La part des cancers du sein attribuables au surpoids a été jusqu’ici très sous-estimée : c’est la conclusion d’une nouvelle étude menée sur plus de 2 000 femmes en Espagne, ayant utilisé une mesure qui – contrairement à l’IMC – permet d’apprécier l’excès d’adiposité. Ainsi, les chercheurs ont montré que cette dernière est liée à bien plus de cas de cancer du sein que les 10 % estimés par les études précédentes…

Le rôle réel que joue l’obésité dans le risque d’avoir un cancer du sein après la ménopause a probablement été minimisé par l’utilisation de l’IMC comme outil de mesure. En effet, celui-ci ne permet pas de calculer la proportion de graisse corporelle, qui est – davantage que le poids en lui-même – déterminante dans divers mécanismes pathogéniques. Tout récemment, une recommandation de la commission du Lancet sur l’obésité a confirmé cette inadéquation, en changeant les critères diagnostiques de l’obésité pour aller au-delà de l’IMC et inclure l’excès d’adiposité, avec des implications majeures pour la prise en charge.

Aujourd’hui, une étude parue dans le Journal of Epidemiology and Community Health semble confirmer que ces critères plus précis permettent effectivement de mieux comprendre le retentissement réel de l’obésité dans le développement d’autres pathologies, en l’occurrence le cancer du sein. Des chercheurs espagnols ont comparé, dans une cohorte nationale de plus de 2 000 femmes, la part de cancers du sein qui peuvent être attribués à l’obésité lorsque cette dernière est mesurée seulement grâce à l’IMC ou lorsque la mesure inclut l’adiposité – avec des résultats édifiants.

La part de cas attribuables à l’obésité varie du simple au double lorsqu’on inclut l’adiposité

Cette étude cas-témoins a inclus 1 033 femmes ménopausées atteintes de cancer du sein et 1 143 témoins (femmes sans cancer appariées sur l’âge et la région géographique). Les participantes étaient issues de l’étude de cohorte nationale MCC-Spain conduite entre 2008 et 2013, qui visait à évaluer les facteurs environnementaux et génétiques associés à divers cancers chez les personnes âgées de 20 à 85 ans.

Le score CUN-BAE (Clínica Universidad de Navarra-Body Adiposity Estimator) a été utilisé pour classer les participantes selon leur niveau de graisse corporelle, en plus de la catégorisation classique fondée sur l’IMC. Le CUN-BAE est un outil validé de la mesure de l’adiposité qui tient compte du sexe et de l’âge en plus de l’IMC, alors que l’IMC seul conduit souvent à sous-estimer l’adiposité particulièrement chez les femmes âgées puisqu’il n’intègre pas ces variables. Quatre catégories étaient ainsi utilisées dans l’étude, correspondant au pourcentage estimé de graisse corporelle de la patiente : < 35 % ; 35 % à 39,9 % ; 40 % à 44,9 % et ≥ 45 %. Les catégories d’IMC étaient : < 25 ; 25 à 29,9 ; 30 à 34,9 et ≥ 35.

Dans le groupe cancer du sein, un quart des femmes correspondaient à la définition classique d’obésité (IMC > 30), contre une sur cinq des témoins. Un niveau de graisse corporelle de 40 % ou plus a été observé chez respectivement 53 % et 46 % des femmes. Pour calculer les odds ratio de cancer du sein selon les niveaux de surpoids et obésité incluant ou non l’adiposité, les chercheurs ont pris pour référence, d’une part, un IMC < 25 (qui concernait 37 % des femmes dans le groupe cancer du sein et 45 % du groupe témoin) et, d’autre part, un CUN-BAE < 35 % (respectivement 16 % et 21 % des femmes).

Résultat : un pourcentage de graisse corporelle ≥ 40 % était associé à un risque plus que doublé d’avoir un cancer du sein en postménopause, par rapport à un CUN-BAE inférieur à 35 % (OR = 2,05 ; IC95 % : 1,54 à 2,72 ; et OR = 2,13 pour les CUN-BAE ≥ 45 %). En revanche, en prenant seulement l’IMC comme mesure de l’obésité, ce sur-risque était estimé à environ 60 % (OR = 1,68 ; IC95 % : 1,54 à 2,93 ; et OR = 1,6 pour l’IMC ≥ 35). Ces résultats étaient ajustés pour l’âge et divers facteurs de risque de cancer du sein (âge de la ménarche, parité et allaitement, utilisation précédente de contraception hormonale orale, alcoolo-tabagisme…).

Fondés sur ces résultats, les chercheurs ont estimé que, dans cette cohorte, 23 % des cas de cancer du sein seraient attribuables à l’obésité en mesurant seulement avec l’IMC, alors qu’en intégrant la mesure de l’adiposité, cette proportion grimpait à 38 %. Ces résultats n’étaient valables que pour les cancers hormonodépendants.

C’est une estimation bien supérieure à celle d’études précédentes qui utilisaient seulement l’IMC, selon lesquelles le surpoids-obésité serait responsable d’un cancer du sein sur dix. Alors que l’augmentation de l’incidence de nombreux cancers chez les femmes – dont celui du sein – motive des hypothèses sur la responsabilité de facteurs environnementaux parfois difficiles à évaluer (pesticides, édulcorants, etc.), cette étude suggère que l’explication pourrait résider en partie dans une sous-estimation historique du rôle de l’obésité…

Si les résultats de cette étude cas-témoins ne permettent pas d’établir une relation de causalité, ils soulignent que d’autres études sont nécessaires pour connaître le poids réel de ce facteur de risque dans le développement du cancer du sein et mettre en place une prévention adaptée.

Pour en savoir plus
Cubelos-Fernández N, Dávila-Batista V, Fernández-Villa T, et al. Burden of postmenopausal breast cancer attributable to excess body weight: comparative study of body mass index and CUN-BAE in MCC-Spain study.  J Epidemiol Community Health 2025;79:64-71.
Around 40% of postmenopausal hormone positive breast cancers linked to excess body fat.  J Epidemiol Community Health 15 octobre 2024.

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