L’hypertension artérielle (HTA) est la maladie cardiovasculaire la plus fréquente, touchant 17 millions de personnes en France, d’après Santé publique France (dont 6 millions qui n’en ont pas conscience). Pour prendre en charge et suivre cette maladie – ou à défaut exclure le diagnostic d’HTA –, il est particulièrement important de disposer de mesures fiables de la pression artérielle (PA), ce qui constitue un défi en soi. Les recommandations européennes actuelles préconisent déjà d’utiliser pour le diagnostic des mesures de PA prises hors du cabinet (mesure ambulatoire de la pression artérielle [MAPA] ou automesure tensionnelle [AMT]), car elles permettent de détecter l’HTA « blouse blanche » (PA élevée en consultation, mais normale à domicile) et l’HTA masquée (PA normale en consultation, mais élevée à domicile).
Dans ce cadre, un autre mode de mesure existe : la mesure automatique de la PA sans surveillance en cabinet (ou AOBPM, son sigle anglais), réalisée dans une pièce isolée ou en salle d’attente. Si cette technique vise à limiter l’effet « blouse blanche » et pourrait se substituer partiellement à la MAPA, plus lourde à déployer, son utilisation dans une pièce isolée pose problème et reste peu développée, car elle nécessite l’espace nécessaire au cabinet. C’est pourquoi des chercheurs espagnols et portugais ont cherché à déterminer si l’AOBPM en salle d’attente, plus pratique mais moins étudiée, était aussi efficace que l’AOBPM en pièce isolée pour diagnostiquer l’HTA, tout en les comparant à la mesure standard de PA par le praticien.
Trois méthodes comparées
Pour ce faire, les auteurs ont mené une étude observationnelle multicentrique dans 14 hôpitaux espagnols et portugais entre août 2021 et décembre 2023. La mesures de PA par le praticien et l’AOBPM ont été réalisées avec le même matériel, un tensiomètre électronique automatique appartenant à la liste des tensiomètres validés par l’organisation scientifique Stride BP, affiliée à la Société européenne d’hypertension artérielle (ESH). Pour l’AOBPM en salle d’attente, les chercheurs ont utilisé un autre tensiomètre électronique automatique, en cours de développement en Europe, qui est entièrement contrôlable à distance par bluetooth ou wifi via une application de smartphone.
Les patients inclus ont été choisis parmi des individus référés pour une MAPA en service spécialisé dans l’hypertension. Ils devaient avoir entre 18 et 85 ans. Les critères d’exclusion comportaient une histoire de fibrillation atriale ou d’arythmies ventriculaires, l’impossibilité de faire une MAPA, une valvulopathie ou des troubles psychiatriques sévères. Après leur entrée dans le service, le renseignement de leurs antécédents médicaux et leur signature du consentement à l’étude, les participants ont reçu 3 mesures de PA : mesure standard de la PA par un praticien en consultation, AOBPM en pièce isolée (3 lectures de 3 minutes), AOBPM dans une partie calme de la salle d’attente (4 mesures de 5 minutes). Ensuite, les patients ont été équipés pour une MAPA, réalisée dans leur quotidien sur 24 h (lecture toutes les 20 minutes le jour, et toutes les 30 minutes lanuit). En accord avec les recos européennes, les seuils de PA normale (avec HTA au-delà) étaient :
- PA systolique < 140 mmHg et PA diastolique < 90 mmHg en mesure standard par le praticien en consultation ;
- PA systolique < 135 mmHg et PA diastolique < 85 mmHg dans la MAPA et l’AOBPM en pièce isolée ;
- PA systolique < 140 mmHg et PA diastolique < 85 mmHg dans l’AOBPM en salle d’attente (seuil choisi empiriquement en fonction du dispositif utilisé dans l’étude).
L’AOBPM plus proche de la MAPA
Les résultats de la comparaison entre ces différentes mesures de la PA sont parus le 14 octobre 2025 dans le Journal of the American Heart Association. La MAPA a été prise comme référence pour déterminer qui souffrait ou non d’HTA. Sur les 548 participants recrutés (âge moyen ± écart-type = 61 ± 14 ans ; 48 % de femmes), 349 (64 %) avaient une HTA connue, tandis que les autres venaient passer une MAPA pour suspicion d’HTA. La MAPA a permis de déterminer que 125 personnes souffraient d’HTA « blouse blanche » (soit 23 %), tandis que 84 avaient une HTA masquée (15 %).
L’AOBPM en salle d’attente ou en pièce isolée ont toutes les deux déterminé la présence ou non d’HTA avec une précision comparable (73 % de diagnostics identiques à la MAPA pour la première, IC 95 % = [69 %- 76 %] ; 75 % pour la deuxième, IC 95 % = [72 %- 79 %]), et mieux que la mesure standard de PA par le praticien en consultation (62 %, IC 95 % = [57 %- 65 %]). Enfin, la précision à diagnostiquer l’HTA « blouse blanche » par rapport à la MAPA était meilleure dans l’AOBPM en salle d’attente, tandis que l’AOBPM en pièce isolée permettait de mieux repérer l’HTA masquée.
En conclusion, pour les auteurs, l’AOBPM en salle d’attente est équivalente à l’AOBPM en pièce isolée pour évaluer la présence d’HTA, et ces deux méthodes sont supérieures à la mesure standard en consultation. Pour eux, l’AOBPM pourrait se substituer à la mesure de PA en consultation pour le diagnostic d’HTA et le suivi des patients. Des essais de plus grande envergure sont nécessaires pour confirmer ces résultats et pour déterminer si l’AOBPM en salle d’attente est suffisamment précise pour limiter le recours à la MAPA.
Pour en savoir plus :
Martin Agudelo L. Traiter l’HTA « blouse blanche » ? Rev Prat (en ligne) 8 juin 2022.
Pariente B, Lorthioir A. Hypertension artérielle résistante. Rev Prat Med Gen 2023;37(1075):117-22.
Mion B, Malka N, Kantor B, et al. Hypertension artérielle : quels seuils et cibles tensionnels ? Rev Prat Med Gen 2024;38(1083):37-40.
Mallordy F. La mesure de la PA varie-t-elle vraiment en fonction de la position du bras ? Rev Prat (en ligne) 12 décembre 2024.
Martin Agudelo L. Appareils de mesure de la PA sans brassard : les recos des cardiologues. Rev Prat (en ligne) 26 janvier 2024.
Denolle T. Automesure tensionnelle. Rev Prat Med Gen 2022;36(1067):234-6.
Postel-Vinay N. Gestion de l’hypertension artérielle à distance à l’aide d’un programme numérique : utopie ou réalité ? Rev Prat 2024;74(10):1117-20.