Aliments issus de la transformation d’ingrédients industriels bon marché par toute une série de processus physiques, chimiques ou biologiques, les aliments ultratransformés ou AUT (définition précise et exemples dans le tableau ci-joint) représentent environ 35 % des apports caloriques en France et jusqu’à 60 % aux États-Unis. Ils appartiennent au groupe 4 de la classification NOVA (cf. tableau), qui classifie les aliments selon leur degré de transformation. De plus en plus présents dans nos assiettes depuis les années 1980, ces produits de l’industrie agroalimentaire remplissent les rayons des supermarchés.
Pourtant, leur impact néfaste sur la santé est toujours plus étayé, tandis que se pose la question de réguler cette industrie opaque et de limiter la consommation d’AUT, soupçonnée de catalyser l’essor mondial de plusieurs maladies chroniques (obésité, diabète de type 2, MICI, etc.). Face à ces urgences, 43 experts mondiaux des AUT ont réalisé un travail d’ampleur, paru le 18 novembre 2025 dans le Lancet sous la forme d’une série de 3 articles. Qu’en retenir ?
Une alimentation nuisible
La première étude de la série, dédiée à l’évaluation des effets des AUT sur la santé humaine, est cosignée par Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm dont l’équipe a développé le Nutri-Score et se trouve à la pointe de la recherche sur le sujet. Elle a combiné revue narrative, revue systématique et méta-analyses de la littérature pour aboutir à 3 conclusions concernant l’alimentation riche en AUT :
- à l’échelle mondiale, elle remplace les régimes traditionnels antérieurs, centrés sur des aliments peu ou pas transformés, ainsi que leur préparation culinaire ;
- elle détériore la qualité de l’alimentation, car elle est associée à d’importants déséquilibres nutritionnels (excès de sucres et de mauvaises graisses, manque de fibres et de protéines), à une surconsommation alimentaire (liée à une forte densité énergétique et une haute palatabilité) et à une absorption accrue de substances toxiques, d’additifs potentiellement néfastes et de perturbateurs endocriniens ;
- elle augmente le risque de développer plusieurs maladies chroniques liées à l’alimentation par divers mécanismes.
Ce dernier point a fait l’objet d’une revue systématique de la littérature scientifique spécifique portant sur 104 études à long terme, dont 92 ont rapporté une incidence plus élevée d’une ou plusieurs maladies chroniques associée à la consommation d’AUT, avec des associations significatives observées pour 12 pathologies : l’obésité et le surpoids, le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, la dépression, l’hypertension, les dyslipidémies, la maladie coronaire, l’insuffisance rénale chronique, les maladies neurovasculaires, la maladie de Crohn, et la mortalité prématurée toutes causes confondues.
Des solutions proposées
La deuxième étude de la série était consacrée à proposer des politiques de santé publique pour stopper la progression des AUT en agissant sur leur production, leur commercialisation et leur consommation, afin de responsabiliser les industriels quant à leur rôle dans la promotion de l’alimentation ultratransformée. L’article explique comment l’amélioration de l’alimentation à l’échelle mondiale nécessite des nouvelles politiques spécifiques pour réduire la teneur en graisses saturées, en sel et en sucres ajoutés des aliments, comme le résume un communiqué de presse de l’Inserm.
Les auteurs proposent en outre des restrictions commerciales plus strictes en particulier pour les publicités destinées aux enfants, dans les médias numériques et au niveau des marques, ainsi que l’interdiction des AUT dans les institutions publiques (écoles, hôpitaux, etc.), et la limitation de leur vente et de leur espace dans les supermarchés.
S’il est surtout question de transformer en profondeur l’industrie derrière les AUT, des mesures doivent aussi être mises en place au niveau des consommateurs (étiquetage, éducation, recommandations). Ainsi, une version évoluée du Nutri-Score intégrant la dimension d’ultratransformation sous la forme d’un bandeau noir entourant le Nutri-Score a déjà été proposée par l’équipe de Mathilde Touvier.
Identifier les freins
La troisième étude de la série s’est penchée sur les raisons de l’inaction globale face aux AUT, malgré leurs effets néfastes toujours plus établis. Elle a identifié deux principaux freins au développement de politiques de santé publique contre les AUT. Premièrement, l’industrie agroalimentaire des AUT est très profitable (1 900 milliards de dollars/an, soit le secteur alimentaire le plus rentable), ce qui nourrit l’essor des grandes multinationales impliquées qui poursuivent dans cette direction commerciale.
Deuxièmement, les activités de lobbying de ces industriels sont particulièrement actives pour éviter la mise en place de réglementations, orienter la recherche scientifique et influencer l’opinion publique malgré les connaissances sur les impacts sanitaires.
Face à ces difficultés, les scientifiques suggèrent des stratégies pour contourner ces obstacles (redistribuer les ressources de l’agro-industrie des AUT, protéger la gouvernance alimentaire de l’ingérence de ces entreprises, mettre en place une politique stricte anti-conflits d’intérêts dans la recherche et l’élaboration de politiques sur les AUT, etc.).
Enfin, ils appellent à une réponse coordonnée ambitieuse en matière de santé publique à l’échelle mondiale, afin de « mettre en place des systèmes alimentaires qui accordent la priorité à la santé et au bien-être des populations ».
Monteiro CA, Louzada MLC, Steele-Martinez E, et al. Ultra-processed foods and human health: the main thesis and the evidence. Lancet 18 novembre 2025.
Scrinis G, Popkin BM, Corvalan C, et al. Policies to halt and reverse the rise in ultra-processed food production, marketing, and consumption. Lancet 18 novembre 2025.
Baker P, Slater S, White M, et al. Towards unified global action on ultra-processed foods: understanding commercial determinants, countering corporate power, and mobilising a public health response. Lancet 18 novembre 2025.
Srour B, Chazelas É, Touvier M. Aliments ultra-transformés : de la recherche aux recommandations. Rev Prat 2021;71(10):1107-12.
Srour B, Hercberg S, Galan P, et al. Effect of a new graphically modified Nutri-Score on the objective understanding of foods’ nutrient profile and ultraprocessing: a randomised controlled trial. BMJ Nutr Prev Health 2023;6(1):108-18.
Pour en savoir plus :
Mallordy F. Alimentation végétale : l’ultratransformation sabote les bienfaits. Rev Prat (en ligne) 10 octobre 2025.
Martin Agudelo L. Les aliments ultratransformés en cause dans les allergies pédiatriques. Rev Prat (en ligne) 5 décembre 2024.
Martin Agudelo L. Les aliments ultratransformés favorisent la démence. Rev Prat (en ligne) 3 mars 2023.