La coccygodynie est un syndrome assez simple à définir : il s’agit d’une douleur du coccyx majorée par la position assise et/ou au relever.1
Anatomie et innervation du coccyx
Le coccyx est un mot grec qui signifie « bec de coucou ». Le terme singulier « coccyx » laisse entendre qu’il s’agit d’un seul os, or il se compose en réalité de trois à cinq corps vertébraux distincts.
Le coccyx est le reliquat de la queue des primates qui a régressé au cours de l’évolution. Sa taille, le nombre de vertèbres coccygiennes (d’une à cinq), sa forme (droit, en hameçon…) sont variables et non systématiquement pathologiques.
Tout comme le reste du rachis, les vertèbres coccygiennes ont une innervation mixte : la zone dorsale et les téguments qui la recouvrent dans la partie crâniale du pli interfessier sont innervés par des nerfs mixtes (nerfs de Trolard, branches sacrales caudales), et la zone ventrale, véritable complexe discocorporéal, par le système végétatif médié par le ganglion impar.
Des muscles s’insèrent sur les faces latéro-antérieures du coccyx : muscle élévateur de l’anus, muscle iliococcygien, muscle coccygien et muscle pubococcygien . Le grand fessier s’insère au niveau postéro-latéral du coccyx. Les ligaments sacro-coccygiens antérieur et postérieur, des ligaments longitudinaux antérieur et postérieur, s’attachent également au coccyx ainsi que les ligaments sacro-tubérositaires et sacro-épineux. Par ailleurs, le coccyx est également relié au raphé anococcygien (qui s’étend de l’anus au coccyx distal, maintenant l’anus dans sa position au sein du plancher pelvien).
Pour finir, la face antérieure du coccyx est en rapport direct avec le ganglion impar (dernier ganglion de la chaîne sympathique prévertébrale responsable de la sensibilité végétative du périnée et de la motricité involontaire : sphincter interne).
Causes de coccygodynies
Les traumatismes verticaux directs, les microtraumatismes répétitifs et les accouchements sont des causes courantes de douleurs du coccyx.
Les conséquences d’un traumatisme vertical direct au niveau du coccyx peuvent varier de la contusion à la fracture-dislocation du coccyx. Une atteinte traumatique ou non des ligaments coccygiens peut entraîner une instabilité dynamique du coccyx (mouvement excessif du coccyx lors de la mise en charge, en position assise). Les coccyx anormalement mobiles peuvent être soit hypermobiles (en raison de la laxité des ligaments), soit hypomobiles (rigides). Le coccyx peut être subluxé antérieurement ou postérieurement, instable ou même luxé.
Des causes sous-jacentes plus graves doivent être écartées, telles que les infections (y compris abcès des tissus mous et ostéomyélite) ou les tumeurs malignes (y compris le chordome).
Il existe des coccygodynies pouvant être dues à une douleur projetée de la charnière thoracolombaire avec souvent présence de troubles gastro-intestinaux ou urogénitaux inférieurs. Il existe également des douleurs périnéales antérieures possiblement déclenchées par la pression du coccyx.
Définition clinique
Les coccygodynies sont des douleurs du coccyx se majorant en position assise ou au relever.2,3 Mais leur localisation précise ou leur projection n’est pas toujours évidente (tableau).4
Il est donc recommandé de demander aux patients de pointer d’un doigt le site le plus douloureux, qui, en cas de coccygodynie, est bien plus caudal que dans les causes les plus courantes de lombalgie (situées en haut de la colonne lombosacrée) et plus médian que pour les douleurs sacro-iliaques et du piriforme.
La forme la plus simple reste une douleur située au niveau du coccyx, très positionnelle, mécanique dans son rythme, d’expression souvent relativement neuropathique avec les items brûlures, décharges électriques au premier plan, pouvant être insomniantes en décubitus dorsal strict.
Il convient de rechercher des antécédents traumatiques, même très anciens, y compris les accouchements traumatiques ou longs.
Le caractère majorant du relever de la position assise, l’exacerbation perdéfécatoire (si effort d’exonération), voire percoïtale, sont des éléments qui évoquent fortement la présence d’une hypermobilité coccygienne.
L’examen clinique peut retrouver l’existence d’une fossette du pli interfessier (évoquant la présence d’un spicule ou épine coccygienne) et surtout confirme l’allodynie au frottement ou à la pression du coccyx.
L’examen intrarectal peut être utile, voire indispensable, pour évaluer le degré de mobilité du coccyx ; il déclenche généralement la douleur lors de la manipulation.
Il est utile de rechercher d’autres sources de douleur associées :
- syndrome douloureux de la vessie et côlon irritable ;
- musculosquelettiques (réaliser un examen physique des articulations sacro-iliaques, des bourses ischiatiques et des muscles pelvitrochantériens et de la charnière thoracolombaire).
On peut parler de coccygodynie idiopathique quand aucune cause, en particulier traumatique ou présente sur l’imagerie, n’est retrouvée.
Diagnostics différentiels
Les affections suivantes peuvent entraîner des douleurs dans la région du coccyx, qu’il convient de différencier de la coccygodynie :
- névralgie pudendale à forme postérieure ;
- douleur ou inflammation de l’articulation sacro-iliaque ;
- kyste pilonidal avec abcès ou sinus ;
- sciatique ;
- hémorroïdes, lésions anales de tout type et rétrorectales ;
- zona ou autres formes d’affections dermatologiques (psoriasis...) ;
- syndrome du piriforme, syndrome de Maigne de la charnière thoracolombaire ;
- malignité, par exemple chordome ou chondrosarcome.
Examens paracliniques
Les examens paracliniques sont indispensables au diagnostic et pour exclure une coccygodynie symptomatique d’une pathologie évolutive : radiographie simple, imagerie par résonance magnétique (IRM)5 et surtout radiologie dynamique de profil (assis/debout) avec analyse des modifications.6
L’échographie tend à prendre une place importante dans l’analyse des coccygodynies. L’échographie statique permet de décrire l’anatomie du coccyx, sa forme, la présence éventuelle d’un spicule, dont on peut, au cours de l’examen, déterminer le caractère douloureux ou pas.
À la fin de l’examen échographique, effectuer une manœuvre dynamique (doigt intrarectal et mobilisation antéro-postérieure du coccyx) permet de visualiser une hypermobilité reproduisant la douleur usuelle du patient. Si besoin, l’échographie permet également la réalisation d’une infiltration, souvent avec radiofréquence pulsée. Cette infiltration consiste en l’injection d’une solution comprenant un anesthésique local, avec, parfois mais pas toujours, un corticoïde, dans une zone choisie a priori ou constatée a posteriori. La spécificité du geste est largement dépendante des moyens d’imagerie utilisés pour la réaliser et du faible volume de solution utilisé. La radiofréquence pulsée utilise la création d’un champ électromagnétique autour du sommet de l’aiguille (résistance chauffant à 42 °C), champ qui semble modifier les voies de la nociception mais aussi l’inflammation locale dans les articulations. À l’heure actuelle, il n’a pas été décrit d’effets indésirables propres à la radiofréquence pulsée, ainsi ceux-ci (échec, hématome, infection, aggravation paradoxale des douleurs) sont liés à l’infiltration elle-même (ponction et injection).
Pronostic
Le pronostic des patients atteints de coccygodynie est très variable, avec parfois des conséquences psychosociales majeures. Alors que les symptômes de la plupart des patients s’améliorent ou disparaissent avec des soins conservateurs (non chirurgicaux), d’autres patients ont une douleur au coccyx persistante, voire à vie. La gravité de la douleur et la gêne fonctionnelle (capacité limitée à s’asseoir) peuvent être invalidantes. La coccygectomie est liée à un taux relativement élevé d’infection postopératoire, et même après l’ablation du coccyx, de nombreux patients conservent une douleur persistante.
Traitement
La stratégie thérapeutique comprend :
- la validation de la réalité de la douleur, une prise en charge globale et notamment sociale, l’adaptation des activités (éviction du cyclisme et de l’équitation, prévention de la constipation, travail en poste aménagé...), la mise en place de « petites solutions » comme l’utilisation de coussins spéciaux ;
- la plupart des antalgiques sont peu ou pas efficaces. Les médicaments de la douleur neuropathique ont une balance bénéfice/effet indésirable souvent très faible. Les morphiniques exposent, comme dans toute douleur chronique et plus encore dans le domaine des douleurs pelviennes chroniques, au risque réel et rapide d’hypersensibilisation (nociplasticité) qui dégrade notablement le pronostic ;
- une approche manuelle de kinésithérapie éventuellement intrarectale (solution discutée, voire discutable) ou ostéopathique. Le niveau de preuve est faible, faisant la plupart du temps référence à des reports d’expériences personnelles ou des avis d’experts ;7
- l’application de topiques antalgiques (emplâtre contenant de la lidocaïne, hors autorisation de mise sur le marché ; capsaïcine en patch) ;8
- en deuxième ligne, des infiltrations (spicule, intercoccygienne mobile, impar, hiatus sacrococcygien) avec ou sans corticoïdes, avec ou sans radiofréquence pulsée, peuvent être pratiquées ;
- en troisième ligne, la chirurgie peut être indiquée (coccygectomie totale et le plus souvent partielle), seulement en cas de bloc test positif (disparition ou diminution de plus de 50 % des douleurs, immédiatement après sa réalisation [et pendant une heure environ] ; ce bloc test conditionne l’indication de la chirurgie), avec de bons résultats, au prix de risques infectieux non négligeables.9,10
2. Lirette LS, Chaiban G, Tolba R, et al. Coccydynia: An overview of the anatomy, etiology, and treatment of coccyx pain. Ochsner Journal 2014;14(1):84-7.
3. Foye PM. Coccydynia: Tailbone pain. Phys Med Rehabil Clin N Am 2017;28(3):539-49.
4. Patijn J, Janssen M, Hayek S, et al. Coccygodynia. Pain practice 2010;10(6):554-9.
5. Shams A, Gamal O, Mesregah MK. Sacrococcygeal morphologic and morphometric risk factors for idiopathic coccydynia: A magnetic resonance imaging study. Global Spine Journal 2021;2192568221993791.
6. Maigne JY, Tamalet B. Standardized radiologic protocol for the study of common coccygodynia and characteristics of the lesions observed in the sitting position. Clinical elements differentiating luxation, hypermobility, and normal mobility. Spine (Phila Pa 1976) 1996;21(22):2588-93.
7. Maigne JY. Coccygodynie et thérapie manuelle. Lett Med Phys Readapt 2011;27:149.
8. Levesque A, Riant T, Labat JJ, et al. Use of high-concentration capsaicin patch for the treatment of pelvic pain: Observational study of 60 inpatients. Pain Physician 2017;20(1):E161‑7.
9. Doursounian L, Maigne JY, Faure F, et al. Coccygectomy for instability of the coccyx. International orthopaedics 2004;28(3):176-9.
10. Shalaby MM. The surgical role in the management of persistent coccygodynia in adolescent and pediatric patients: A retrospective case series. HSS Journal 2022;18(1):110-5.