Recommandés dans la dépression et l’anxiété, les antidépresseurs font partie des médicaments les plus prescrits, mais des questionnements entourent leur utilisation au long cours, marquée par un risque de surprescription et d’effets secondaires. Cependant, leur arrêt expose à un risque de rechute et à des symptômes de sevrage.
Des scientifiques italiens ont comparé l’efficacité de différentes stratégies de déprescription chez des personnes atteintes de dépression ou d’anxiété en rémission clinique. Pour ce faire, ils ont réalisé une revue systématique de la littérature indexée au 6 avril 2025 dans les bases de données Pubmed, PsycInfo, Web of Science, Central et Cinahl. Ils n’ont inclus que des essais contrôlés randomisés. Ces derniers comparaient, chez des adultes ayant des troubles dépressifs ou anxieux en rémission totale ou partielle et sous traitement antidépresseur à la randomisation, diverses stratégies, avec ou sans soutien psychologique : l’arrêt brutal du traitement, l’arrêt progressif par paliers avec diminution des doses rapide (≤ 4 semaines) ou lente (> 4 semaines), la poursuite du traitement à dose standard ou réduite (≤ 50 % de la dose minimale efficace).
Le critère de jugement principal était le taux de rechute en fin d’étude, définie comme une résurgence cliniquement significative des symptômes. Les chercheurs ont ensuite réalisé des méta-analyses en réseau pour comparer toutes les interventions entre elles en termes de risque relatif (RR) de rechute, y compris celles non directement comparées dans des essais cliniques. Dans ce cadre, une intervention est considérée moins à risque de rechute qu’une autre si son RR (moyenne et intervalle de confiance) est inférieur à 1 par rapport à cette dernière.
Plus de 17 000 participants
Les résultats sont parus le 10 décembre 2025 dans le Lancet Psychiatry. En tout, 76 essais ont été inclus, regroupant un total de 17 379 participants (67,5 % de femmes ; âge moyen [± écart-type] = 45,2 ± 15,2 ans). Le suivi moyen était de 45,9 ± 29,7 semaines.
Environ 80 % des études portaient sur la dépression, et 20 % sur l’anxiété. Près de 29 % des publications dataient d’avant 2000, 43 % de 2000 - 2009, et 28 % de 2010 ou plus récemment.
Environ 40 % des personnes incluses avaient comme antidépresseur initial un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS), 23 % un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRNSa), 23 % un antidépresseur d’une autre classe et 12 % un mix de médicaments.
Les stratégies les plus fréquentes après randomisation étaient le maintien de l’antidépresseur à dose standard (51,1 %), l’arrêt brutal (20,4 %), l’arrêt progressif avec réduction rapide de la dose (18,8 %), suivies loin derrière par l’arrêt progressif avec réduction lente de la dose et avec soutien psychologique (3,3 %) ou sans (2,7 %), le maintien du traitement, mais à dose réduite (1,9 %), le maintien à dose standard avec soutien psychologique (1,3 %), l’arrêt progressif avec réduction rapide de la dose et soutien psychologique (0,3 %), et l’arrêt brutal avec soutien psychologique (0,1 %). En tout, le soutien psychologique a donc concerné 5 % des participants.
Quelle stratégie préférer ?
Concernant le critère de jugement principal, les interventions suivantes, classées par degré de certitude et par RR croissants, ont dépassé le comparateur commun qu’était l’arrêt brutal du traitement sans soutien psychologique :
- maintien du traitement à dose standard avec soutien psychologique (RR = 0,40 ; IC 95 % = [0,26 ; 0,61] ; certitude modérée ; nombre de sujets à traiter pour voir un bénéfice [NTT] = 4,3) ;
- maintien à dose standard sans soutien psychologique (RR = 0,51 ; IC 95 % = [0,46 ; 0,58] ; certitude modérée ; NTT = 5,3) ;
- arrêt progressif du traitement avec réduction lente de la dose et soutien psychologique (RR = 0,52 ; IC 95 % = [0,38 ; 0,72] ; certitude modérée ; NTT = 5,4) ;
- maintien du traitement, mais à dose réduite (RR = 0,62 ; IC 95 % = [0,42 ; 0,92] ; certitude réduite ; NTT = 6,8).
À l’inverse, les chercheurs n’ont pas trouvé de différences significatives entre arrêt brutal et arrêt progressif avec réduction rapide de la dose et soutien psychologique, arrêt brutal avec soutien psychologique et arrêt progressif du traitement avec réduction lente de la dose sans soutien psychologique.
Les comparaisons intervention par intervention montrent que l’arrêt progressif avec réduction lente de la dose et soutien psychologique faisait mieux que les stratégies d’arrêt progressif sans soutien psychologique. Continuer le traitement, mais à dose réduite était plus efficace que l’arrêt progressif rapide du traitement sans soutien psychologique.
« Dans la dépression en rémission, un arrêt progressif du traitement par diminution lente de la dose associé à un soutien psychologique est aussi efficace que la poursuite du traitement antidépresseur pour prévenir les rechutes, ets’avère supérieur à un arrêt brutal ou rapide , concluent les auteurs. Dans l’anxiété en rémission, malgré des données cohérentes, le manque de preuves limite la généralisation de ces résultats. »
Que disent les recos ?
Ces résultats sont cohérents avec les dernières préconisations disponibles en France. Dans un article exhaustif d’état de l’art sur l’arrêt des antidépresseurs datant de fin 2024, le Vidal proposait ainsi de les stopper de manière progressive, « en prescrivant à chaque étape une proportion de la dose précédente (par exemple, 50 % de la dose précédente, par paliers de 4 semaines) ».
De même, un document de l’Observatoire des médicaments, des dispositifs médicaux et des innovations thérapeutiques (OMéDIT) Grand Est paru en septembre 2024 est consacré à comment et quand déprescrire un antidépresseur après rémission des symptômes de troubles dépressifs. S’il souligne qu’il n’existe « aucun consensus concernant la méthode à adopter », il met en avant le besoin d’élaborer une stratégie individualisée avec le patient, et privilégie « une démarche progressive par réduction de posologie avant l’arrêt ».
Des outils d’aide à la déprescription sont également disponibles. L’OMéDIT Grand Est propose sur sa page web dédiée à la déprescription des médicaments psychotropes plusieurs documents, notamment des ordonnances de déprescription d’un antidépresseur en format Word et pdf, et des protocoles de déprescription pour la fluoxétine, la paroxétine et la sertraline, en plus d’outils généraux d’aide à la déprescription. Un algorithme de déprescrition des antidépresseurs a aussi été publié en septembre 2025 par l’OMéDIT PACA-Corse.
Enfin, chez nos voisins belges, un manuel en libre accès pour l’arrêt progressif des antidépresseurs du Centre belge d’information pharmacocinétique (CBIP), mis à jour en 2024, propose des schémas dégressifs pour les principales molécules prescrites.
Korsia-Meffre S. Arrêter les antidépresseurs ? Mais comment ? Vidal 8 octobre 2024.
Journal d’actus en matière de déprescription médicamenteuse n° 3. Après rémission des symptômes de troubles dépressifs, quand et comment déprescrire un antidépresseur ? Septembre 2024.
OMéDIT Grand Est. La déprescription de médicaments psychotropes. 17 mars 2025.
Centre belge d’information pharmacothérapeutique. Arrêt progressif des antidépresseurs : lignes directrices – Schémas concrets d’arrêt. 2024.
Pour en savoir plus :
Mallordy F. Antidépresseurs : une étude d’envergure compare leurs effets cardiométaboliques. Rev Prat (en ligne) 6 novembre 2025.
Nobile C. Bien prescrire un antidépresseur. Rev Prat (en ligne) 4 avril 2024.
Garnier M, Llorca PM, Patoz MC. Item 74. Prescription et surveillance des psychotropes.Rev Prat 2024;74(1):89-99.
Verley JB. Antidépresseurs chez l’adolescent : guide pour la prescription. Rev Prat (en ligne) 13 février 2025.