, l’impact fonctionnel de la maladie est majeur : sur 683 répondants, 70 % déclarent plus de vingt et un jours de migraine sur les trois derniers mois.
Les patients savourent chaque jour sans migraine tout en sachant que la crise peut arriver malgré les précautions prises pour éviter les facteurs déclencheurs.
À cette imprévisibilité des crises s’ajoutent de multiples symptômes : l’hypersensibilité sensorielle, les dysfonctionnements cognitifs, l’instabilité émotionnelle. La perte de mots est assez courante, même dans la migraine sans aura, et peut rendre les échanges avec l’entourage plus compliqués. Bien que transitoires, tous ces symptômes peuvent être angoissants. Après un tel bouleversement, le malade peut mettre plusieurs jours à recouvrer pleinement ses capacités.
En France, en 2025, les patients se voient encore trop souvent prescrire des traitements de fond non spécifiques. Entre les effets indésirables et la perte d’efficacité, les patients en testent en moyenne cinq au cours de leur vie. Depuis 2018, de nouveaux traitements spécifiques de la migraine, efficaces en moyenne pour 75 % des malades les plus atteints, sont disponibles : ce sont les anti-CGRP. Ils sont mieux tolérés. La plupart des patients les utilisant déclarent que cela leur a permis de retrouver une vie normale. Et, paradoxalement, bien que 25 pays d’Europe sur 27 les prennent en charge, les autorités françaises continuent d’estimer que les preuves sont insuffisantes. N’étant pas remboursés par l’Assurance maladie, ils sont inaccessibles à un grand nombre de patients très atteints. Cela renforce les risques de perte d’emploi, d’isolement et retentit sur la santé mentale.
Une autre étude sur la qualité de vie des patients migraineux, réalisée en juillet 2025 par l’association, a permis de récolter 1 095 questionnaires, révélant que 68 % des répondants évoquent des idées noires (https ://urls.fr/-d6ERD).
Actions pour le remboursement de tous les antimigraineux
L’association La voix des migraineux mène de nombreuses actions pour soutenir et informer les patients atteints.
Depuis 2019, des démarches pour obtenir le remboursement des anti-CGRP sont en cours. L’association participe aussi à un groupe de travail auprès de la Haute Autorité de santé sur les bonnes pratiques pour la prise en charge des migraines et céphalées, qui sont en cours de rédaction.
Le site internet de l’association propose un contenu très varié et il est mis à jour régulièrement.
Des brochures pédagogiques sont disponibles : « Les traitements de la migraine », « C’est quoi la migraine ? », « C’est quoi la migraine de l’enfant ? ».
Depuis 2020, onze campagnes de presse ont été réalisées, avec de nombreuses retombées (interview, article de presse, reportage en lien avec les actions de l’association…).
Chaque année, en septembre, un Sommet francophone de la migraine est organisé. Il peut être visionné sur YouTube : https ://urls.fr/oXGuBi
Société internationale des céphalées (International Headache Society). https://urls.fr/QsyKFB
Association La voix des migraineux. https://www.lavoixdesmigraineux.fr/
Centre national ressources douleur. https://www.cnrd.fr/