Le concept de santé globale trouve un écho remarquable dans la santé materno-infantile et s’incarne en France avec le programme des « 1 000 premiers jours ». L’idée d’organiser un bon environnement écologique pour l’enfant, de sa conception à son entrée à l’école maternelle, a constitué un formidable message sociétal à l’occasion duquel de nombreuses initiatives ont vu le jour. Les soignants ont accès à de nouvelles recommandations, qu’ils doivent mettre en pratique auprès de patientes informées et demandeuses pour leur santé personnelle, leur fécondité et la santé de leurs proches.
Il est nécessaire de faire évoluer les pratiques et de trouver la juste place de la prévention, des conseils hygiéno-diététiques et du soin allopathique réduit au nécessaire.
Comment accueillir les projets de grossesse en intégrant dans la pratique les contraintes économiques, sociales et énergétiques actuelles pour répondre aux demandes des femmes sans compromettre le futur ?
Comment accompagner « à la source » la dynamique du changement qui sera porté par les générations futures ?
Impact environnemental sur la santé des femmes et des nouveau-nés
Les femmes enceintes et les nouveau-nés sont exposés à des polluants multiples aux effets de mieux en mieux documentés.
Exposome et épigenèse
L’exposome représente l’ensemble des expositions environnementales aux toxiques subies lors de la vie et l’impact de ces expositions sur la santé humaine.
Ces expositions toxiques ont un effet variable selon le moment, leur durée, la durée de leur réitération, en particulier lors des trois premiers mois de l’organogenèse, lors de la vie fœtale puis lors de la croissance.
Le travail de Christopher Wild a précisé ce concept d’exposome complément du génome. L’épigenèse apporte aussi un éclairage sur les mécanismes étiopathogéniques d’altération exogène de l’ADN et sur la possibilité de transmission de pathologies via la méthylation de l’ADN.1 Si la séquence de l’ADN reste inchangée, son altération est bien réelle.
Le tirage de la « loterie génétique » ne se termine pas à la conception, contrairement à ce que l’on croyait !
Le concept de la DOHaD, acronyme anglais pour définir l’origine développementale de la santé et des maladies (Developmental Origins of Health and Disease), démontre les conséquences des modes de vie parentaux.
Des expositions survenant lors de « fenêtres de vulnérabilité » ont des conséquences sur le risque d’apparition de maladies plus ou moins précoces, physiques ou psychiques, avec des transmissions transgénérationnelles via les mécanismes de l’épigenèse qui font l’objet de recherches. La déclinaison en France de ce concept s’est concrétisée par le programme national des « 1 000 premiers jours », qui a fait évoluer les pratiques en périnatalité et en pédiatrie.
Nombreux polluants
On distingue plusieurs catégories de polluants, au mode d’intoxication variable : aérien, alimentaire ou transcutané. Le spectre est large et les mécanismes étiopathogéniques le plus souvent inconnus.
Se « protéger » est donc un vaste défi face à des milliers de molécules aux toxicités connues ou supposées, directement ou indirectement, isolées ou par associations toxiques.
Par exemple, les perturbateurs endocriniens ont un effet démontré sur la santé reproductive. L’augmentation de la prévalence des ambiguïtés sexuelles est aussi une problématique mondiale de plus en plus retrouvée.
Ces situations illustrent là aussi les effets des imprégnations hormonales environnementales et ceux des perturbateurs endocriniens.
Les per-et polyfluoroalkylés (PFAS), aux propriétés antiadhésives à la chaleur, les plastiques chlorure de polyvinyle (PVC), le bisphénol A présent dans les revêtements intérieurs, le phtalate de di- 2 -éthylhexyl (DEHP), très utilisé dans les dispositifs médicaux, sont des perturbateurs endocriniens aux toxicités à présent bien documentées.2,3,4
Les pesticides ont aussi, pour certains, des toxicités parfaitement démontrées : glyphosate, chlordécone, dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), dioxines.
Les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium…) sont également identifiés comme agents toxiques.5
La diffusion environnementale des plastiques est aussi source de préoccupation ; des traces de micro et nanoparticules plastiques ont été mises en évidence dans des tissus humains (placenta, plaques d’athérome…), le potentiel toxique de ces agents est à craindre, même s’il n’a pas encore été mis en évidence.6,7
Actions du dérèglement climatique
Les impacts supposés aux mécanismes inconnus du dérèglement climatique font l’objet de nombreuses publications. Par exemple, la prévalence des accouchements prématurés augmente,8 tout comme les morts fœtales in utero, les pathologies vasculaires de fin de grossesse en lien avec ces phénomènes…9 Plus globalement, ces dérèglements altèrent la santé materno-infantile via les conséquences de la pauvreté, d’un moindre accès aux soins, de l’insécurité alimentaire.
Les pays les moins avancés sont les plus concernés. Lors de la prise en charge des femmes migrantes, l’adaptation transculturelle des soins est nécessaire pour dispenser une prise en charge bienveillante.
Conséquences variables selon l’âge des femmes
Les femmes, aux différents âges de la vie, sont impactées par ces expositions toxiques. Celles-ci peuvent être en cause dans les pathologies ovariennes bénignes organiques et fonctionnelles (kystes, dysovulation), l’insuffisance ovarienne prématurée et l’infertilité, les fibromes utérins, la ménopause précoce, l’endométriose.10,11 On constate aussi une augmentation de la prévalence des cancers du sein, des ovaires et de l’utérus avec des associations toxiques connues (amiante,12 cadmium, diéthylstilbestrol et autres perturbateurs endocriniens).13
Au-delà de ces quelques molécules au profil toxicologique identifié, aux mécanismes étiopathogéniques plus ou moins bien élucidés, on ignore tout de milliers d’autres produits et de leurs effets.
Attentes sociétales
Face à cette situation, les femmes, comme les soignants, sont demandeurs de protection, d’information et d’accompagnement. L’attente de décisions politiques de protection, de proscription des toxiques connus et supposés est grande ; pour les soignants de périnatalité, ces décisions constituent une urgence immédiate.
Des sites de référence et des ressources institutionnelles sont à disposition et proposent des supports informatifs actualisés : sites internet des 1 000 premiers jours, Reprotoxif en île-de-France, du Centre de référence des agents tératogènes (CRAT)...
S’interroger sur nos pratiques
La sensibilisation écologique des soignants est insuffisante car elle repose sur une démarche de formation continue individuelle volontaire.
L’évolution des pratiques de soin durable autour de la transition écologique doit se fonder sur des recommandations nationales pour être idéalement déclinée dans une action de soin globale et organisée au niveau des structures sanitaires, en incluant tous les acteurs de terrain nécessaires.
De l’emploi du spéculum à usage unique en consultation à l’utilisation du matériel en salle de naissance (packs d’accouchement), il est nécessaire de réfléchir pour limiter l’empreinte carbone des actes. Le volume d’activité et l’environnement matériel du lieu de soin, l’existence d’une unité de stérilisation en particulier sont des éléments déterminants dans cette réflexion.
Une étude européenne illustre bien la complexité de la réflexion autour de l’empreinte carbone de l’accouchement, qui va de la plus basse, l’accouchement au domicile, à la plus élevée, l’accouchement par césarienne avec analgésie péridurale en milieu hospitalier.14
L’étude pointe du doigt l’impact de l’analgésie péridurale ou du protoxyde d’azote dans cette empreinte carbone plus importante. Réalisée en partie aux Pays-Bas, elle note l’intérêt de l’accouchement au domicile, pratique ancrée dans la société, qui représente 15 % des naissances avec un lien ville-hôpital structuré et adapté au contexte obstétrical.
Les pratiques obstétricales françaises sont différentes, avec 99 % d’accouchements à l’hôpital et un taux de péridurale de 82 %, renvoyant à une demande et une organisation des soins spécifiques.
Le « bon soin » écologique de l’accouchement est probablement à réfléchir à l’aune du ratio « sage-femme/parturiente » qui, quand il est optimisé, permet une meilleure prise en charge globale médicalisant l’accouchement à sa juste mesure et donc un moindre recours à l’analgésie médicamenteuse.
La prescription hormonale contraceptive est aussi une question environnementale importante ; le choix des femmes évolue : on constate un net recul du choix de la contraception hormonale ainsi qu’un tropisme pour les contraceptions hormonales naturelles (œstrogènes naturels plutôt que de synthèse).
Écoconception du soin en maternité
L’objectif de l’écoconception du soin en maternité est de guider les services concernés dans des actions concrètes de santé environnementale en mobilisant l’ensemble du personnel hospitalier (soignants et non-soignants) dans tous les services (des unités de soins aux services de support) et en impliquant au mieux tous les niveaux de décision.
Des maternités structurent ainsi leur démarche autour d’un programme d’actions écoresponsables destiné à optimiser leur empreinte carbone, réduire les expositions toxiques, former les soignants, sensibiliser et éduquer les familles.
Cette dynamique hospitalière se décline sur plusieurs axes au moyen d’actions concrètes : formation des soignants, éducation des patients, optimisation des produits d’hygiène utilisés (limitation des produits inutiles : par exemple, soins du cordon ombilical à l’eau et au savon), de choix écologiques autour des achats hospitaliers en matière d’alimentation, de produits de nettoyage, d’organisation des travaux.
En île-de-France, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a créé la charte écomaternité avec l’agence régionale de santé, qui accompagne une vingtaine d’établissements dans cette démarche. De nombreuses initiatives locales voient aussi le jour, accompagnées de chartes illustrant les actions développées dans leur structure.
Au-delà d’un label national d’écomaternité à créer, il y a urgence à promouvoir et standardiser les bonnes pratiques environnementales au sein des 458 maternités françaises.
Le véritable élan national autour de la santé périnatale permet un accompagnement des parents et doit aider à catalyser les dynamiques hospitalières.
Évoluer vers un soin moderne, sécure et de haute qualité
Les pratiques médicales doivent poursuivre leur évolution en intégrant durabilité et protection vis-à-vis des évolutions environnementales toxiques.
La formation à la santé environnementale initiale et continue des sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, médecins généralistes et de l’ensemble des acteurs de soins en santé materno-infantile est une nécessité ; l’élan individuel déjà en place doit être soutenu et déployé sur tout le territoire.
Les maternités se structurent et mettent en place des soins écoresponsables au sein de chartes qui tendent vers une labellisation écologique.
Même si les connaissances sont lacunaires, il est urgent de mettre en place des actions immédiates de protection au nom du principe de précaution qui entraîneront des conséquences multiples, sociales comme économiques.
L’évaluation scientifique doit aussi être menée par des études françaises et internationales qui guideront au mieux des choix complexes.
Le relais sociétal et politique est fondamental pour expliquer, insuffler et coordonner cette dynamique nécessaire.
La transformation écologique des pratiques sanitaires est une nécessité qui permettra d’évoluer, notamment dans les maternités, vers un soin moderne, sécure et de haute qualité.
Nous devons organiser, en France, autour du choix des femmes, un accompagnement sociétal et professionnel adapté, sans dogmatisme, autour duquel les protocoles thérapeutiques auront des empreintes carbone bien connues.
La promotion et la valorisation du bon soin écologique sont une priorité à diffuser au niveau national, la démarche est coûteuse et ne semble malheureusement pas vraiment à l’ordre du jour en France où la tarification des actes à l’activité reste le mode principal de qualification du « bon soin ».
2. Interdonato L, Siracusa R, Fusco R, et al. Endocrine disruptor compounds in environment: Focus on women’s reproductive health and endometriosis. Int J Mol Sci 2023;24(6):5682.
3. Hassan S, Thacharodi A, Priya A, et al. Endocrine disruptors: Unravelling the link between chemical exposure and women’s reproductive health. Environ Res 2024;241:117385.
4. Silva ABP, Carreiró F, Ramos F, et al. The role of endocrine disruptors in female infertility. Mol Biol Rep 2023;50(8):7069-88.
5. Eaves LA, Lodge EK, Rohin WR, et al. Prenatal metal(loid) exposure and preterm birth: A systematic review of the epidemiologic evidence. J Expo Sci Environ Epidemiol 2025 Jan 25;on line.
6. Balali H, Morabbi A, Karimian M. Concerning influences of micro/nano plastics on female reproductive health: Focusing on cellular and molecular pathways from animal models to human studies. Reprod Biol Endocrinol 2024;22(1):141.
7. Landrigan PJ, Raps H, Cropper M, et al. The Minderoo-Monaco commission on plastics and human health. Ann Glob Health 2023 ;89(1):23.
8. Eaves LA, Bulka CM, Rager JE, et al. Metal mixtures modeling identifies birth weight-associated gene networks in the placentas of children born extremely preterm. Chemosphere 2023;313:137469.
9. Conway F, Portela A, Filippi V, et al. Climate change, air pollution and maternal and newborn health: An overview of reviews of health outcomes. J Glob Health 2024;14:04128.
10. Dutta S, Banu SK, Arosh JA. Endocrine disruptors and endometriosis. Reprod Toxicol 2023;115:56-73.
11. Rumph JT, Stephens VR, Martin JL, et al. Uncovering evidence: Associations between environmental contaminants and disparities in women’s health. Int J Environ Res Public Health 2022;19(3):1257.
12. Ferrante D, Angelini A, Barbiero F, et al. Cause specific mortality in an Italian pool of asbestos workers cohorts. Am J Ind Med 2024;67(1):31-43.
13. Cathey AL, Nguyen VK, Colacino JA, et al. Exploratory profiles of phenols, parabens, and per- and poly-fluoroalkyl substances among NHANES study participants in association with previous cancer diagnoses. J Expo Sci Environ Epidemiol 2023;33(5):687-98.
14. Spil NA, van Nieuwenhuizen KE, Rowe R, et al. The carbon footprint of different modes of birth in the UK and the Netherlands: An exploratory study using life cycle assessment. BJOG 2024;131(5):568-78.