Des données lacunaires
À la suite des résultats de l’essai SPRINT (9 361 participants), certaines recommandations de sociétés savantes préconisent un objectif de pression artérielle (PA) systolique inférieur à 130 mmHg chez les hypertendus, y compris les diabétiques de type 2, mais une controverse persiste car les essais randomisés démontrant un bénéfice des objectifs intensifs de PA en cas de diabète font défaut.
Dans l’essai ACCORD BP – comparant un traitement intensif visant une PA systolique < 120 mmHg à un traitement standard ciblant une PA < 140 mmHg et des objectifs glycémiques intensifs et standards chez 4 733 diabétiques, aucune différence significative n’a été retrouvée dans l’incidence des événements CV (infarctus du myocarde non mortel, AVC non mortel ou décès d’origine CV). Bien que le risque d’AVC ait été plus faible avec le traitement intensif, l’incidence des effets indésirables – hypotension, syncope, bradycardie, arythmie, hypokaliémie et insuffisance rénale – était plus élevée dans le groupe de traitement intensif. D’où la notion qu’un contrôle intensif de la PA n’apportait aucun bénéfice et était potentiellement nuisible aux patients diabétiques.
Cependant, dans un autre essai (STEP), incluant 8 511 participants, dont 19 % atteints de diabète de type 2, un objectif de PAS < 130 mmHg a réduit de 26 % l’incidence des événements CV ou des décès par rapport à un objectif < 150 mmHg.
Une nouvelle étude chinoise
Une étude parue dans le NEJM en mars 2025 pourrait changer la donne : il s’agit des résultats de l’essai BPROAD, dans lequel un traitement intensif a été comparé à un traitement standard avec des objectifs de PAS < 120 mmHg et < 140 mmHg respectivement, chez des patients diabétiques. Cet essai a recruté 12 821 patients dans 145 sites en Chine. Les patients éligibles étaient âgés de 50 ans ou plus, atteints de diabète et d’HTA et avaient un risque CV accru (antécédents cardiaques, maladie CV subclinique comme l’albuminurie, au moins deux facteurs de risque comme le tabagisme ou l’obésité, ou une maladie rénale chronique avec un DFG estimé de 30 à 59 mL/min/1,73 m²).
L’essai a suivi des protocoles similaires à ceux de SPRINT pour mesurer la PA en clinique, en utilisant l’automesure, et ce pendant la pandémie de Covid. Les algorithmes de traitement recommandaient l’utilisation de diurétiques thiazidiques, de bloqueurs des canaux calciques et d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone.
Comparés à ceux de SPRINT, les patients de BPROAD étaient légèrement plus jeunes (âge moyen : 64 vs 68 ans), plus souvent fumeurs (25 % vs 13 %) et avaient un DFG moyen plus élevé (89 vs 72 mL/min/1,73 m²), bien que la PAS de départ ait été similaire (environ 140 mmHg). Après un an, la PAS moyenne était de 121,6 mmHg dans le groupe de traitement intensif contre 133,2 mmHg dans le groupe standard, avec respectivement une moyenne de 2,1 et 1,5 médicaments utilisés ; 60 % des patients sous traitement intensif avaient atteint la cible.
Sur une durée de suivi médiane de 4,2 ans, le risque d’événement primaire composite (taux d’infarctus du myocarde, AVC, insuffisance cardiaque et décès d’origine CV) était plus faible avec un contrôle intensif de la PA qu’avec un contrôle standard (RR : 0,79 ; IC à 95 % : 0,69 à 0,90). Ce bénéfice était observé dans presque tous les sous-groupes, y compris ceux stratifiés en fonction de la durée du diabète et du taux d’hémoglobine glyquée au départ, bien que le nombre de participants âgés de 80 ans ou plus ait été limité. Cependant, la différence tensionnelle observée n’a pas eu d’effets ni sur la mortalité globale ni sur les complications rénales.
Concernant les effets indésirables, il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes à l’exception d’une augmentation (faible) de l’hypotension symptomatique et de l’hyperkaliémie dans le groupe intensif.
Plaidoyer pour un traitement intensif ?
Ces résultats plaident pour l’utilisation d’objectifs de traitement intensifs de la PA chez les diabétiques, mais certaines limites de l’étude méritent d’être soulignées.
Premier point qui interroge : la proportion de patients ayant eu des effets indésirables est significativement plus faible par rapport à l’essai SPRINT. Par exemple, l’hypotension est survenue chez environ 0,1 % des patients contre 2,7 %, et les chutes chez 1 % contre 7 %. Contrairement à SPRINT, il n’y a aucune augmentation de l’incidence des événements rénaux indésirables avec un objectif de PA intensif. Parmi les explications possibles : l’âge plus jeune et le DFG plus élevé des participants et/ou une possible sous-détection de la dysfonction rénale en raison du nombre réduit de tests sanguins pendant la pandémie de Covid.
De plus, l’augmentation de l’hypotension symptomatique et de l’hyperkaliémie dans le groupe intensif incite à la prudence : c’est un aspect à prendre en compte dans la balance bénéfices-risques.
Enfin, dans cette étude chinoise les patients hypertendus diabétiques inclus (dont on sait qu’il est particulièrement difficile de contrôler la PAS) atteignent les objectifs de l’essai très aisément (la PAS moyenne est de 121,6 à un an) : on est bien loin des chiffres du contrôle tensionnel observés dans la vraie vie en France…
Difficile donc d’extrapoler ces résultats à notre pays, même si les dernières recos européennes vont dans ce sens. À quand une étude dédiée en Europe ?
Nobile C. HTA : recos européennes 2024. Rev Prat (en ligne) 19 septembre 2024.
Mion B, Malka N, Kantor B, et al. Hypertension artérielle : quels seuils et cibles tensionnels ? Rev Prat Med Gen 2024;38(1083);37-40.