L’incidence des cancers de l’oropharynx induits par HPV augmente en Europe. Les facteurs de risque, les signes évocateurs et le pronostic diffèrent de ceux des cancers non HPV. Quand suspecter le diagnostic ? Comment bien mener l’examen clinique ? Quelle prise en charge ?

Nouvelle adénopathie cervicale au-delà de 40 ans : suspecter un cancer

Le carcinome épidermoïde de l’oropharynx induit par HPV (CIH) est un cancer des voies aérodigestives supérieures qui affecte l’oropharynx, notamment les amygdales palatines ou linguales (base de la langue). Contrairement à celui non induit par HPV (CNI), il est causé par une infection par un papillomavirus humain (HPV) – très souvent, il s’agit d’un HPV à haut risque oncogène de type 16 (HPV 16). De par son étiologie virale, le CIH a des manifestations cliniques et une population à risque qui diffèrent du CNI. Face à l’augmentation de son incidence au Royaume-Uni, portée par la hausse de la prévalence des infections oropharyngées à HPV, des médecins britanniques ont écrit une synthèse sur la conduite à tenir en cas de suspicion de CIH. Elle est parue le 9 octobre 2025 dans le BMJ

Épidémiologie et évolution

La prévalence des infections oropharyngées à HPV est d’environ 4 % chez les femmes et de 10 % chez les hommes. Plus de 90 % d’entre elles sont transmises sexuellement. Si 85 % de ces infections sont éliminées par le système immunitaire dans l’année, dans une minorité des cas (< 10 %), l’infection persiste et peut induire un cancer après plusieurs années s’il s’agit d’un HPV à haut risque oncogène. En France, en 2018, il y avait environ 5 000 nouveaux cas de carcinome épidermoïde de l'oropharynx (¾ hommes, ¼ femmes). Les CIH et CNI n’ont pas les mêmes causes biologiques et diffèrent étiologiquement. Leur pronostic dépend du type, déterminé au labo par la présence (ou non) d’ADN de HPV et par la surexpression intratumorale (ou non) de la protéine humaine p16 – un biomarqueur indirect de l’activité oncogène d’un HPV à haut risque, dont le statut détermine la classification TNM et la prise en charge.

Selon une étude multicentrique de 2023, la survie à 5 ans après un diagnostic de carcinome épidermoïde de l'oropharynx induit par HPV (HPV+/p16 +) est de 81 % (IC 95 % = [79,5 - 82,7 %]). Elle est meilleure que celle liée aux cancers non induits par HPV (HPV-/p16 -), quant à elle estimée à 40,4 % (38,6 - 42,4 %).

Profil des patients

En France, 30 à 35 % des carcinomes épidermoïdes de l'oropharynx sont induits par un HPV. Cette proportion varie beaucoup selon les régions du globe et les études, de 10 - 20 % en Asie à 60 - 80 % en Amérique du Nord et en Europe du Nord. Ces tumeurs touchent une population majoritairement masculine (sex-ratio de 4). Les patients ont souvent des consommations de tabac et d'alcool faibles voire nulles, ils tendent à être plus jeunes (40 - 60 ans, surtout < 65 ans), de préférence à peau blanche, en meilleure condition physique et de statut socioéconomique plus élevé par rapport aux patients souffrant de cancer non induit par HPV.

Par contraste, ces derniers ont souvent 60 - 70 ans au diagnostic, de nombreuses comorbidités et sont consommateurs d’alcool et/ou de tabac.

Les patients avec CIH rapportent plus souvent des relations sexuelles orales et des antécédents de maladies sexuellement transmissibles, ainsi qu’un plus grand nombre de partenaires sexuels. Les patients ayant eu > 26 partenaires sexuels vaginaux et > 6 partenaires sexuels orauxont un surrisque de CIH.

Signes évocateurs

Les signes évocateurs à rechercher en consultation sont résumés dans le tableau. En cas de persistance d’un ou plusieurs de ces symptômes plus de 3 semaines, une consultation avec un spécialiste ORL doit être programmée. À noter, l’absence de symptômes infectieux concomitants augmente la suspicion. Pour plus de sûreté dans la pertinence d’adresser à un spécialiste, un outil en ligne dédié aux MG calcule un score de risque de cancer des voies aérodigestives supérieures et suggère ou non l’adressage au spécialiste, sur la base d’une étude britannique de 2015.

L’adénopathie cervicaleest le symptôme le plus notable : elle concerne ⅔ des patients atteints. Elle est souvent importante et non douloureuse, pouvant évoquer un kyste bénin, mais correspond à une métastase ganglionnaire précoce. Une nouvelle massekystique cervicale dans la partie supérieure de la région cervicale antérieure chez un adulte de plus de 40 ansdoit être considérée comme une métastase ganglionnaire jusqu’à preuve du contraire.

La tumeur primitive est en général de plus petite taille que l’atteinte ganglionnaire, paucisymtomatique, localisée sous la muqueuse des amygdales palatines (dans 58 % des cas) ou linguales (37 %). Elle n’est pas forcément visible et son repérage peut nécessiter une palpation de la base de la langue : la réalisation de l’examen buccal est détaillée en encadré.

En comparaison, dans les cancers non induits par HPV, les patients rapportent plutôt une dysphagie et un mal de gorge persistant. Le CNI se distingue par une tumeur primitive souvent plus volumineuse que l’atteinte ganglionnaire, moins localisée et plus encline à envahir les muscles adjacents, entraînant des symptômes plus prononcés : douleur, dysphagie, trismus.

Examens complémentaires

L’ORL peut réaliser une endoscopie des voies aériennes et digestives supérieures, qui apporte une meilleure résolution pour examiner ces structures. Le diagnostic repose sur une cytoponction ou une biopsie, réalisée sous anesthésie générale ou locale. Ces mêmes examens peuvent être réalisés pour confirmer la présence d’une métastase ganglionnaire (spécificité de 93 %).

Aujourd'hui, la recherche de la surexpression de p16 est utilisée en première intention pour dépister un CEOP induit par HPV, associée à la recherche d'un HPV à haut risque, notamment le HPV 16. Ces tests sont réalisés en laboratoire, respectivement par immunohistochimie et par test PCR. La biopsie liquide se développe, montrant des résultats encourageant dans le diagnostic et la surveillance des CIH.

La classification TNM diffère selon le statut p16. Elle nécessite une IRM cervicale et ORL, qui donne une meilleure résolution des tissus mous, ainsi qu’un scanner cervicothoracique. Histologiquement, le CIH est surtout non kératinisant, alors que le CNI est plutôt kératinisant : il s’agit d’un autre élément qui, associé au statut p16 +, penche pour une tumeur induite par HPV.

Prise en charge

Les traitements disponibles sont les mêmes que le cancer soit induit ou non par HPV, malgré des pronostics bien meilleurs dans le CIH. Toutefois, des recos américaines approuvées par la Société européenne pour la radiothérapie et l’oncologie (ESTRO) dédiées à la prise en charge des CIH sont parues en 2024. Le traitement de 1re ligne est la chirurgie (suivie éventuellement d’une radiothérapie ou d’une radiochimiothérapie), la radiothérapie externe seule ou une radiochimiothérapie, selon la région buccale concernée et la classification TNM.

Prévention

Les auteurs du BMJ rapportent que l’incidence des cancers de l’oropharynxinduits par HPV devrait augmenter dans les 20 - 30 ans à venir, le temps que les bénéfices de la vaccination HPV universelle deviennent visibles. Tout comme pour les cancers du col de l’utérus, ces cancers peuvent être prévenus par une vaccination HPV. Pour rappel en France, cette dernière est proposée en collège aux 11 - 14 ans depuis la rentrée scolaire 2023 - 2024.

Encadre

Les étapes et points clés à connaître lors de l’examen clinique

Examen de la cavité orale :

  • évaluer systématiquement 8 sites de la cavité orale à la recherche de lésions précancéreuses et cancéreuses : palais osseux, face interne des lèvres, muqueuse buccale, fosse rétromolaire, plancher de la bouche, processus alvéolaires du maxillaire et de la mandibule, les ⅔ antérieurs de la face ventrale de la langue, avec une attention particulière aux bords latéraux de la langue ;
  • des lésions buccales blanches ou rouges peuvent être un signe d’atteintes potentiellement précancéreuses comme la leucoplasie, la leucoplasie verruqueuse proliférative, l’érythroplasie ou le lichen plan.

Examen de l’oropharynx :

  • inclure les amygdales, les piliers antérieurs et postérieurs du voile du palais, le voile du palais et la paroi postérieure du pharynx ;
  • évaluer la présence de masses, d’ulcérations, d’asymétries et de changements de couleur ;
  • les signes d’inflammation ou d’exsudat compatibles avec une amygdalite aiguë doivent faire l’objet d’une évaluation spécifique.

Palpation des amygdales palatines et de la base de la langue (à réaliser en l’absence d’autre explication claire des symptômes) :

  • expliquer la technique au patient. Elle est généralement bien tolérée, provoquant un léger inconfort ou des haut-le-cœur passagers. Les vomissements sont rares. Un spray topique à base de lidocaïne peut être utilisé pour améliorer le confort ;
  • avec le patient en position verticale, utilisez votre index ganté pour balayer doucement 2 ou 3 fois la base de la langue d’un côté à l’autre, en commençant juste derrière les papilles circumvallées. Les amygdales palatines peuvent être palpées doucement de haut en bas ;
  • la base de la langue est normalement lisse et souple. Des zones d’induration ou des nodules discrets peuvent indiquer une tumeur maligne sous la muqueuse.

Examen du cou :

  • exposer le cou jusqu’à la clavicule, examiner par derrière avec le cou légèrement fléchi pour détendre les muscles cervicaux ;
  • palper tous les ganglions lymphatiques cervicaux, y compris ceux situés dans le triangle antérieur, le triangle postérieur, les régions parotidienne, préauriculaire et postauriculaire ;
  • les métastases ganglionnaires typiques sont indolores et dures, avec une dimension horizontale supérieure ou égale à leur dimension verticale. Le cancer induit par HPV métastase le plus souvent dans le groupe ganglionnaire à l’avant de la partie supérieure du muscle sternocléidomastoïdien, au-dessus du niveau de l’os hyoïde dans la région cervicale antérieure.

D’après : McKenna et al.

Références
McKenna D, Mayne R, Carson C, et al. HPV positive oropharyngeal cancer.  BMJ 2025;391:e086142.
NEON – SFORL. Référentiel national sur le carcinome épidermoïde de l’oropharynx. 20 juin 2023.
Badoual C, Adimi Y, Martin J, et al. Les cancers des voies aérodigestives supérieures induits par une infection par Papillomavirus humain : spécificités épidémiologiques, diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques.  Bull Acad Natl Med 2023;207(3):295-302.
Orlhealth. Calculateur du risque de cancer des voies aérodigestives supérieures et de l’intérêt du MG à référer à un spécialiste.
Pour en savoir plus :
Le Clerc N. Épidémiologie et facteurs de risque des cancers des voies aérodigestives supérieures.  Rev Prat 2022;72(10):1076-7.
Péré H, Pavie J, Bats AS, et al. HPV et cancers : où en est-on ?  Rev Prat Med Gen 2019;33(1021):374-6.
Badoual C. HPV et cancers : parlons prévention.  Rev Prat 2023;73(8):829-30.
Martin Agudelo L. La vaccination HPV efficace contre la kératose actinique.  Rev Prat (en ligne) 14 mars 2025.
Fanchette J, Halimi C. Stratégies thérapeutiques dans les cancers des voies aérodigestives supérieures.  Rev Prat 2022;72(10):1086-91.
Nobile C. Dépistage du cancer du col chez les immunodéprimées : nouvelles recos.  Rev Prat (en ligne) 20 octobre 2025.
Péré H, Pavie J, Bats AS, et al. HPV et cancers : où en est-on ?  Rev Prat Med Gen 2019;33(1021):374-6. 

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